Ces « hommes dangereux » de 1848. L'amnistie à l'épreuve de l'abolition de l'esclavage

 
 
Dans Genèses 2007/1 (n° 66), pages 30 à 50
 
« La mère. – J’avais rêvé d’un fils pour fermer les yeux de sa mère. Le Rebelle. – J’ai choisi d’ouvrir sur un autre soleil les yeux de mon fils »

Aimé Césaire, Et les chiens se taisaient, 1956.

Dans les jours qui ont précédé la promulgation de l’abolition de l’esclavage par les autorités locales de la Martinique plusieurs meurtres, vols, incendies ont été commis. Les victimes appartenaient à chacune des « castes » de la société selon la terminologie de l’époque : aussi bien des « Blancs » que des « Nègres ». La société tremblait de revendications de liberté, de rancœurs, de peurs, de tensions extrêmes, de souvenirs sanglants et il était indispensable de jeter « un voile sur le passé » ainsi que le déclarait le général Rostoland lors de la proclamation officielle de l’Émancipation générale. L’amnistie était l’expression concrète de l’effacement des souvenirs et des pratiques passées : une remise à zéro de l’histoire de la colonie car « il n’y avait plus ni libres, ni esclaves, mais des citoyens ». Elle concernait tous les délits politiques et était une « sorte de traité de paix » [1] qui garantissait l’assoupissement des passions et des luttes de partis civils, sociaux et raciaux.

Pourtant, le 30 avril 1851, au terme d’une procédure qui avait mobilisé et opposé toutes les instances juridictionnelles de la Martinique, Jules Adra, Jean Coiffié et Martial Pataud étaient condamnés à l’exclusion illimitée de la colonie. Le 22 mai 1848, ces trois hommes avaient commis un meurtre sur la personne d’un colon, le sieur Dujon, lors du soulèvement des esclaves du Prêcheur réclamant la liberté de l’esclave Romain, emprisonné depuis le matin. Réinscrit dans un temps plus long, l’étude de ce drame, emblème de la « transformation sociale » [2], selon les autorités coloniales, permet de saisir à la fois les rumeurs de la liberté, c’est-à-dire les discours sociaux construisant l’identité collective des nouveaux citoyens, et les tensions d’un droit et d’une justice s’exerçant simultanément dans l’espace local, national et colonial.

Abolir l’esclavage, une seconde fois

À la Guadeloupe comme à la Martinique, les actes symboliques de la liberté précédèrent l’annonce officielle de l’abolition de l’esclavage. Ce moment de rupture ne fut pas brutal, cette ligne de partage du temps a fluctué en fonction d’annonces officielles mais aussi d’affrontements, de soulèvements, de refus et de cris de haine qui avaient pour finalité l’éradication du système esclavagiste. Toutes ces manifestations appelaient une nouvelle organisation qui tardait à venir ; c’est ainsi que l’ordre républicain abolitionniste a été instauré par le désordre selon la logique décrite par Edward Thompson (1971) et George Rudé (1982), car la radicalité de l’annonce de l’Émancipation a disparu sous la succession des jours, entre mars et mai 1848. Il y avait à cela deux raisons.

La première tient à la lenteur politique et administrative. L’abolition de l’esclavage est seulement décidée au retour de Victor Schoelcher du Sénégal et sur sa demande impérieuse, le 4 mars [3]. Le décret prêt le 27 avril, prévoit une application effective le 10 août afin de préserver la récolte de canne à sucre. Pourtant, dès le 26 mars, les Journaux officiels des colonies publient (avec un mois de retard) une dépêche émanant de François Arago, ministre provisoire de la Marine et des Colonies, confirmant la nouvelle de la révolution de février 1848 mais différant celle de l’Émancipation. Par loyalisme envers la procédure démocratique, c’est l’Assemblée constituante qui devait décider de la fin de la servitude coloniale, annonce-t-il. Son terme précis n’était pas indiqué mais tout le monde retenait que les trois cinquièmes de la population de la Martinique et les deux tiers de celle de la Guadeloupe, allaient jouir sous peu de la liberté. Sans évaluer qu’il créait ainsi une situation d’attente insupportable, aussi bien pour les esclaves, tout entiers tendus vers leur nouveau statut civil, que pour les maîtres, perdus dans leurs peurs, dans le souvenir de l’échafaud de 1793 dans la Guadeloupe de Victor Hugues [4] et dans leurs craintes économiques, F. Arago réclame l’ordre. « Toutes les classes de la population coloniale doivent savoir qu’il n’appartient à aucune d’elles de devancer ce que voudra faire pour régler leur avenir, le pouvoir qui sortira des votes du pays. » Les populations des colonies doivent attendre « avec calme et confiance la solution que le gouvernement définitif ne peut manquer de donner promptement à la question de l’abolition de l’esclavage, solution trop souvent retardée dans l’intérêt de l’humanité » (Journal officiel… 1848a). Le point de fuite de la servitude n’était donc pas précisé, il était encore un espoir.

La seconde raison tient à l’éloignement géographique entre la métropole et ses colonies. Cette distance, en effet, filtrait les événements révolutionnaires en cours et empêchait une participation et une prise directes des populations sur les décisions. Les colonies étaient ainsi livrées chaque jour un peu plus aux bruits et aux rumeurs. Le Journal officiel de la Martinique du 26 mars publie en même temps que le texte d’Arago, un texte (imprimé le 27 février) d’Auguste-François Perrinon, chef de bataillon d’artillerie de marine appelé comme commissaire général gouverneur de la Martinique par le gouvernement provisoire. Ce dernier s’adresse, depuis Paris, à ses frères des colonies pour fixer les termes de l’accord politique qui doit se faire autour de cet événement capital :

 

« Bientôt il n’y aura plus aux colonies ni maîtres ni esclaves. Ce sont des citoyens nouveaux que la République va donner à la France […] Aux noirs nous recommandons la confiance dans les blancs, à ceux-ci la confiance dans les noirs, à toutes les classes la confiance dans le gouvernement. Aux uns, nous recommandons comme un devoir de bon citoyen le plus entier oubli du passé, aux autres, la préparation la plus sincère, la plus loyale à l’ère nouvelle dans laquelle nous allons entrer […] Patience, espérance, union, ordre et travail, c’est ce que je vous recommande à tous […] Que cette grande devise de la civilisation, ordre, liberté, fraternité, soit celle de tout le monde, noirs, jaunes et blancs. »

( Journal officiel… 1848a)

 

Le 28 mars, de la même façon, Monsieur Layrle, gouverneur et maire de Basse-Terre, en Guadeloupe, demande à la population d’attendre dans le calme et la patience, la liberté légale dont l’heure a sonné. C’est à partir de « cette journée [qui] fera époque dans ma vie » ainsi que le note Dessalles dans son journal (1984), à partir de ce 26 mars 1848 [5], que toutes les passions vont se déchaîner. Dans cet entre-deux politique, on assiste à une extériorisation collective des émotions qui s’arc-boutent sur une servilité appartenant légalement au passé mais encore vécue quotidiennement, sur des oppositions ancestrales empreintes de violence, de domination arbitraire et de mépris. Alors que les affiches et les journaux rapportaient l’histoire de la révolution et « du peuple victorieux » de Paris, ceux des colonies publiaient encore la vente par adjudication d’esclaves attachés à des habitations et la liste d’esclaves marrons détenus à la geôle. Les populations coloniales étaient requises de ne plus combattre ou défendre la liberté mais, au contraire, de la préparer et de l’organiser tandis que les derniers esclaves étaient affranchis par ordonnances.

