ET SI LES SALARIÉS SE RÉVOLTAIENT. ARTUS.( LE MONDE.4/04/18

Livre. Marx avait raison ! Cri du cœur étrange pour l’un des économistes les plus médiatiques de l’establishment français, Patrick Artus, chef économiste de la banque Natixis. Il est vrai que depuis plus de dix ans, ses ouvrages, écrits avec la journaliste Marie-Paule Virard, nous ont avertis successivement que le capitalisme allait s’autodétruire (2007), que la liquidité était incontrôlable (2010), que le monde allait au chaos (2015) et que les banques centrales étaient folles (2016). Pour son nouvel opus, toujours aussi optimiste, le duo se demande si les salariés, devant le sort qui leur est fait, n’allaient pas se révolter.

Pas d’augmentation, ni de hausse des prix : bienvenue dans le monde étrange de l’inflation zéro. Sauf pour les profits et les rémunérations des actionnaires et des PDG

Sans appeler ouvertement le peuple à sortir dans la rue les fourches à la main, les auteurs dressent un réquisitoire bien révolutionnaire contre la finance mondiale qui, au lieu de s’assagir après le coup de bambou phénoménal de la crise de 2008, est repartie de plus belle. Et bien pire même puisque la stagnation économique a révélé que le capitalisme financier, poussé par les grands investisseurs anglo-saxons, a gardé les mêmes critères de rendement sur capitaux investis alors que les taux d’intérêts s’étaient effondrés. Résultat, pour maintenir de telles rétributions aux actionnaires dans une économie atone, sous forme de dividendes ou de rachats d’actions, les entreprises ont fait porter aux salariés la charge de l’ajustement. D’abord en comprimant les salaires, puis en licenciant.

Mais ce n’est que la moitié, la plus connue, de l’histoire. L’autre, plus mystérieuse, est qu’avec la reprise, ancienne aux Etats-Unis, plus récente en Europe, un phénomène nouveau est apparu. Les entreprises ont engrangé les profits, acheté des concurrents mais n’ont pas investi, ni augmenté les salaires comme elles le faisaient dans les précédentes phases de reprise. Pas d’augmentation, ni de hausse des prix : bienvenue dans le monde étrange de l’inflation zéro. Sauf pour les profits et les rémunérations des actionnaires et des PDG.

Bipolarisation du travail

La vieille maxime de l’ex-Chancelier allemand Helmut Schmidt – qui voulait que les profits d’aujourd’hui soient les investissements de demain et les emplois d’après demain – n’est plus de mise. « On est obligés de constater que la prospérité des riches est associée à une pauvreté et à des inégalités de revenu accrues et à rien d’autre », affirme le révolutionnaire Artus.

Les auteurs en appellent à un « capitalisme européen » face à l’hégémonie financière anglo-saxonne et à la menace du capitalisme étatique chinois

Un phénomène qui s’est doublé, avec la désindustrialisation et la révolution technologique, d’une bipolarisation du travail qui a rongé la classe moyenne, creusé les inégalités et fait le lit des populismes. Cette disparition du milieu s’explique, selon les auteurs, par le glissement des emplois vers les services, notamment domestiques, plus précaires, moins bien payés et moins organisés.

Ce n’est qu’au dernier tiers du livre que le lecteur sera, selon son opinion, soulagé ou déçu. Le duo Artus - Virard ne propose pas de renverser la table mais en appelle à un « capitalisme européen » face à l’hégémonie financière anglo-saxonne et à la menace du capitalisme étatique chinois. Ils préconisent un effort massif d’éducation, plus de participation aux bénéfices, notamment dans les PME, de faire payer plus de charges aux entreprises qui licencient (comme aux Etats-Unis), d’accroître la représentation des salariés dans les conseils d’administration et de favoriser l’émergence d’investisseurs de long terme européens, particuliers et professionnels. Réhabiliter Marx pour tenter de lui donner tort.

Et si les salariés se révoltaient ? Pour un nouvel âge du capitalisme, par Patrick Artus et Marie-Paule Virard (Fayard, 172 pages, 15 euros).