Écrire l’histoire des révolutions

 
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1Deux siècles de révolutions ont engendré de grands débats historiographiques. Véritables « laboratoires » qui ont structuré notre espace politique [1]les ont toujours été la source d’un usage public du passé. Leur histoire s’écrit dans un champ magnétique qui polarise conflits, idées, passions, attentes et mémoires ; voilà pourquoi elle suscite tant de controverses.

Une historiographie fracturée

2Comment s’écrit l’histoire des révolutions et quelles ont été ses trajectoires ? Pour esquisser la généalogie de cette « histoire des histoires », il faut revenir aux origines, car l’historiographie suit la naissance du concept moderne de révolution, issu de la césure radicale de 1789 [2][…. Le mot change alors de signification. Il ne désigne plus un cycle historique qui s’achève par le retour au point de départ – au sens astronomique du terme –, mais une rupture du continuum de l’histoire. Ainsi il fut utilisé par des auteurs aussi divers que Burke, Maistre et Chateaubriand, puis, en remontant le xixe siècle, John Stuart Mill, Cattaneo, Pisacane, Mazzini, Marx, Tocqueville, Bakounine, Herzen, Kossuth et Burckhardt, pour ne citer que les noms les plus significatifs [3][3]Voir notamment Jean-Numa Ducange, La Révolution française et…. La césure de 1789 reconfigure l’époque antérieure en lui donnant un profil nouveau : elle intègre dans un ensemble cohérent et doté de sens ce qui jusqu’alors apparaissait fragmentaire et disparate. D’une certaine façon, suggère Roger Chartier, c’est la Révolution française qui construit les Lumières telles que nous les concevons aujourd’hui [4][4]Roger Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution…. C’est elle qui les fait apparaître comme « un mouvement intellectuel polyphonique et profondément réflexif […] qui accompagne l’entrée dans le monde moderne [5][5]Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières. Ambivalences de la… ». C’est donc après 1789 que « naît » en quelque sorte la Révolution anglaise de Cromwell , auparavant appréhendée exclusivement comme guerre civile (à la différence de la « révolution glorieuse » de 1688, l’avènement d’une monarchie constitutionnelle), et que, aux États-Unis, la guerre d’indépendance devient la Révolution américaine [6][6]Voir Arno J. Mayer, Les Furies 1789-1917. Violence, Vengeance,….

3L’historiographie des révolutions prend son départ de cette mutation : une révolution n’est pas un retour, c’est une rupture sociale et politique, le démantèlement d’un appareil d’État et l’édification d’un nouveau pouvoir, souvent la transformation des relations de production et de propriété d’un pays, la chute d’un système de domination et la formation d’une nouvelle élite. Écrire l’histoire des révolutions signifie interpréter des soulèvements qui surgissent d’en bas et mettent en mouvement la société : elles déploient des énergies insoupçonnées qui sommeillent dans le corps social ; elles transforment des classes laborieuses en sujets politiques et, au moins pendant un moment, en acteurs de l’histoire. L’historiographie opère au sein d’un champ sémantique très vaste, notamment au xxe siècle, lorsque parler de révolution industrielle, technologique, culturelle, sexuelle, etc., devient courant, mais c’est la signification politique du mot qui en constitue le paradigme. Loin de s’inscrire dans un processus linéaire et cumulatif, les révolutions marquent une rupture soudaine qui devient irréversible, car aucune restauration ne conduit au pur et simple rétablissement de l’ordre antérieur. Les révolutions possèdent leur propre dynamique qui transcende leurs prémisses et ne peut donc pas être expliquée par une causalité déterministe. Elles laissent des traces comme des ondes longues qui se propagent. Ce simple constat indique qu’écrire sur des événements de cette nature n’est pas une opération axiologiquement « neutre » ; au contraire, cela a des implications idéologiques et politiques.

4La taxinomie conventionnelle qui distingue soigneusement entre histoire sociale, politique, culturelle, etc. n’est certes pas inutile, car il existe une grande variété d’approches, de méthodes d’analyse et d’objets d’investigation. Une histoire sociale des révolutions comme celle brossée par Charles Tilly, Theda Skocpol et George Lawson ne partage pas grand-chose avec un récit purement intellectuel comme celui de Jonathan Israel [7][7]Charles Tilly, Les Révolutions européennes, 1492-1992, Paris,…. L’historiographie reste néanmoins traversée par des lignes de partage qui nous ramènent aux césures politiques et idéologiques introduites par les révolutions. Deux siècles après 1789 et plusieurs décennies après 1917 , des historiens se pressaient de souligner que les révolutions française et russe avaient achevé leur trajectoire ; en même temps, ils participaient dans les médias et les commémorations publiques à instruire les procès rétrospectifs du jacobinisme et du bolchévisme. Les « tribunaux » qui les administraient se voulaient scientifiques et dépassionnés, mais leurs juges émettaient leurs verdicts dans la presse ou les chaînes de télévision. L’historiographie des révolutions n’échappe pas aux usages publics du passé, un passé vis-à-vis duquel il n’y a pas d’observateurs neutres et détachés.