En attendant la liberté

Entre annonce officielle sur l’abolition de l’esclavage à venir et instauration du nouveau régime politique, un cadre neuf d’organisation de la société se met en place. Le 1er avril 1848, le drapeau de la République est inauguré à Saint-Pierre [6]. Cet étendard de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité est présenté aux esclaves : il leur est expliqué qu’il est un symbole d’ordre et de justice… future pour la majorité des populations coloniales. Les autorités précisent que les idéaux qu’il matérialise signifient aussi la lutte contre les mauvaises passions formées dans ce temps bientôt révolu. Déjà, anticipant cet avenir, les trois couleurs de population – « blanche, jaune et noire » – s’embrassent formant, selon les chroniqueurs locaux, « une image vivante du Drapeau de la Liberté ». Chacune des manifestations officielles qui se déroulent alors s’achève aux cris de « Vive la République ! » Las. La liberté n’était pas promulguée. Elle était attendue, portée, savait-on, par un « homme de couleur » que le gouvernement provisoire avait chargé de promulguer localement l’acte d’émancipation. Il s’appelait François-Auguste Perrinon, était né à la Martinique et venait d’être nommé commissaire général de la République, en même temps que Gâtine pour la Guadeloupe. Dès ce mois de mars, il incarne la Liberté. Une liberté à laquelle les esclaves peuvent croire puisqu’il est enfant du pays. Sa venue a été annoncée dans chaque bourg et dans chaque habitation par affiche comme le confirment les maires des communes de la Martinique (Journal officiel… 1848b). Des cris de joie retentissent quand le canon annonce l’arrivée d’un bateau, la population envahit alors les rues dans l’espoir de son débarquement mais « à chaque packet [7], c’était une déception pour ceux qui attendaient avec impatience un compatriote, la liberté promise et déjà presque réalisée [8] ».

Circulaire ministérielle du 7 mai 1848, portant instructions pour l’exécution du décret du 27 avril 1848.
Paris, le 7 mai 1848.
Citoyen Commissaire-général,
Le gouvernement provisoire a décrété l’abolition immédiate de l’esclavage dans les colonies françaises et vous avez été désigné pour accomplir à la Martinique, au nom de la République, ce grand acte de réparation. Nulle mission ne saurait être plus belle et plus élevée. Vous en voyez la grandeur, et j’ai la plus ferme confiance que par votre expérience et votre caractère, comme par votre dévouement aux intérêts de l’humanité, vous saurez vous montrer au niveau d’une pareille tâche. Réaliser cette œuvre avec succès, inaugurer pacifiquement la fraternité et le travail libre parmi les populations françaises d’outre-mer, ce sera rendre à la nation un des plus beaux services qu’elle puisse demander aux dépositaires de son pouvoir.
L’émancipation des esclaves est prononcée par un décret du 27 avril dont je vous remets ampliation. Vingt-quatre heures au plus tard après votre arrivée à la Martinique, vous aurez à pourvoir à sa promulgation.
Aux termes de l’article 1er, deux mois s’écouleront entre cette promulgation et la libération générale des esclaves. La république qui appelle avec confiance à une liberté complète, des frères si longtemps exclus de la famille nationale, est convaincue qu’ils accepteront pendant quelques semaines encore après la reconnaissance de leurs droits, le régime auquel elle les arrache pour toujours […].
A partir du jour de la libération générale, les esclaves deviendront des citoyens français. Les décrets organiques dont celui de l’abolition est accompagné ne pouvaient donc faire et ne font effectivement aucune distinction entre les classes, aucune exception au principe de la liberté et de l’égalité sociale […].
Pour l’application de l’amnistie accordée par l’article 4 aux anciens esclaves condamnés à des peines correctionnelles ou criminelles à raison de faits qui, de la part d’hommes libres, n’auraient point entraîné ces pénalités, vous aurez à faire effectuer d’avance par les soins du procureur général, des recherches sur les registres des greffes, afin que, le jour de la liberté générale, le bénéfice de cette mesure soit acquis à tous ceux qu’elle doit couvrir. La rentrée des noirs déportés par mesure administrative doit être également préparée par vos soins pendant l’intervalle qui s’écoulera entre la promulgation du décret et l’abolition effective de l’esclavage, et vous prendrez toutes les dispositions nécessaires pour que les intéressés soient avertis, dans les îles étrangères de l’accueil qui les attend à leur retour sur la terre française. Quant aux anciens esclaves de la colonie que l’horreur de la servitude a portés à s’enfuir et à chercher refuge dans les îles anglaises, ils devront être instruits aussi par vos soins que leur retour sera vu avec faveur et qu’ils trouveront de la part des autorités locales bienveillance et protection. Vous devez également engager les marrons à descendre de leurs mornes. Ils deviendraient coupables s’ils persistaient à occuper des terres qui ne leur appartiennent pas et à s’isoler d’une société qui ne voit plus dans tous ses membres que des frères égaux […].
Salut et fraternité
Le Ministre de la marine et des colonies
F. ARAGO
 

Et dans cet entre-deux, dans cette espérance fébrile, étaient réactivés, parfois amplifiés, les ressorts et les antagonismes de la société servile. L’annonce de la future émancipation rendait encore plus insupportable le poids de la servitude qui allait devenir passé, qui était déjà même du passé dans la métropole mais qui se vivait encore quotidiennement dans les colonies. Bien qu’à la fin du mois de mars 1848, le gouverneur Mathieu indiquât que les nouvelles des événements de France et de la prochaine émancipation n’avaient amené aucun désordre dans la campagne et que les ateliers attendaient avec calme l’accomplissement des promesses qui avaient été faites [9], trois semaines plus tard, le point de rupture de l’attente était atteint.

Là où les trois composantes de population se côtoient, l’équilibre des patiences se rompt [10]. Alors que les symboles de la République avaient été présentés à de nombreux esclaves et que l’association entre République et liberté était martelée par les responsables politiques, ces emblèmes concentrent sur eux la demande d’émancipation. Ils sont mêlés à d’autres éléments qui appartiennent à l’histoire de la servitude et en sont comme une expiation. À la Martinique, le 22 avril 1848, lors de la semaine sainte, les manifestations traditionnelles aux sociétés antillaises, se déroulent. Des enfants, mais aussi des femmes et des hommes, se réunissent pour « battre Judas ». S’armant de bâtons et tout en criant, ils tapent sur de vieilles portes ou sur des objets pour faire du bruit et ainsi manifester « leur indignation contre celui qui trahit le rédempteur » [11]. La superposition entre cette métaphore religieuse et la situation politique de la colonie s’impose vite. Et s’il y avait en Martinique des traîtres à la cause de l’Émancipation ? Au regard de l’expérience de l’esclavage, la réponse est simple. La rumeur court, elle s’amplifie, énervant les esclaves et les plus pauvres des libres. La revendication politique, Liberté et République, porte aussi aux yeux des plus modestes des libres toutes les promesses d’une égalité sociale. De rues déambulées, en cris et en tapages, certains d’entre eux, vraisemblablement des esclaves, « huent, charivarient ou menacent quelques citoyens de la “classe de couleur” » et un « Blanc », rapportent les chroniqueurs. En ce jour d’avril, six hommes et deux femmes sont attrapés par une foule en colère qui pénètre chez eux. Elle casse, chez le « Blanc », des objets de luxe qui sont autant de manifestations ostensibles de sa richesse : la porte d’une chambre à coucher, un miroir et un cylindre en cristal. Elle force les hommes et les femmes de couleur, à signer des déclarations de foi envers la République et la liberté tout en leur dérobant des objets qui marquent leur pouvoir économique : vingt-cinq pains chez le boulanger, deux paires de souliers et une bourse contenant quatre-vingt-quinze francs. Luxe et richesse sont stigmatisés. Trois hommes sont arrêtés : Alexandre, bamboutier, Larion, journalier, Alcide, esclave ; la loi pénale réaffirmée. Pourtant, le mouvement ne cesse pas, il s’amplifie. Pour ces foules revendicatives et versatiles, il s’agit d’arracher des déclarations de foi envers la République [12], de solder, aussi, des différends personnels avérés ou supposés suivant des logiques qui peuvent paraître contradictoires. À la Case-Pilote, on rapporte que des bandes ont pour cela des projets de meurtre et d’incendie. Au Prêcheur, la foule reproche au maire et aux membres du conseil municipal, après leur avoir fait une ovation, de ne pas habiter la bourgade. M. Le Pelletier de Saint-Rémy, pourtant acclamé à huit heures ainsi que le portrait de son fils [13] – qui fut porté en triomphe car son modèle était reconnu comme l’un des promoteurs de l’Émancipation – est malmené. Dans la soirée, des assurances du changement politique étaient réclamées. On force toutes les autorités locales – le maire, le curé – à crier « Vive la République » pour s’assurer de leur adhésion au projet émancipateur. Certains « hommes de couleur libres » viennent leur réclamer le paiement de leurs dettes pour marquer l’achèvement de cette séquence historique [14]. Face à ces soulèvements, seul le gouverneur réussit à rétablir l’ordre car sa présence semble garantir les promesses annoncées, il est accueilli par le cri de « Vive la liberté » [15].

