Depardieu : la faute politique du président

Éditorial

Le Monde  30/12/2023

On connaît le goût d’Emmanuel Macron pour le « en même temps ». La présomption d’innocence qu’il a invoquée est évidemment un principe à défendre. Mais proclamer sa fierté pour un homme qui étale régulièrement son mépris pour la France et son admiration pour Vladimir Poutine est aberrant.

Depuis 2017 et les révélations sur le producteur de cinéma prédateur Harvey Weinstein, la vague qui a libéré la parole des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles a aussi bouleversé la manière dont les sociétés, en France comme ailleurs, considèrent ces agissements et leurs auteurs, qu’ils soient anonymes ou célèbres. Les artistes, parce que leur vie est scrutée par l’opinion tout entière, parce que leurs comportements sont considérés comme emblématiques, ont alimenté les débats, souvent les scandales, parfois les avancées.

C’est pourquoi la diffusion, le 7 décembre par France 2, d’images de Gérard Depardieu tournées cinq ans plus tôt, où l’acteur multiplie les remarques avilissantes sur des femmes ainsi que sur une fillette, a produit dans le pays une émotion considérable, avant même que le président de la République ne s’en empare. Depuis des années déjà, l’abîme n’a cessé de se creuser entre le brillant comédien, figure française, star internationale, et l’homme mis en examen en 2020 pour viol et agressions sexuelles, et visé par de multiples accusations sur son comportement lors des tournages.

Emmanuel Macron, en estimant que l’acteur « rend fière la France », le 20 décembre, sur France 5, n’en a pas moins transformé l’affaire Depardieu en arme de combat politique et commis une lourde faute. Comment le président de la République qui prétend avoir fait des violences faites aux femmes et de l’égalité entre femmes et hommes « les deux grandes causes de [s]es deux quinquennats » peut-il, sans une parole pour celles qui se disent victimes de l’acteur, associer ces comportements détestables et indignes au pays qu’il incarne en tant que chef de l’Etat ?

La présomption d’innocence, que M. Macron a invoquée, est évidemment un principe à défendre. Et le fait que Gérard Depardieu ait « servi les plus beaux textes » n’est pas contestable. Mais proclamer sa fierté pour un homme qui étale régulièrement son mépris pour la France et son admiration pour Vladimir Poutine, se vante de son exil fiscal et se dit « toujours russe » en dépit de la guerre contre l’Ukraine est aberrant.

Sombre présage

On connaît le goût du président pour le contrepied, la « disruption » et les grands écarts du « en même temps ». Quelques jours après sa défense d’une loi sur l’immigration inspirée par l’extrême droite, son éloge de Gérard Depardieu apparaît surtout comme un nouveau clin d’œil à la partie la plus réactionnaire de l’opinion, singulièrement aux hommes qui considèrent la parole des femmes comme une insupportable remise en cause de leur domination. Il donne ainsi des gages aux électeurs qui expriment dans une détestation du « wokisme » la crainte de voir remise en cause leur prétendue supériorité identitaire, raciale ou sexuelle.

 

Ce faisant, le président de la République permet à la droite extrême de marquer de nouveaux points sur le terrain culturel. En semblant accréditer la thèse, pourtant démentie, selon laquelle le reportage accablant pour Gérard Depardieu aurait été manipulé, en se retrouvant piégé par une manœuvre visant à faire de la défense de l’acteur un étendard réactionnaire, illustrée par la tribune de personnalités du cinéma écrite par un militant proche des sphères identitaires, M. Macron s’éloigne un peu plus, non seulement du personnage ouvert à la diversité et aux avancées sociétales qu’il a prétendu incarner, mais de son rôle de « rempart » contre l’extrême droite, décisif lors de ses deux élections. Un sombre présage à l’approche de son « rendez-vous avec la nation » annoncé pour janvier 2024.