5Au xixe siècle, les révolutions étaient lues au prisme du conflit entre tradition et modernité, Ancien Régime et constitutionalisme. Le récit contrerévolutionnaire demeurait puissant [8][8]Voir Jean Tulard (dir.), La Contre-Révolution. Origines,… et ce clivage intellectuel opposait, au-delà de leurs sensibilités différentes, des libéraux tels que François Guizot, Alexis de Tocqueville et Edgar Quinet à des légitimistes comme l’abbé Barruel et Hyppolite Taine [9][9]Voir Olivier Betourné et Aglaia I. Hartig, Penser l’histoire de…. Il divisait aussi des fins narrateurs du peuple insurgé comme Jules Michelet et Thomas Carlyle [10][10]Voir Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, éd.…. L’enjeu de l’époque est bien résumé par Tocqueville dans les pages qui ouvrent ses Souvenirs (1851), dans lesquelles il évoque « une lutte acharnée entre l’ancien régime, ses traditions, ses souvenirs, ses espérances et ses hommes représentés par l’aristocratie, et la France nouvelle conduite par la classe moyenne [11][11]Alexis de Tocqueville, « Souvenirs », Lettres choisies,… ».

6Ce tableau, cependant, ne rend pas compte des nouvelles lignes de faille qui émergent en 1848. Le Printemps des peuples portait des aspirations démocratiques et nationales au sein desquelles se cristallisèrent des traditions révolutionnaires – républicanisme, jacobinisme et socialisme – qui plaçaient la question démocratique au centre du débat politique, surtout lorsqu’elles revendiquaient le suffrage universel [12][12]Sylvie Aprile, Raymond Huard, Pierre Lévêque et Jean-Yves…. Certes, ce n’est que bien plus tard que les historiens exploreront l’« impensé de la représentation » dans un imaginaire politique dix-neuvièmiste où ne trouvaient place ni les femmes ni les indigènes du monde colonial [13][13]Sur l’« impensé de la représentation » dans l’historiographie…, ou évalueront la signification de 1848 dans le « long xixe siècle » [14][14]Voir Quentin Deluermoz, Le Crépuscule des révolutions…. Cependant, c’est au fil de ce siècle contrasté que s’esquissa, de façon encore embryonnaire, une vision de la modernité alternative au libéralisme.

7Au xxe siècle, la Révolution russe changea la donne et l’historiographie devint un miroir du conflit entre défenseurs et détracteurs du communisme, croisés et ennemis du « monde libre ». En 1989, les « révolutions de velours » dans les pays du socialisme réel aboutirent à la victoire du champ anticommuniste, tout en créant les conditions pour l’émergence de nouveaux paradigmes affranchis des clivages (et des chantages) du passé. Une comparaison entre les travaux des années 1960 et 1970 avec ceux des deux décennies suivantes, marquées par la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, le tournant économique néolibéral et la « crise du marxisme », révèle une mutation profonde des regards et des langages. Limitons-nous aux deux cas les plus significatifs : l’historiographie de la Révolution française et celle de la Révolution russe, tout en rappelant quelques-uns de leurs représentants. La première connut un véritable renversement idéologique, avec le déclin du courant « jacobino-marxiste » (une longue tradition allant de Georges Lefebvre et Albert Mathiez à Albert Soboul et Michel Vovelle) et l’essor du courant libéral, certains diraient « thermidorien », incarné tout d’abord par François Furet, qui imposa son hégémonie pendant deux décennies [15][15]Steven Kaplan, Farewell, Revolution. The Historians’ Feud.….