La mémoire des Révolutions du xviiie siècle au cœur de 1848

La liberté, ce mot hantait tous les esprits, était à toutes les bouches, que signifiait-il pour autant ? Un créole « blanc », Husson, notaire de son état, membre du conseil municipal de Fort-de-France, nommé directeur de l’Intérieur par le gouvernement provisoire se charge d’en donner une définition officielle, à la fin du mois de mars 1848. Elle est placardée dans toute la colonie de la Martinique, dans toutes les habitations et les journaux. C’est une vision singulière et riche d’enseignement sur la mémoire partagée entre libres et esclaves. S’adressant plus directement aux esclaves puisqu’il s’exprime aussi en créole, il les exhorte à la patience, tout en allant plus loin sur les conditions du pacte social. Celui-ci doit s’appuyer sur une relation pacifiée aux « bons maîtres » pour lesquels il faut continuer à travailler, et sur un récit erroné de l’histoire dont la perspective paternaliste repose sur une présentation manichéenne du monde. Le Bien est identifié au travail, au mariage, à la religion et aux « bons maîtres » ; le mal au vagabondage, à la paresse et… aux anciens affranchis. Le zèle organisationnel de Husson dépassait cependant les demandes du gouvernement provisoire. En effet, si l’éthique de cette nouvelle citoyenneté était conforme à la philosophie morale de l’époque, en revanche, l’opposition instituée entre « Blancs » et « Population Libre de Couleur » ne pouvait s’accorder avec les idéaux républicains. Le gouverneur Rostoland désignait même cette opposition comme une source de troubles sociaux à venir et réprimanda Husson pour le contenu de son discours [16].

Husson présente aussi une vision partiale de l’histoire :

 

« Vous savez qu’il y avait déjà une république anciennement, répète-t-il devant la population de Saint-Pierre, elle avait essayé d’abolir l’esclavage : vous savez qu’il n’y avait plus d’esclaves à la Guadeloupe ni à Cayenne ; mais faute de savoir se conduire, ils ont fini par redevenir esclaves. Vous ne voulez pas faire comme cela ? (Non ! non ! répond la foule) Eh bien ! alors il faut m’écouter, il faut vous taire, car si vous n’avez pas la patience de vous taire en ce moment, comment voulez-vous que je croie que vous aurez la patience d’attendre la liberté »

(Dujon s. d. : 27).

 

Le désordre avait causé jadis le rétablissement de l’esclavage : c’était là une menace. Les réponses des cultivateurs (« non ! non ! répond la foule ») retranscrites dans le Journal officiel signalent une mémoire active des événements passés – l’abolition de l’esclavage en 1794 par la Convention et son rétablissement par le consul Bonaparte en 1802. Aucune surprise, aucune question (si tant est qu’elle fût possible !) sur les événements de la Guadeloupe, encore moins sur Saint-Domingue, alors que l’on peut penser que cette référence est implicite dans le discours de Husson.

En effet, différents éléments se rapportant à la mémoire de la première abolition servent de grille d’analyse aux responsables politiques et peut-être à la population servile, pour apprécier les événements de 1848. Parmi eux, les références au soulèvement des esclaves de Saint-Domingue qui conduisit à l’abolition de l’esclavage en 1793 puis à l’indépendance de la colonie apparaissent furtivement. Le général Rostoland tout comme le maire du Prêcheur, Monsieur Huc [17], font état en mai 1848 d’un complot « ayant des ramifications sur tous les points de la colonie », préparé avec précaution dont ils tirent les preuves des questions précises et judicieuses posées par « des noirs d’atelier qui paraissaient n’avoir qu’une bien faible intelligence » et qui montrent tout simplement qu’ils sont endoctrinés [18]. Sans que Saint-Domingue soit jamais citée, la référence se laisse deviner, surtout si l’on se souvient que des informations sur Haïti circulent en permanence dans la Caraïbe. En témoignent, par exemple, les journaux qui relatent les événements de la présidence de la République d’Haïti par Faustin Soulouque et qui recensent, dans les années 1840, les ouvrages consacrés à Haïti comme celui de V. Schoelcher sur Toussaint Louverture, ou encore celui de M. Lepelletier de Saint-Rémy, auditeur au Conseil d’État (1846). Haïti appartient à l’univers politique et social des colonies françaises. C’est la classe des maîtres qui évoque le plus ouvertement cette référence. Tout comme dans l’ancienne colonie française, disent-ils, « les esclaves n’avaient aucune raison de s’insurger. Ils n’agissaient qu’à l’instigation des gens de couleur qui, trop lâches pour se montrer à découvert, espéraient en poussant les nègres en avant, faire de la Martinique une seconde Haïti » (Dujon s. d. : 81). S’il est moins aisé de retrouver des traces de la mémoire d’Haïti au sein de la population esclave par manque d’enregistrement par les sources écrites, les sources privées des maîtres révèlent leurs craintes. Élodie Dujon, dont le destin se noue dans le soulèvement du Prêcheur, retraçant sa vie et, incidemment, celle du groupe des colons, fait référence à Saint-Domingue comme la « Grande Révolution » où les « nègres révoltés avaient massacré tous les Blancs » (ibid. : 27). « Au carnaval de 1847-48 », précise encore sa cousine, « ce fut une vraie frénésie, la passion politique s’ajoutant à celle qu’ont toujours eue les nègres pour la danse et la mascarade […] On espérait cependant que le gouvernement saurait prendre des mesures pour garantir la sécurité des populations blanches, le spectre des massacres de Saint-Domingue étant toujours présent à nos yeux » (De Lalung s. d. : 147). À la Guadeloupe, c’est le ministère civil qui attribue à Marie-Léonard Sénécal, accusé d’incitation à la guerre civile et de complicité d’incendie, des propos similaires :

 

« Vous connaissez Saint-Domingue, aurait-il dit aux nouveaux affranchis. Eh bien, il faut que la Guadeloupe soit comme Saint-Domingue ; tant qu’il n’en sera pas ainsi, ce seront les blancs qui seront les chefs, qui auront les places, et qui gouverneront. Cela ne peut pas durer, il faut que la couleur prenne le dessus. Mais je vous le dis : cela ne tardera pas ; la Guadeloupe viendra comme Saint-Domingue [19]. »

 

Des complots transcaraïbéens étaient à l’œuvre : appelés par des « mulâtres », des hommes et des armes devaient arriver de la Dominique.

Crime politique et amnistie

La journée du 22 mai débuta par un acte ordinaire de la domination coloniale esclavagiste. Léon Duchamp, colon allié aux plus grandes familles de planteurs, arrête l’esclave Romain pour insolence. Irmisse de Lalung, sa cousine, précise dans son journal qu’il avait menacé Léon de l’assassiner et que son oncle en avertit le maire, M. Hervé, qui fit arrêter le « nègre » (Dujon s. d. : 17). Cependant, le temps portait l’espoir du changement : l’Émancipation était proche, l’égalité, attendue. Rapidement, une foule se presse aux abords de la prison pour réclamer la libération de l’esclave Romain qui est élargi à l’instigation de l’adjoint au maire, le « mulâtre » Pory-Papy. Pour la majorité de la population, cette arrestation ne faisait que trop redouter que l’Émancipation fût mise en péril, la tension était extrême. Le soulèvement des ateliers du Prêcheur associé aux désordres (incendies, meurtres) de Saint-Pierre, capitale administrative de l’île, poussent le gouverneur de l’île, le général Rostoland à déclarer l’abolition de l’esclavage le 23 mai 1848 sans attendre l’arrivée de l’émissaire de la nouvelle République [20].

