Gérard Miller : « Les électeurs de Mélenchon n’ont pas de leçon d’antifascisme à recevoir ! »

 

 

Dans une tribune au « Monde », le psychanalyste Gérard Miller estime qu’on a tort de reprocher à Jean-Luc Mélenchon son absence de consigne de vote.

LE MONDE | 27.04.2017

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TRIBUNE. Electeur non repenti de Jean-Luc Mélenchon, je sais à quelles admonestations je dois m’attendre si je ne montre pas immédiatement patte blanche en commençant cette tribune.

Aussi j’annonce d’emblée que le 7 mai je voterai contre Marine Le Pen en glissant un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne. Cela étant, maintenant que j’ai exorcisé de mon corps tout soupçon de compromission avec l’infâme, j’aimerais en dire un peu plus.

Tout d’abord, je l’avoue, le futur électeur d’Emmanuel Macron que je suis depuis le 23 avril a déjà du mal à supporter nombre de ses nouveaux amis. Parce que Mélenchon ne s’est pas illico mis en rang, comme eux et moi, derrière notre nouveau Goliath, voilà ces tartuffes qui claironnent que le leader des « insoumis » serait un quasi-suppôt du fascisme. Je ne veux pas accabler mes nouveaux amis, mais si l’indécence était une déesse, ils seraient ses prêtres !

« Mozart de la finance »

Que Macron soit aujourd’hui un rempart provisoire — très provisoire, hélas — contre le Front national, je peux l’admettre puisque je vais voter pour le leader d’En marche ! Mais à condition qu’on soit un peu lucide : en matière de lutte contre l’extrême droite, rien, à commencer par son programme et son passé – qui détonnent avec ceux de Mélenchon –, rien ne plaide en faveur de l’ancien ministre de l’économie. « Quand Mélenchon était sénateur, j’étais encore au collège », a-t-il ironisé récemment.

La pique est amusante, mais ne donne pas l’absolution : car toutes ces dernières années, qu’a fait de sa vie d’homme l’ex-petit collégien, alors même que Mélenchon ne cessait de combattre l’extrême droite, y compris à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), sur des terres que tout le monde considérait comme acquises à Marine Le Pen ?

Il était banquier, on le surnommait le « Mozart de la finance », il entrait direct à l’Elysée puis devenait ministre de l’économie du plus impopulaire quinquennat de la Ve République. En matière de lutte contre le fascisme, convenons qu’il n’y a pas de quoi concurrencer Jean Moulin.

Et pour être plus sérieux, si avec Marine Le Pen au second tour il y a en effet le pire qu’il faut conjurer, avec Emmanuel Macron, on a certes un impeccable républicain, dont personne ne doute qu’il abomine l’extrême droite, mais qui n’en est pas moins responsable, comme François Hollande ou Nicolas Sarkozy avant lui, de la montée en puissance de ce pire.

Une société qui bafoue, qui exploite

Car s’il y a des causes autres que politiques ou économiques pour expliquer son succès, le Front national est d’abord le produit d’une société qui bafoue, exploite, humilie des millions de gens, une société qui génère la misère et la peur, une société avec laquelle Mélenchon, justement, se proposait de rompre et dont Macron, au contraire, ne va pas changer la logique, juste la moderniser.

Alors oui, je continue de penser que le programme de La France insoumise était l’antidote le plus efficace contre le Front national et que Mélenchon n’a à recevoir de leçons d’antifascisme de personne. L’extrême droite, il ne suffit pas de lui faire barrage quinze jours le temps d’une élection, il faut la combattre au quotidien et l’empêcher de monter !

Je vais voter pour Emmanuel Macron, mais je ne suis pas pour autant amnésique, et c’est pourquoi je trouve indignes les attaques que subit La France insoumise, alors même que c’est elle qui a été la plus efficace contre le Front national.

Ce n’est pas un parti, elle ne veut pas donner de consignes (et d’ailleurs, dans les partis, qui suit actuellement les consignes qu’on donne ?), elle souhaite que ceux qui ont soutenu son candidat prennent la parole − est-ce vraiment suffisant pour imaginer je ne sais quelle compromission avec l’extrême droite ?

Une autre façon de faire de la politique

C’est vrai, ce n’est plus le « front républicain » si parfait de 2002 − mais nous sommes justement quinze ans plus tard. Pour faire reculer le Front national, les dirigeants de droite ont eu dix ans, ceux de gauche cinq, il est peut-être temps de conclure qu’en gérant comme si de rien n’était cette société injuste et déraisonnable ils en ont été plus qu’incapables.

Et ce sont eux qui dénoncent aujourd’hui Mélenchon et sermonnent ses électeurs ! Mais qui sont-ils ces donneurs d’ordre sinon des naufrageurs qui nous demandent maintenant de venir les aider à ramasser les débris d’une société qu’ils ont consciencieusement démolie ?

Alors, il faut s’en accommoder : La France insoumise a une autre façon de faire de la politique et c’est aussi ça qui a convaincu sept millions de Français.

D’ailleurs, regardez les résultats : si Marine Le Pen n’a pas obtenu le score bien plus élevé qu’annonçaient les sondages, c’est parce que Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête dans la plupart des grandes villes (Marseille, Lille, Toulouse, Montpellier…), réalisant des scores particulièrement élevés dans les quartiers populaires et recueillant près de 30 % de voix chez les 18-24 ans. Mélenchon « a sans doute contribué à contenir la poussée de Mme Le Pen », pouvait-on lire dans Le Monde du 26 avril − et comment !

Alors, semblables à ceux qui mettent sur leur boîte aux lettres un petit autocollant indiquant « Pas de pub, merci ! », les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, dont des millions, comme moi, voteront à contrecœur pour Emmanuel Macron, ont envie de dire à leurs moralisateurs : « Pas de leçons d’antifascisme, merci ! »

Gérard Miller (Psychanalyste, écrivain, réalisateur et professeur des universités)

 

 

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