8L’historiographie de la Révolution russe fut investie par une puissante vague anticommuniste qui, surtout aux États-Unis, redonna vigueur à des vieux combattants comme Martin Malia, Richard Pipes et Robert Conquest, rejoints par des chercheurs plus jeunes comme Robert Service, et qui, tout au moins dans les médias et dans l’édition, balaya l’ancienne historiographie marxiste. Ce triomphe spectaculaire, dont Le Livre noir du communisme fut l’expression emblématique [16][16]Stéphane Courtois (dir.), Le Livre noir du communisme. Crimes,…, révéla cependant assez vite son caractère parasi taire, celui d’une historiographie enrôlée par les vainqueurs, et sa relative pauvreté intellectuelle : au-delà de célébrer la chute du communisme, elle n’apportait ni un nouveau regard ni un élargissement des connaissances. Un ouvrage comme Le Passé d’une illusion de François Furet apparut à Eric Hobsbawm comme « un produit tardif de la guerre froide [17][17]François Furet, Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée… ».

9L’exigence de sortir de ces schémas idéologiques obsolètes fut incarnée, dans plusieurs pays, par un ensemble d’historiens qui s’intéressaient davantage aux dimensions sociales et culturelles de l’histoire soviétique, au-dessous de la façade d’un régime dont ils analysaient les structures complexes et les contradictions profondes. Pour comprendre les sociétés postrévolutionnaires, il fallait surmonter le concept de totalitarisme, qui voit dans la révolution la matrice d’un système de pouvoir monolithique. C’est ainsi que, notamment aux États-Unis, sous l’impulsion de Sheila Fitzpatrick et J. Arch Getty, l’école dite « révisionniste » – puisqu’elle remet en cause le récit anticommuniste dominant – acquit une nouvelle visibilité [18][18]Sheila Fitzpatrick, « Revisionism in Soviet history », History…. Inspirée par des préoccupations similaires, en France vit le jour une entreprise historienne majeure telle que Le Siècle des communismes, un ouvrage dont la rupture avec les approches antérieures s’affiche dès le titre, qui décline au pluriel l’expérience communiste [19][19]Michel Dreyfus, Bruno Groppo, Claudio Ingerflom, Roland Lew,….

10L’historiographie des révolutions ne pouvait pas rester à l’abri des bouleversements géopolitiques, idéologiques et intellectuels des années 1990, ni non plus des mutations méthodologiques profondes qui affectaient l’atelier de l’historien depuis les années 1970, avec l’irruption de l’histoire sociale, de l’histoire culturelle et du féminisme. Les révolutions commencèrent à être interprétées au prisme des symboles, des mentalités, des émotions, des clivages de race et de genre, des rituels et des liturgies politiques [20][20]Voir, parmi les travaux les plus significatifs, Maurice….

11Le processus de globalisation qui a accompagné la fin de la guerre froide a eu un impact non négligeable sur l’historiographie dans son ensemble. Au début du nouveau millénaire, l’histoire des révolutions a commencé à être appréhendée dans une perspective globale susceptible d’en détecter les connexions intercontinentales et d’en explorer les circulations sous-jacentes. Souvent vécues et perçues comme des événements nationaux, les révolutions sont en réalité des expériences historiques globales. Elles condensent des vastes mouvements tectoniques faits de déplacements d’hommes et de femmes, d’exportation et de croisement d’idées et d’expériences. Leur intelligibilité change quand on les passe au crible de l’expansion impériale, des processus migratoires, des exils politiques et des hybridations culturelles [21][21]Annie Jourdan, La Révolution : une exception française ?,…. Cela n’a pas empêché un renouveau de l’histoire intellectuelle au sens plus traditionnel du terme, comme le prouvent les travaux de Jonathan Israel, pour qui les idées sont un préalable aux faits [22][22]Jonathan Israel, Idées révolutionnaires. Une histoire….

Les « locomotives de l’histoire »