Dans les mois qui suivirent l’abolition et jusqu’en 1850, toutes les autorités judiciaires ont été attentives à la chronologie des événements qui s’étaient déroulés alors car leur éphéméride a déterminé l’application, ou non, de l’amnistie des actes violents commis entre le 22 et le 25 mai 1848 à la Martinique. En effet, si l’abolition de l’esclavage est promulguée à Saint-Pierre le 23 mai, elle l’est seulement le lendemain à Fort-de-France, le 25 au Marin, au Robert, au François, à Rivière Salée et au Lamentin, puis, le 26, aux Trois-Bourgs [21]. La nouvelle a été ainsi annoncée officiellement à toute la Martinique en trois jours alors qu’officieusement, elle s’est sans doute diffusée plus rapidement. Partout éclatent des coups de force qui, pour certains, ont la même origine qu’au Prêcheur. À Fort-de-France, le 23 mai, Jean Bouliqui est arrêté « pour avoir proféré en public des menaces de meurtre et d’incendie. Vers midi de nombreux rassemblements plus compacts, plus menaçants d’instant en instant se portèrent sur la place où était détenu le citoyen Bouliqui. Des émissaires étaient partis pour la campagne, et à deux heures de l’après-midi douze ateliers des habitations environnant le Fort-de-France se tenaient prêts à entrer dans la ville, armés de coutelas et d’autres armes dont ils étaient munis. De tous côtés, écrit l’ordonnateur au gouverneur provisoire, s’élevaient les cris de révolte » [22] qui se turent quand furent libérés le détenu et tous ceux qui étaient enfermés en vertu du pouvoir discrétionnaire des maîtres. En d’autres endroits comme au François, des habitations sont brûlées, des actes de violence sont commis, de nombreux insurgés sont arrêtés. Tous sont jugés pour avoir commis « des attentats dont le but était d’exciter la guerre civile » comme le formulaient les actes d’accusation de ces quelque cent trente inculpés. Ils sont aussi accusés de dévastation, de pillage en bande et à force ouverte, de dégradation et dégâts de propriétés mobilières, denrées et marchandises.

Jugés collectivement sur accusation du ministère public, les délibérations des procès qui débutent dès le 31 mai 1848 et se prolongent jusqu’en janvier 1850, ont eu pour objectif principal de déterminer si leurs actions pouvaient être qualifiées de « crime politique » et s’ils pouvaient donc bénéficier d’une amnistie [23]. Traduction juridique de l’oubli et du pardon qui, dans cette période de transformation radicale, envahissent les discours politiques afin de cimenter et de réconcilier les membres de la société, l’amnistie est donc fermement liée à l’Émancipation. Mais les juges des « insurgés de 1848 » se sont attachés à préciser les limites de cette notion lors de trois procès principaux.

Le crime politique et sa plasticité conjoncturelle

Les deux premiers sont instruits sur requête du procureur de la République. Le 31 mai 1848 débute la mise en accusation des citoyens qui ont participé à ce que la chambre d’accusation et la cour d’assises de Saint-Pierre, ont appelé « les troubles du François » (bien que beaucoup d’autres communes du Sud de la Martinique aient été concernées entre le 23 et le 26 mai). Quatorze dossiers de mise en accusation rassemblaient ces quelque cent trente accusés. Quelques mois plus tard, le 31 décembre 1848, s’ouvrait cette fois-ci la mise en accusation d’Adrien Charles et de six autres personnes. Incendie volontaire, destruction et pillages de propriétés mobilières, de denrées et de marchandises sont les principaux chefs d’accusation de ces deux gros dossiers. Le caractère politique de ces événements y est défini largement. Dès l’Émancipation, toutes les attaques contre des bâtiments ou même des personnes liées au système de l’esclavage sont qualifiées de « crimes politiques » car le motif politique justifiait ou expliquait les désordres [24]. Ainsi, le pillage à main armée de l’habitation dite le Petit Morne au Lamentin doit-elle être considérée comme crime politique car « l’invasion de ces divers bâtiments dépendants de cette habitation n’a été provoquée que par l’idée faussement répandue que ces bâtiments contenaient des armes destinées à combattre l’émancipation des esclaves et à faciliter l’assassinat de l’adjoint au maire, le citoyen Castor » [25]. On entend aussi par « délits politiques », « ceux qui prennent naissance dans la diversité d’opinion qui, dans la tourmente révolutionnaire, arme les citoyens les uns contre les autres ». Ou encore, un crime « exécuté dans un mouvement des esclaves contre le gouvernement, contre les libres, […] une affaire de caste, une levée de boucliers d’hommes possédés contre ceux qui les possédaient » dans l’analyse du gouverneur [26]. Or, crime politique valait, aux yeux du gouvernement, amnistie. Il était « couvert d’un immense pardon » [27] car l’amnistie des crimes politiques représentait, pour la République, « comme une transaction qui puisait sa valeur dans l’intérêt public » [28]. Pour instaurer une nouvelle ère politique et sociale, la République se devait de créer cette fiction juridique selon laquelle les faits reprochés aux accusés étaient déclarés ne pas avoir existé (Gacon 2002 : 30). Cela était sans compter avec les juges locaux dont certains étaient issus de familles de colons : pour ces derniers, l’application de l’amnistie était inadmissible. Les débats et réquisitions se sont donc organisés en trois temps. Ils ont suivi les équilibres de force entre pouvoir central et local, le fléau de la justice penchant selon que les instances juridictionnelles locales adhéraient aux préceptes républicains ou à la politique plus conservatrice de la métropole coloniale, qui s’affirme dès le mois de décembre 1848.

Dans la période qui a suivi immédiatement l’Émancipation, la date de son annonce officielle a déterminé ou non l’application de l’amnistie. Au Lamentin, « les désordres relevés par l’instruction s’étant accomplis dès 11 h du matin, le même jour, le 24 mai, il est juste d’étendre jusqu’à l’heure précise à laquelle a été connue […] l’ordonnance d’amnistie, les périodes de mouvement que traversait encore cette commune le 24 au matin » [29], c’est-à-dire jusqu’à trois heures de l’après-midi. En revanche, par la même argumentation, les charges sont jugées suffisantes contre les vingt-et-un inculpés qui comparaissent le 12 octobre 1848. Ils ont, en effet, agi le 25 mai, en bandes ouvertes sur les habitations des citoyens Desvouves père, Aubert et Grenouville après que l’amnistie eut été proclamée et connue d’eux, assure le réquisitoire à charge [30]. Opérant une rupture politique, le moment de proclamation de l’Émancipation permettait, pour des actes similaires, à certains d’être relaxés, tandis que d’autres étaient emprisonnés.

C’est en août 1848 que la définition du crime politique est restreinte. Le commissaire général Perrinon exclut alors de l’amnistie les faits de vol et de pillage tout en garantissant par ailleurs la propriété privée, et notamment la propriété de la terre que les anciens esclaves réclament (Cottias 2004). Sur le registre de la chambre d’accusation, à la suite de la déclaration fondatrice du gouverneur accordant amnistie pleine et entière aux délits politiques, est reprise une phrase indiquant les restrictions que la cour souhaite désormais lui apporter. Faisant référence à cette déclaration annonçant l’Émancipation, elle dévoie le message de réconciliation nationale qui y était donné pour n’insister que sur le respect de la propriété. Alors que le gouverneur recommandait « l’oubli du passé », la Cour ne lui attribue que le propos suivant : « Je recommande […] le respect de la propriété [31]. » S’appuyant sur cette fausse déclaration, Adrien Charles, Adolphe Figaro dit Cakinda, Lubin Roquelaure et Joseph Tincampe qui, entre le 22 au 23 mai, en bandes armées, ont pillé et incendié des plantations sont ainsi écroués. Pour la cour, il ne s’agit plus de crime politique mais bien de délits ordinaires.

