« Comment Comment le lobby bancaire colonise le ministère de l’économie et des finances »

 

 

 

 « Comment le lobby bancaire colonise le ministère de l’économie et des finances »

 

Jézabel Couppey-Soubeyran

Economiste

 

La forte intrication entre la haute fonction publique et le secteur de la banque rend régulateurs et décideurs publics plus sensibles à l’intérêt du secteur bancaire et financier, explique, dans sa chronique, l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran

Chronique. Sans que l’information ne fasse grand bruit, Marie-Anne Barbat-Layani, jusqu’alors directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), a été nommée, le 30 octobre, secrétaire générale des ministères économiques et financiers. L’ancienne représentante des grandes banques françaises va gérer ces ministères, et notamment y décider des recrutements – et des suppressions de postes. Plus personne ne s’inquiète de ces allers-retours entre la fonction publique dirigeante et le secteur bancaire. Que plus personne alors ne s’étonne non plus de voir l’intérêt d’un seul secteur nous gouverner tous.

La FBF ne s’est pas vantée de cet intéressant transfert et s’est contentée du pudique et laconique communiqué suivant : « Ayant choisi de saisir une nouvelle opportunité professionnelle, Marie-Anne Barbat-Layani a demandé à être déchargée de ses responsabilités de directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF) et de l’Association française des banques (AFB) à compter de ce jour. » C’est un retour aux sources pour cette inspectrice des finances qui avait débuté sa carrière au Trésor, puis servi dans différents cabinets ministériels, avant de valoriser ses compétences dans un grand groupe bancaire français, de retourner en cabinet et de diriger, en 2013, la défense des intérêts des banques en prenant la direction de la FBF. Sa prédécesseure, Ariane Obolensky, était elle aussi issue du Trésor. Son successeur par intérim, Benoît de La Chapelle Bizot, vient également des cabinets ministériels et de la représentation permanente française auprès des institutions européennes, parcours appréciable pour la FBF qu’il avait rejointe en 2014 en tant que directeur général délégué.

Rothschild et les présidents de la République

Cette intrication entre la haute fonction publique et le secteur bancaire est forte et ne date pas d’hier. Les représentants ou les dirigeants du secteur bancaire sont, pour la plupart, issus de la direction de nos ministères financiers. Réciproquement, Georges Pompidou travaillait à la banque Rothschild avant de devenir premier ministre, en 1962, puis président de la République, en 1969, traçant la voie à d’autres, dont Emmanuel Macron, passé par la même banque.

Avec le temps, les habituels allers simples se sont transformés en allers-retours répétés, du secteur public au secteur privé, de la haute fonction publique au secteur bancaire et vice-versa. Le « pantouflage » a laissé place aux « portes tournantes ». Le phénomène ne se limite pas à la France, et concerne aussi, outre les ministères, les autorités de réglementation et de supervision des banques et des assureurs, les autorités de marché, les banques centrales… lesquelles recrutent aujourd’hui une partie de leurs dirigeants dans le secteur qu’elles ont pour mission de réguler. L’expérience acquise chez le superviseur ou au sein d’une banque centrale est ensuite hautement valorisable dans le secteur bancaire, qui y voit le moyen de nouer une connexion bien utile pour suivre de près, voire influencer, la (dé) régulation. Elle permet donc d’y retourner à bon prix.

Nombre de banquiers centraux vendent leurs bons services, une fois leur mandat terminé, à des banques ou à des fonds d’investissement : Alan Greenspan à la Deutsche Bank et au gestionnaire de fonds obligataires Pimco, puis au fonds d’investissement Paulson ; Ben Bernanke au fonds spéculatif Citadel ; Axel Weber à UBS ; Otmar Issing à Goldman Sachs ; Willem Buiter à Goldman Sachs, puis Citigroup ; Philipp Hildebrand, Stanley Fischer et Jean Boivin à BlackRock, géant américain de la gestion d’actifs, etc.

Qu’ils concernent les autorités de régulation ou la haute administration publique, ces allers-retours répétés ont la même incidence : ils font infuser la culture bancaire et rendent ainsi régulateurs et décideurs publics chargés de la conduite des politiques économiques et financières plus sensibles à l’intérêt du secteur bancaire et financier, au point de le confondre, même en toute bonne foi, avec celui de la collectivité qu’ils sont censés servir.

Les portes tournantes ont leurs avocats. Ils plaident le besoin croissant d’expertise des superviseurs dans un système financier de plus en plus complexe. Un besoin que nourriraient l’empilement et la complexité des réglementations elles-mêmes. Parfois même, ces allers-retours sont vus comme un moyen de renforcer l’action du régulateur, car ceux qui y travaillent dans la perspective d’un recrutement dans l’industrie bancaire gagneraient à « signaler » leurs compétences en se montrant plus zélés, donc plus exigeants envers les régulés…

On notera le cercle vicieux de la complexité : au nom de celle-ci, les régulateurs recrutent des banquiers, qui préfèrent des règles complexes ouvrant les interstices où le contournement s’immisce, qui justifient ensuite qu’on les recrute… En réponse à cette complexité, la simplification des règles vaudrait mieux que le débauchage de banquiers. Quant à l’effet de zèle que produiraient les portes tournantes sur les régulateurs, il est contredit par les études de plus en plus nombreuses à souligner le risque de conflit d’intérêts et l’affaiblissement de la régulation qui en résultent (« The Effects of Regulatory Capture on Banking Regulations. A Level-of-Analysis Approach », Theodore H. Cohn, The Failure of Financial Regulation, Palgrave Macmillan, 2019).

Les portes tournantes sont un symptôme, parmi d’autres, d’une finance qui tourne trop rond et de politiques peu enclins à en reprendre les commandes dans l’intérêt général.

Jézabel Couppey-Soubeyran est maîtresse de conférences à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, Ecole d’économie de Pari