12Les révolutions offrent toujours un critère fondamental d’ordonnance du temps historique, en fixant des ruptures autour desquelles se dessinent des périodes, des séquences et des époques. Annonciatrices du bonheur ou sources du mal – pour Joseph de Maistre la Révolution française était « mauvaise radicalement[23][23]Joseph de Maistre, « Considérations sur la France ». Écrits sur… » –, elles sont des tournants qui rythment le mouvement de l’histoire, des virages autour desquels il devient possible de périodiser le passé. Dans un passage célèbre, Marx les avait définies comme les « locomotives de l’histoire [24][24]Voir Enzo Traverso, Révolution. Une histoire culturelle, Paris,… ». Cette métaphore se prête à illustrer une vision téléologique du temps historique comme course inéluctable vers le progrès, dont les révolutions indiqueraient les arrêts successifs sur des rails bien fixés, mais peut aussi indiquer l’accélération vers une modernité perçue comme effondrement d’un ordre naturel, organique et stable, fondé sur des valeurs traditionnelles, héritées et fiables. (Il est significatif que la formule de Marx ait donné le titre à la première étude d’ensemble des révolutions modernes, due à la plume d’un chercheur conservateur comme Martin Malia [25][25]Martin Malia, Histoire des révolutions, Paris, Tallandier, 2006..) Tous attribuent donc un statut fondateur à la rupture de 1789. Se produit alors un renversement de l’ordre politique visant la « régénération » de la société et l’émancipation de l’humanité [26][26]Voir Mona Ozouf, L’Homme régénéré. Essai sur la Révolution…, un tournant dans lequel Reinhart Koselleck a perçu la sécularisation inconsciente d’une ancienne attente eschatologique : l’avènement du Royaume de Dieu, une Apocalypse annonçant une rédemption terrestre [27][27]Reinhart Koselleck, « Critères historiques du concept de…. Le processus de sécularisation qui investit le xixe siècle ne se réduit pas au « désenchantement du monde », c’est-à-dire au recul du religieux dans la perception et dans la représentation du réel, selon la formule de Max Weber. Il implique un transfert de sacralité vers des objets, des valeurs et des symboles du monde profane qui refaçonnent la politique. C’est pourquoi, selon Arno J. Mayer, les révolutions possèdent tous les traits des « religions séculières [28][28]Arno J. Mayer, Les Furies, op. cit., p. 126. ».

13Les acteurs de la Révolution française ne se satisfaisaient pas de la liberté, ils voulaient conquérir l’égalité. Formés au sein d’une culture déjà laïcisée par les Lumières, ils poursuivaient un dessein émancipateur et universaliste qui sera interprété de façon radicalement antinomique : tantôt l’annonce du socialisme à venir, tantôt le début d’une ère totalitaire. Le procès de l’égalité est au cœur d’une vaste constellation intellectuelle qui réunit des penseurs aussi divers que Jacob Talmon et Hannah Arendt, dont L’Essai sur la révolution (1963) oppose la Révolution américaine, victorieuse parce qu’orientée vers la conquête de la liberté, à la Révolution française, empêtrée dans le despotisme à cause de sa prétention fallacieuse à réaliser un projet d’émancipation sociale. La Révolution américaine, écrit Arendt, « tendait vers la fondation de la liberté, l’établissement d’institutions durables » alors que la française « fut déterminée par les exigences de la libération, non de la tyrannie mais de la nécessité » ; le résultat fut que « la nécessité envahit le domaine politique, le seul domaine où les hommes puissent être réellement libres » [29][29]Hannah Arendt, Essai sur la révolution, Paris, Gallimard, 1967…. Dans la même veine, Martin Malia voit la Révolution américaine comme une exception : une révolution pour la liberté qui aboutit à une Constitution démocratique et républicaine encore en vigueur aujourd’hui, tout en évitant les affres d’un heurt traumatique avec l’Ancien Régime [30][30]Martin Malia, Histoire des révolutions, op. cit., p. 217.. C’est précisément dans ce clivage – l’absence de l’édifice social de l’Ancien Régime – que plusieurs analystes ont saisi les racines de l’exceptionnalisme américain [31][31]Voir Eric Hobsbawm, « Hannah Arendt and Revolutions », in…. Une révolution aura lieu néanmoins un siècle plus tard, lors d’une guerre civile sanglante que nombre d’historiens qualifient de « seconde » révolution américaine [32][32]Voir, dans une large littérature, Eric Foner, Reconstruction.….

14L’histoire des xixe et xxe siècles brossée par Eric Hobsbawm diffère considérablement de celle de Malia mais suit un déroulement analogue [33][33]Eric Hobsbawm, L’Ère des révolutions 1789-1848, Paris, Fayard,…. Elle est pareillement rythmée par des ruptures révolutionnaires qui marquent l’irruption de la modernité et se succèdent jusqu’à la chute du communisme. La trajectoire est similaire, même si, à la différence de l’historien conservateur, elle ne dessine plus un cauchemar totalitaire mais plutôt une téléologie émancipatrice. Ces ruptures tracent une ligne ascendante qui traverse l’Europe : la démolition de l’Ancien Régime dès 1789, les révolutions de 1830 en France, en Belgique et en Pologne, le Printemps des peuples en 1848, l’expérience éphémère mais chargée de sens de la Commune, puis la Révolution russe, à l’issue de la Grande Guerre, qui ouvre un nouveau siècle de combats libérateurs. Cette ligne apparaît brouillée après la défaite des soulèvements qui secouent l’Europe centrale en 1918-1921, la montée du fascisme en Italie, en Allemagne et en Espagne, mais elle remonte après 1945 avec la Résistance et la révolution yougoslave, et surtout s’étend au-delà des frontières européennes, d’abord en Chine, en Corée et au Vietnam , puis en Amérique latine, à Cuba en 1959 et au Nicaragua vingt ans plus tard.