Les amnistiés condamnés

La troisième affaire symptomatique de la difficulté d’accepter et d’appliquer la loi d’amnistie est encore plus explicite. À la fin de l’année 1848, trois hommes et une femme – qui n’a jamais été identifiée [32] – sont reconnus coupables du meurtre du sieur Dujon sur la dénonciation de témoins oculaires venus témoigner en faveur de Laurence accusée de vol par son ancienne maîtresse, Mme Huc, belle-mère du sieur Dujon. Au cours de la procédure menée à l’encontre de Laurence, ce meurtre jusque-là passé sous silence est révélé, presque incidemment semble-t-il, par M. Eustache, mandataire des époux Huc.

 

« Comme Dujon faisait partie de la famille Huc, dit-il, et que l’on poursuit Laurence à l’occasion d’un tort pécuniaire qu’elle aurait causé à cette famille, j’ai cru de mon devoir de mettre la justice à même de poursuivre les auteurs du tort, bien autrement grave, qu’elle a reçu par suite de l’horrible assassinat du malheureux Dujon [33]. »

 

Rapidement, Laurence est innocentée par une déposition de Mme Huc faite au consulat de Porto Rico, colonie où celle-ci s’est réfugiée puis, de nouveau, par un témoignage direct qu’elle fait à son retour à la Martinique. En revanche, Martial Pataud, maçon mulâtre et certainement homme libre avant l’Émancipation, Jean Coiffier dit Petit Frère et Jules Adra, tous deux cultivateurs noirs [34], sont arrêtés le 30 décembre 1848 sous l’inculpation de meurtre et jugés entre le 3 et le 5 février 1849. Comme l’indique la façon de noter leur nom dans le témoignage de Cyrille, ils sont esclaves au moment du meurtre. Leur nom d’esclave est donné par Cyrille et leur nom d’homme libre noté entre parenthèses : Petit (Jules Adra), Petit Frère (Jean Coiffier). C’est l’instruction sur le prétendu vol commis par Laurence, appartenant à la puissante famille Huc, qui justifie la recherche des coupables du meurtre du gendre de M. Huc – ce qui est surprenant du point de vue procédural.

Au cours d’une instruction beaucoup plus fouillée que toutes les autres, le témoin Cyrille rapporte le 17 février 1849, un événement qui s’est déroulé le 22 mai 1848 en début d’après-midi :

 

« J’ai reconnu les travailleurs de l’atelier Dujon, savoir : Petit (Jules Adra), provenant de l’habitation Neuilly, qui était armé d’un fleuret ; Petit Frère (Jean Coiffier), qui avait un coutelas ; Colas, Alphonse et les autres, armés de coutelas. D’autres individus et notamment Martial Pataud, avaient des fusils. Quand, au débouché du chemin particulier de l’habitation Huc, M. Dujon a été saisi, Colas s’est écrié : “Ah, mon maître ! mon maître !” Mais des coutelas ont été levés sur lui et il s’est effacé pour parer les coups. J’ai demandé : “Qu’est-ce qu’il y a”, quelqu’un m’a répondu : “C’est votre maître qu’on fait danser la polka et marcher à genoux”. Je me suis avancé, et j’ai vu M. Dujon, qui avait déjà reçu quatre coups de coutelas sur les bras et dans le dos. Il n’avait plus ni chapeau, ni veste, ni souliers. En ce moment, un homme de couleur qui arrivait à cheval du Prêcheur, a passé. Il a crié aux nègres : “Que faites-vous de ce blanc ? Les blancs tuent les nègres au Prêcheur !” […] Aux paroles de cet homme, la foule irritée contre M. Dujon a répondu : “frappez-le ! frappez-le !”. Alors Petit (Jules Adra) lui a porté un coup de pierre au front d’où un morceau de chair s’est détaché. J’ai vu Petit (Jules Adra) accabler de coups son maître qui courait. “Ah ! Petit Frère (Jean Coiffier), sauvez-moi donc la vie !”, s’est écrié M. Dujon. Petit Frère (Jean Coiffier) a répondu : “Il est trop tard !” [35]. »

 

Quelque temps plus tard, Dujon est achevé par des coups de fusil tirés par Martial Pataud, disent les témoins, dans la chambre du géreur de l’habitation Canonville où il s’était réfugié.

La scène du meurtre s’est ainsi jouée en deux temps : Jules Adra dit Petit et Jean Coiffier dit Petit-Frère donnent des coups de coutelas à leur maître, puis Martial Pataud, qui travaillait sur l’habitation Perrinelle, armé d’un fusil, l’achève. Jules Adra est le plus jeune, il a seize ans et a été acheté par Dujon à l’habitation Neuilly. Il est, semble-t-il, le plus violent. Jean Coiffié, lui, a prononcé la sentence définitive contre son maître (« c’est trop tard »), sans que des actes particuliers lui soient reprochés. Il a été dénoncé et arrêté alors que certains ne l’ont pas été. Martial Pataud a achevé la victime.

Le meurtre de Dujon, simplement noté au 23 mai dans le journal de Pierre Dessalles (1984) : « au Prêcheur, un M. Dujon a été massacré », apparaît jusqu’à la procédure contre Laurence, comme un non-événement. Neuf mois plus tard, cependant, avec la nouvelle donne politique conservatrice, c’est-à-dire après l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte comme président et le départ du général Rostoland, la question de la requalification de ce crime est abordée. Celle de la validité de la procédure qui a été suivie à l’encontre des meurtriers est aussi discutée. Le débat est organisé autour du contenu exact de l’amnistie prononcée par le gouvernement. Dès le mois d’août, le commissaire de la République Perrinon, a exclu « les faits de vol et de pillage du bénéfice de l’immense pardon qui les avait couverts jusqu’alors » [36]. C’est en s’appuyant, comme dans l’affaire Adrien Charles, sur cette restriction apportée à l’amnistie que certains magistrats locaux – notamment Henrion, « signalé comme cédant facilement aux influences toujours ardentes aux colonies » – prennent prétexte de l’instruction menée contre Laurence accusée de vol (délit exclu de l’amnistie) pour engager une procédure contre les assassins de Dujon (qui, eux, devaient bénéficier de l’amnistie). Sous le prétexte que ces délits ont été commis contre des membres d’une même famille, ces magistrats associent les deux affaires afin de justifier une procédure qui contredisait la justice politique affichée par la République et rétablissait les pratiques discrétionnaires des sociétés esclavagistes. En effet, dans cette période de trouble, plusieurs meurtres commis sur des personnes appartenant à la classe des maîtres étaient susceptibles de poursuites. Non qu’il n’y eut pas de victimes dans la classe des « nouveaux affranchis », mais il ne semble pas qu’aucun de ces faits ait été suivi d’une mise en accusation. Seul le meurtre du beau-fils du maire du Prêcheur, Monsieur Huc, fait l’objet de pareille procédure, montrant la soumission de la justice aux pouvoirs locaux.

Une semaine après que Laurence eut été innocentée, des témoins, tous liés à la famille Huc, sont entendus le 3 février 1849 par le juge d’instruction qui, sans réquisition du ministère public, se livre à une nouvelle enquête. Le même jour, il délivre deux mandats d’amener : l’un contre Martial Pataud, l’autre, contre une marchande de poisson restée inconnue. Deux jours plus tard, un témoin qui a déjà été entendu, Clément Juge, géreur de l’habitation Huc, se présente « spontanément » pour dénoncer les coauteurs de l’assassinat et relever une erreur dans la rumeur qui circule à leur sujet : il ne s’agit pas de Petit Compère mais de Petit, et de Petit Frère [37]. Ceux-ci sont inculpés, comme Martial Pataud. Le 8 février, après l’audition de témoins, ils sont tous les trois mis sous les verrous. Cependant, la chambre d’accusation décide en vertu de l’amnistie et de la parole du gouverneur qui avait promis « oubli et pardon », de les libérer, le 24 février 1849. Quoique close, l’affaire continue, révélant les tensions au sein de la justice et de l’administration coloniales. Fallait-il permettre que le meurtre de « ce martyr de la transformation sociale de la colonie [38] » soit amnistié se demandaient les magistrats locaux ? Le procureur de la République se déclare publiquement prêt à poursuivre les auteurs des assassinats commis le 22 mai, provoquant « une profonde tristesse parmi la population noire », rapporte-t-on. Il est question que celle-ci adresse une supplique pour arrêter la procédure. On dit même que « Dujon est le seul blanc qui ait péri dans le mouvement du Prêcheur où un assez grand nombre de noirs ont perdu la vie [39] ». La population se plaint aussi que cette procédure montre qu’on a oublié des promesses pourtant consacrées par une messe solennelle. C’est précisément autour de cette question que le droit universaliste a été transformé par l’autorité locale en droit de l’exception. Les contradictions entre un exercice local de la justice et la règle de droit nationale sont apparues, tout comme les possibilités de manipulation et d’interprétation de cette dernière. En effet, au cours des débats du Conseil privé que le gouverneur Bruat ne veut pas voir ébruiter à l’Assemblée nationale, le statut de ces hommes est débattu lors de séances qui révèlent la réinstauration du pouvoir des grands propriétaires. Comme l’écrivait le gouverneur au ministre, il y avait « nécessité de sortir de cette situation déplorable par un acte qui, tout en rassurant la classe qui avait été menacée, prouvât néanmoins que la volonté inébranlable du Gouvernement était de ne point rentrer dans le passé » [40].

Malgré des avis contraires exprimés par certains magistrats comme Husson, lors de la séance du 24 février 1849, ces hommes [41] qui demeurent amnistiés pour garantir la tranquillité du pays, sont requalifiés comme individus « dangereux pour la colonie ». D’une part, ils menacent l’ordre public car la réprobation que la population va leur manifester peut entraîner des troubles et réveiller des passions. D’autre part, l’usage qu’ils pourraient faire de leurs droits civils et politiques serait « une violation réelle de la constitution que la République a voulu donner à des hommes libres, purs et considérés » [42]. Aussi, pour les protéger de la vindicte populaire et les soustraire au déshonneur de leur position, décision est prise, dans le secret, de les exclure pour une durée illimitée de la colonie [43] ! Sans autre forme de procès, le directeur de l’Intérieur est immédiatement chargé de s’enquérir auprès d’eux de la colonie ou du lieu quelconque hors de la Martinique et de la Guadeloupe, où ils voudraient établir leur domicile afin qu’on puisse les y faire passer le plus prochainement possible.

En application de l’article 173 de l’ordonnance organique administrative du 22 août 1833, le gouverneur prononce l’exclusion illimitée de la colonie contre les trois hommes amnistiés, car « amnistie n’est pas grâce » précise le procureur général au Conseil privé du 24 février 1849. Or, selon l’article 75 de l’ordonnance organique du 9 février 1827, le gouvernement ne pouvait prononcer l’exclusion que pour « des actes tendant à attaquer le régime constitutif de la colonie » [44]. Il n’en était nullement question dans l’assassinat du sieur Dujon. Le processus de réimposition de la hiérarchie de pouvoir – qui s’exerçait à la même époque dans les jurys cantonaux (Cottias 2004) – était ici aussi conforté.

La déportation des « hommes dangereux » : trois destins dans l’espace colonial français

Les pouvoirs administratifs du xixe siècle renouaient par cette affaire avec une institution des plus anciennes, celle de la déportation d’individus considérés comme « dangereux ». Dans le cas des amnistiés/condamnés de 1848, il est concédé à ceux-ci, sans doute du fait de leur statut exceptionnel, la possibilité de choisir leur lieu de déportation. Seules les colonies des Antilles voisines leur sont interdites, car les communications sont trop faciles. En revanche, l’ancienne colonie française de Saint-Domingue devenue Haïti lors de son indépendance, constitue, pour les autorités, un choix acceptable.

Que ce soit dans les relations politiques, diplomatiques ou économiques, Haïti est, en effet, demeurée très présente pour la France [45]. Une représentation consulaire est installée à Port-au-Prince en ces années 1850 (Dorsainvil 1934). Plus encore, Haïti appartient, comme on l’a vu précédemment, au quotidien des nouvelles publiées dans les journaux de la colonie. On y lit régulièrement des nouvelles de Soulouque devenu empereur d’Haïti sous le nom de Faustin Ier. Mais ce n’est pas tout. Au sein de la population, Haïti est certainement demeurée un symbole de liberté. C’est d’ailleurs l’argument donné par Martial Pataud quand il lui est demandé de choisir une destination d’exil. Il dit alors qu’« il consentait à se rendre à l’île d’Haïti qui lui avait été indiquée comme pays exclusivement au pouvoir de la descendance africaine ». Le 23 août 1849, il est embarqué sur le navire le Sévère à destination des Cayes en ayant reçu vêtement et argent pour subvenir à ses premiers besoins et « un passeport régulier ne portant aucune indication spéciale » [46]. Il a défense de revenir dans la colonie avant sept ans.

Pourtant, l’image d’Haïti n’a peut-être pas résisté à la réalité du pays. Sans que l’on sache quels arguments ont prévalu, ni même s’il est allé jusqu’en Haïti, le 10 novembre 1849, Martial Pataud reparaît à la Martinique, débarquant à Saint-Pierre d’une goëlette venant de Saint-Thomas. Il est rattrapé dans la campagne du Prêcheur et mis au cachot à la fois pour sa rupture de ban mais aussi pour une accusation de vol… qui lui vaut la liberté. En effet, relaxé pour le vol, il est, par erreur disent les rapports, relâché. « Recherché depuis lors par la police, il n’a pu être repris, on ignore jusqu’à présent s’il a fui à la Dominique ou s’il est caché dans la campagne du Prêcheur qui lui offre les asiles les plus assurés [47]. »

C’est à son retour à la Martinique, que les autorités coloniales ont engagé un débat sur le lieu de détention propice aux trois amnistiés/condamnés. L’espace antillais semble trop étroit au gouverneur général des Antilles françaises :

 

« Les communications illicites par pirogues avec la Dominique sont tellement faciles et pratiques dans les deux colonies, qu’il pourrait un jour, revenir tout aussi aisément de cette île anglaise que de sa retraite du Prêcheur. Sainte-Lucie offre dans le sud les mêmes conditions que la Dominique dans le nord [48]. »

 

Après de longues discussions, il est alors proposé au ministre de la Marine et des Colonies de déporter les trois hommes au Sénégal. En juillet 1851, Jean Coiffier qui était retenu en prison jusqu’alors, est embarqué à bord de la corvette la Brillante. Il est déposé directement à Gorée avec des vêtements et de l’argent. Ainsi, un homme de la Martinique faisait, à nouveau sous la contrainte, le chemin inverse à celui de la traite et revenait sur le continent africain. À la même date, Jules Adra dit Petit était, toujours détenu dans les geôles de la Martinique à la suite de poursuites judiciaires pour blessures envers un de ses codétenus, mais l’administration prévoyait son départ. À ce stade de notre recherche, la trace de ces hommes s’arrête là, les archives coloniales classées par zone géographique ne permettant pas de suivre l’histoire de cet homme (ou de ces hommes) au Sénégal, perdu dans des terres qu’il ne connaît pas, ou sans doute si peu. Toutes les questions sur son insertion ou non dans ces nouvelles sociétés, sur son accueil et sur son retour éventuel à la Martinique demeurent pour l’instant en suspens. On ne sait rien non plus sur le destin de Martial Pataud que le député Bissette tente de défendre.