15L’interprétation des révolutions comme vecteurs du progrès historique remonte à la Révolution française (en particulier chez Condorcet [34][34]Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de…), mais c’est Marx qui la codifia dans son image des « locomotives de l’histoire ». À ses yeux, les révolutions constituent la modalité privilégiée du passage d’une formation sociale à une autre – de l’absolutisme à la société bourgeoise, du capitalisme au socialisme – dans une avancée civilisatrice dont l’unité de mesure est le développement des forces de production, le socle matériel de tout perfectionnement social et humain. Par leur action, des êtres humains en chair et en os détruisent les rapports sociaux et les formes de propriété qui enveloppent et entravent cet épanouissement irrépressible. Les révolutions socialistes succèdent ainsi aux révolutions bourgeoises. Fractures subjectives du cours de l’histoire, les révolutions en révèlent la logique interne et en dessinent la ligne directrice – le telos – clairement perceptible dans la longue durée. C’est dans cette philosophie de l’histoire que s’inscrivent les récits des grandes révolutions modernes de Léon Trotski, Christopher Hill, Albert Soboul et Enrica Collotti-Pischel [35][35]Christopher Hill, La Révolution anglaise, 1640, Paris, Éditions….

16Prenons Trotski, dont Histoire de la Révolution russe(1930-1932) est le chef-d’œuvre historiographique qui s’inspire de cette méthodologie. Selon Trotski, les révolutions possèdent leurs propres « lois » qui en fixent le mouvement et auxquelles se conforme l’action des masses. Saisir ces « lois » signifie pénétrer le secret de l’histoire et en contrôler le mouvement ; la tâche de l’historien consiste donc en « la déduction scientifique de ces lois [36][36]Léon Trotski, Histoire de la Révolution russe, vol. 2, Paris,… ». Il n’y a plus de séparation, de ce point de vue, entre le dirigeant bolchévique et l’historien : les deux rendent conscient, dans l’action comme dans la reconstitution du passé, un processus objectif qui possède sa propre logique. La principale de ces lois définit l’histoire comme un chemin vers le progrès, ce qui signifie la transition de la Russie de l’Orient à l’Occident, de l’Asie à l’Europe. Trotski était un occidentaliste radical, aux yeux duquel la « doctrine slavophile » (qui avait fasciné Marx à la fin de sa vie) n’était que « le messianisme d’un pays arriéré [37][37]Ibid., vol. 1, p. 43. Sur Marx et la révolution en Russie, voir… ». Ce chemin pouvait apparaître sinueux et contradictoire, car il s’agissait d’un « développement inégal et combiné » qui produisait des formes hybrides, dans lesquelles les idées les plus avancées coexistaient avec une arriération séculaire et un obscurantisme profond. La Russie n’était cependant que le maillon d’une chaîne qui la rattachait à l’Europe et au monde ; cette chaîne était une totalité dialectique qui lui permettait de sauter les étapes traversées par l’Occident et de mettre à l’ordre du jour l’instauration du socialisme. Le séisme de 1917 était né de l’enchevêtrement de multiples facteurs, certains inscrits dans la longue durée de l’histoire russe et d’autres plus contingents, brusquement synchronisés par la guerre : une révolte de la paysannerie contre l’aristocratie foncière, un soulèvement du prolétariat urbain frappé par la crise économique et enfin une dislocation de l’armée, composée de paysans-soldats épuisés par trois ans d’un terrible conflit dont ils ne voyaient ni les raisons ni l’issue. Les bolchéviques avaient réussi à conquérir le pouvoir grâce à leur maîtrise de l’« art de l’insurrection [38][38]Léon Trotski, Histoire de la Révolution russe, vol. 2,… » mais, s’ils avaient été capables de le conserver au milieu d’une guerre civile sanglante, pensait Trotski, c’est parce que leur action correspondait à une sorte de causalité historique.