* * *

Un premier aboutissement de ces affaires judiciaires s’arrime à la question de l’organisation et de la gestion de la mémoire dans l’espace colonial postabolitionniste. Au-delà des usages locaux du droit positif qui ont produit une retraduction normative de la relation de domination, l’histoire de ces trois « hommes dangereux » montre combien ils sont soumis à une justice qui se positionne comme « coloniale » – c’est-à-dire qui envisage les possibilités de déplacement des condamnés dans un éventail de possibilités déjà global, allant des plus anciennes colonies aux plus nouvelles. Même si l’administration centrale a pu ranger les colonies par catégories (selon leur histoire, leur origine de peuplement [49] et leur utilité définie dans l’empire colonial français), ce récit de transportation invite à tester les tensions dans l’Empire (Cooper et Stoler 1997) non pas seulement dans une interaction entre les colonies et la métropole mais aussi entre les colonies elles-mêmes. Par le biais du pouvoir colonial ou, parfois, en dehors de sa contrainte, les individus sont passés d’une colonie à une autre, entraînant une circulation des représentations sociopolitiques et tissant des liens ténus entre les espaces. Toutes les trajectoires individuelles de ces « coloniaux » (autres que les administrateurs) ont ainsi dessiné un champ d’expérience et de savoir vernaculaire sur le fait colonial qui ont laissé des traces dans des histoires de vie que la recherche a peu travaillé mais qu’une microhistoire de l’espace atlantique ou colonial commence à saisir de façon féconde.

Le second aboutissement est ancré dans le politique. En effet, le soulèvement des esclaves du Prêcheur a connu différentes mises en récit, toutes partielles. Elles oscillent entre allusions inexactes comme dans l’ouvrage de Gaston Martin en 1948, Histoire de l’esclavage dans les colonies françaises[50] ou références brèves aux « graves désordres » de l’époque (Delaunay-Belleville 1963 : 36). Ces récits ont suivi les revendications statutaires des Antilles. Jusqu’au vote de la loi de départementalisation, en 1946, louange est faite à la République d’avoir accordé l’émancipation aux esclaves coloniaux. Les retournements sémantiques puis politiques sont apparus d’abord furtivement sous la plume d’originaires des Antilles. Même si c’est en note de bas de page [51], Césaire Philémon, lors de l’exposition coloniale de 1931, réintroduit pour la première fois, les « Noirs » en tant qu’acteurs de leur propre histoire en soulignant que l’abolition de l’esclavage a été arrachée de force aux autorités locales tout en déplorant « la malheureuse affaire de Sanoix » où périrent une trentaine de « Blancs » [52]. Il initiait une autre représentation du passé. Deux années après le vote de la loi de départementalisation, une forme héroïque du soulèvement des esclaves du Prêcheur était consolidée. Lors du centenaire de la commémoration de l’abolition de l’esclavage, à la date officielle du 27 avril, Aimé Césaire, à la Sorbonne, en présence du président de la République française, en appelait à V. Schoelcher qui força la main à la République mais aussi aux « nègres » qui « sentirent que la liberté ne tombe pas du ciel ; qu’elle ne s’accorde jamais tout à fait ; qu’elle se prend et se conquiert » (Césaire 1948 : 20) [53]. La révolution antiesclavagiste [54] était opposée au récit d’une abolition de l’esclavage décidée par la métropole, un récit qui faisait jusque-là consensus politique et social [55]. Il initiait ainsi un long processus de revendications nationalistes et identitaires autour du 22 mai, jour du soulèvement des esclaves du Prêcheur et de Saint-Pierre. Consolidé par le Parti communiste martiniquais puis différents partis de gauche, s’appuyant sur la publication du travail d’Armand Nicolas (1960), le débat autour de la date de commémoration de l’abolition – 27 avril ou 22 mai ? – n’a cessé de s’amplifier au fur et à mesure que la relation des départements français d’Amérique avec l’hexagone était discutée et critiquée. La grille de lecture marxiste appliquée à l’histoire des colonies avait fait émerger un moteur révolutionnaire, celui de l’esclave, acteur de sa propre histoire alors que le discours républicain, au nom de l’universalisme, était accusé de l’avoir gommé (Jollivet 1987 ; Delépine 1999) [56]. Or, à la lumière des différentes affaires qui ont été jugées tout de suite après l’abolition de l’esclavage, on pourrait ajouter que la formidable utopie égalitariste de la République a rapidement buté sur la mise en application effective de ses propres règles. Sans amnistie ni reconnaissance complète en tant que « crime politique », le mouvement des esclaves de 1848 a été renvoyé au statut de délit de droit commun. Alors que l’amnistie aurait pu permettre la reconnaissance de la légitimité des divers soulèvements au nom de la communauté imaginée que créait la République, son application partiale par les hommes politiques locaux, a empêché une écriture plus complète de l’histoire de l’abolition de l’esclavage. Cela a suscité depuis des antagonismes historiographiques violents et conduit à poser comme condition de légitimité du discours historique, la nécessité de placer en son centre la révolte des esclaves du Prêcheur (et non celle des autres esclaves de la Martinique). Avec l’aide de la nature, ce changement de narration historique a été comme marqué dans le paysage martiniquais. Sur la route qui va du Prêcheur à Saint-Pierre, près de la Rivière Blanche, la croix qui marquait l’endroit où le sieur Dujon a été tué a été emportée par la lave déversée par la Montagne Pelée en 1902. À sa place ou non loin, a été planté depuis un écriteau en « hommage aux esclaves insurgés ».

 
Au quartier de Sainte-Philomène, au Prêcheur, proche de la Rivière Blanche, ce panneau d’hommage aux esclaves insurgés du 22 mai, signé des principaux mouvements indépendantistes martiniquais. © Cliché Monique Duval.
Notes
  • [1]
    Centre des archives d’Outre-mer (par la suite CAOM). Carton 165, dossier 1518.
  • [2]
    CAOM. Carton 165, dossier 1518.
  • [3]
    Voir le récit qu’en fait François Arago dans ses Mémoires (Césaire 1948: 15). Arrêté du 4 mars 1848: « République française Liberté, Égalité, Fraternité. Le ministre provisoire de la marine et des colonies arrête : La commission instituée par arrêté du Gouvernement provisoire pour préparer l’acte d’émancipation des esclaves dans les colonies de la République sera composée des citoyens: Victor Schoelcher, président; Mestro, directeur des colonies; Perrinon, chef de bataillon d’artillerie de marine; Gatine, avocat aux conseils; Gaumont, ouvrier horloger; Secrétaires de la commission: le citoyen Wallon et le citoyen Persin. Paris, le 4 mars 1848. F. Arago » (Le Moniteur universel, Journal officiel de la République française 1848).
  • [4]
    Élodie Dujon décrit des scènes de décapitation dans une forme qui emprunte aux récits de la Grande Peur (Dujon s. d.: 27). Voir également Dubois 1998.
  • [5]
    Dessalles semble ignorer, en effet, la proclamation du ministre François Arago et apprend la nouvelle le 27 mars.
  • [6]
    Pour la première fois, à la différence de la Guadeloupe, voir Dubois 1998.
  • [7]
    Du terme anglais « packet-boat », paquebot.
  • [8]
    CAOM. Carton 56, dossier 464. Lettre de Rostoland au ministre, Fort-de-France, le 28 mai 1848.
  • [9]
    Ibid. Lettre du 31 mars 1848.
  • [10]
    CAOM. Carton 56. Lettre du gouverneur au ministre le 29 avril 1848.
  • [11]
    Ibid. Extrait du Courrier de la Martinique du mercredi 26 avril 1848 – Pour une autre analyse de ces scènes, voir Delépine 1999: 15-62.
  • [12]
    Ibid. Le procureur général, le 23 avril 1848 à Saint-Pierre.
  • [13]
    Au moment de la discussion de la loi Mackau du 18 juillet 1845 (discussion de l’indemnité), est envoyé au Conseil colonial de la Martinique l’ouvrage de M. Lepelletier de Saint-Rémy, auditeur au Conseil d’État, Saint-Domingue, Étude et solution nouvelle de la question haïtienne (voir séance du 3 juin 1846).
  • [14]
    « Le nommé Donis qui paraît appartenir à la classe aisée de la population […] était porteur d’un billet de 200 F souscrit par une tierce personne et qui lui avait été donné en paiement d’une acquisition par M. de Saint-Rémy le père avec la stipulation de non recours […] se trouvait à la tête d’un rassemblement et qui est d’ailleurs un homme grand et fort, a sommé M. le Pelletier de Saint-Rémy de lui payer cette somme. » CAOM. Carton 56. Lettre du procureur général le 26 avril 1848 à Fort-de-France.
  • [15]
    Ibid.
  • [16]
    CAOM. Carton 56, dossier 464. Lettre du 9 avril 1848.
  • [17]
    Ibid. (Voir aussi Delépine 1999: 36-37).
  • [18]
    « Vous êtes des sots et on vous remettrait dans l’esclavage si je ne vous instruisais pas. Sans moi qu’arriverait-il? Vous seriez obligés de saluer un blanc jusqu’à terre et s’il vous rendait un coup de pied pour récompense de votre politesse vous seriez obligés de le remercier encore. Pourtant cela arrivera si vous ne m’écoutez pas. Et pour que cela n’arrive pas et pour que la couleur l’emporte il faut que vous fassiez ici ce que vos frères ont fait à Saint-Domingue » (p. 326). Ibid. 5 Juin 1848.
  • [19]
    Acte d’accusation, août 1851, Cour d’assises de la Basse-Terre, le 6 octobre 1851, CAOM (in Fisher-Blanchet 1981). Le conseiller Garnier cite la correspondance de Sénécal jugé en Martinique le 1er octobre 1851, dans laquelle il avait écrit: « Vous êtes des sots […]. »
  • [20]
    Dès le matin du 23 mai, le conseil municipal de Saint-Pierre avait adopté une motion demandant au gouverneur de prendre la décision d’abolir l’esclavage à la Martinique, CAOM, carton 56. Voir également pour un récit très détaillé des événements, Delépine 1999: 42-56.
  • [21]
    Rivière Salée, Trois-Îlets.
  • [22]
    CAOM. Carton 165, dossier 1518.
  • [23]
    Que la Constitution du 4 novembre 1848 clarifie pour la première fois (Gacon 2002: 30).
  • [24]
    CAOM. Carton 165, dossier 1518, 17 février 1849.
  • [25]
    Chambre d’accusation, 8 octobre 1848.
  • [26]
    CAOM. Carton 165, dossier 1518, 17 février 1849.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    Ibid.
  • [29]
    Registre des actes d’accusations de la Cour de Fort-de-France
  • [30]
    Il faut noter que l’Émancipation est annoncée ce même jour au François.
  • [31]
    La citation exacte est la suivante: « Je recommande à chacun l’oubli du passé; je confie le maintien de l’ordre, le respect de la propriété, la réorganisation si nécessaire du travail, à tous les bons citoyens », proclamation du général de brigade, gouverneur provisoire Rostoland, Saint-Pierre le 23 mai 1848.
  • [32]
    Elle est « marchande de poisson » selon la rumeur.
  • [33]
    CAOM. Carton 165, dossier 1518, 17 février 1849.
  • [34]
    Le premier est dénommé dans les documents, « mulâtre », les deux autres, « noirs ».
  • [35]
    CAOM. Carton 165, dossier 1518. Plusieurs récits discordants ont été faits de ce meurtre par sa femme, Élodie Dujon, par le conseiller Garnier qui siège lors des procès, par son beau-père, M. Huc, dans un rapport sur les événements. Pour cet article, je n’ai retenu que le témoignage qui était consigné dans le dossier d’accusation.
  • [36]
    CAOM. Carton 165, dossier 1518, 24 février 1849.
  • [37]
    Ibid. 17 février 1849. Élodie Dujon, elle, attribue la responsabilité du meurtre de son mari à une autre personne: « À la hauteur du Fond Canonville, dit-elle, il fit la rencontre d’une bande considérable armée de coutelas, conduite par un mulâtre libre, Joseph Lapointe, et il comprit que sa vie était entre leurs mains » (Dujon s. d.: 83).
  • [38]
    CAOM. Carton 165, dossier 1518.
  • [39]
    Ibid. 24 février 1849.
  • [40]
    Ibid.
  • [41]
    Entre-temps, les charges contre la marchande de poisson inconnue ont été abandonnées.
  • [42]
    CAOM. Carton 165, dossier 1518, 24 février 1849.
  • [43]
    Le gouverneur, usant du pouvoir conféré par l’article 173 de l’ordonnance organique administrative du 22 août 1833, prononce « l’exclusion illimitée de la colonie contre les citoyens Martial Pataud, Jules Adra dit Petit et Jean Coiffié dit Petit Frère par application de la 3è partie du 1er § de l’article 75 de l’ordonnance précitée, à charge de rendre compte immédiatement au ministre ainsi qu’il est prescrit par l’article 80 ».
  • [44]
    CAOM. Carton 165, dossier 1517.
  • [45]
    Il est significatif de constater que, lors des fêtes du tricentenaire du rattachement des Antilles à la France, la croisière organisée par la France passe par Haïti pour marquer des liens quasi inébranlables, selon des auteurs comme Leblond (1937).
  • [46]
    CAOM. Carton 165, dossier 1518, 14 juillet 1851.
  • [47]
    Ibid.
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    L’argument racial explique sans doute que les trois condamnés de la Martinique furent déportés dans des pays considérés comme « noirs » et non pas, par exemple, en Algérie. Le gouverneur, dans ses lettres indiquent qu’ils sont « noirs » ou « mulâtre ».
  • [50]
    « Des troubles éclatèrent à peu près dans toutes les îles; peut-être encouragés par les planteurs qui voyaient, dans la crainte qu’ils susciteraient, un moyen de prolonger leurs privilèges: incendies de plantations et massacres de blancs à la Martinique, état de siège à la Guadeloupe, institution d’un régime de travail forcé à la Guyane et à la Réunion […] où les trois quarts des nègres avaient quitté les habitations, et d’où ils disparaîtront comme main-d’œuvre mercenaire après 1851. » (Martin 1948: 295)
  • [51]
    « On se rappelle que c’est peu avant l’abolition de l’esclavage – arrachée de force aux autorités locales de la Martinique avant l’arrivée de Perrinon – que se place la malheureuse affaire de Sanoix ou de la rue d’Orléans, laquelle n’est certainement pas sans présenter quelque rapport avec les questions de haines de races à la Martinique. » (Philémon 1931: 117)
  • [52]
    Édouard Delépine discute dans son ouvrage du silence qui s’est établi autour du 22 mai (1999: 159-162).
  • [53]
    Le discours d’Aimé Césaire est repris par le journal Justice (1948) à la Martinique.
  • [54]
    Dans les termes d’Armand Nicolas.
  • [55]
    Que ce soit dans le journal Justice ou dans Le Clairon (1948), dans un article intitulé « Le régime de l’esclavage », Jules Boisson écrit: « Effectivement, l’esclavage fut aboli à la Martinique par décret, en date du 4 mars 1848, promulgué dans la colonie le 27 avril de la même année. »
  • [56]
    En 1983, à la faveur des lois de décentralisation, un décret a établi des dates locales pour commémorer l’abolition de l’esclavage tout en instaurant dans toutes les écoles de la République, une heure, le 27 avril, pour réfléchir à l’esclavage et son abolition, sans que cela ne soit jugé suffisant par les forces politiques des Antilles et de la Guyane, essentiellement de gauche. Les tensions ont persisté et l’on sait la difficulté récente de trouver une date nationale pour commémorer l’abolition de l’esclavage en application de la loi 23 mai 2001 dite « loi Taubira ». Entre les diverses propositions de dates signifiantes à la fois sur le plan national et dans les différents endroits concernés, un difficile consensus s’est établi autour du 10 mai, date du vote par le Sénat de la loi Taubira (Comité pour la mémoire de l’esclavage 2005).