17Dans L’Âge des extrêmes, écrit après l’effondrement de l’URSS, Hobsbawm avait abandonné quant à lui toute croyance dans de supposées « lois de l’histoire » et révisait son tableau, dont il avait fixé les prémisses épistémologiques en 1962 dans L’Âge des révolutions. Désormais, il n’y avait plus de happy ending : l’histoire ne suit pas un chemin immanent ; le socialisme n’est pas son telos inéluctable ; les drames du passé ne s’expliquent par aucun déterminisme ; le socialisme a suscité de grands espoirs, mais il ne répondait à aucune nécessité historique. Il découle de ce diagnostic que les révolutions – aussi grandioses et tragiques soient-elles – relèvent exclusivement des choix et de l’action des êtres humains mais ne répondent à aucune « loi » historique. Par conséquent, la Révolution russe n’avait pas annoncé l’avènement d’un monde nouveau : ses acteurs s’étaient lourdement trompés et l’historien britannique reconnaissait rétrospectivement la clairvoyance des sociaux-démocrates qui, à l’instar de Karl Kautsky ou Gueorgui Plekhanov, avaient dénoncé dès le départ l’impasse inéluctable dans laquelle s’étaient engouffrés les bolchéviques [39][39]Eric Hobsbawm, L’Âge des extrêmes, op. cit., p. 641.. Il révisait la perspective historique mais ne reniait pas ses convictions. Si le communisme n’incarnait pas l’avenir, il avait néanmoins, en accomplissant une fonction sacrificielle, satisfait une nécessité historique : il avait sauvé la planète, entre 1941 et 1945, en défendant l’héritage des Lumières contre la barbarie nazie, ce qui avait empêché une éclipse de la civilisation [40][40]Ibid., p. 27..

Idéologie, violence, terreur

18À la fin du xxe siècle, la téléologie changeait de camp. L’illustration la plus emblématique et spectaculaire de ce basculement est Le Passé d’une illusion (1997), le testament idéologique et historiographique de François Furet. Tandis que, dans Penser la Révolution française (1978), il avait exhumé les vieilles thèses d’Alfred Cobban en s’attachant à une critique systématique du « catéchisme révolutionnaire [41][41]François Furet, Penser la Révolution française, Paris,… », dans lequel il voyait un récit mythologique dépourvu de bases réelles, la fin du communisme le conduisait maintenant à esquisser une narration libérale tout aussi téléologique. S’il mettait à mal la « vulgate léniniste » – une explication déterministe de la séquence révolutionnaire 1789-1917 [42][42]Ibid., p. 29. –, c’était pour affirmer une autre narration providentielle : celle du marché et de la démocratie libérale comme destin naturel du monde occidental. La révolution perdait son aura de jalon épique dans la marche du Progrès pour devenir une pathologie, mais l’histoire gardait une boussole. Après la chute du communisme, la séquence révolutionnaire s’était achevée : « L’idée d’une autre société est devenue presque impossible à penser, et d’ailleurs personne n’avance sur le sujet, dans le monde d’aujourd’hui, même l’esquisse d’un concept neuf. Nous voici condamnés à vivre dans le monde où nous vivons [43][43]François Furet, Le Passé d’une illusion, op. cit., p. 572.. »

19Contrairement au récit libéral canonique qui divise la Révolution française en deux phases distinctes, une première édifiante (1789) et une deuxième destructrice (1793) – un récit auquel il avait lui-même adhéré lorsqu’il avait analysé avec Denis Richet le « dérapage » de 1793 [44][44]François Furet et Denis Richet, La Révolution française, Paris,… –, Furet n’y voyait maintenant qu’un seul bloc homogène. Il corrigeait Tocqueville en redécouvrant Augustin Cochin, l’historien conservateur qui avait toujours refusé de distinguer la « bonne » révolution de la « mauvaise ». « Aux yeux de Cochin, écrivait Furet, l’explosion révolutionnaire ne naît pas de contradictions économiques ou sociales. Elle a sa source dans une dynamique politique [45][45]François Furet, Penser la Révolution française, op. cit.,…. » La Terreur devenait ainsi l’aboutissement inéluctable d’un soulèvement qui trouvait sa matrice essentielle dans l’idéologie, à laquelle les circonstances extérieures avaient seulement permis de se déployer. Cette idéologie, qui plongeait ses racines dans la philosophie des Lumières avec son projet de « régénération » de l’Homme, prenait les traits d’une religion séculière (« une annonciation de type religieux sur un mode sécularisé [46][46]François Furet, « Terreur », in François Furet et Mona Ozouf… »). Son corollaire était le « volontarisme », c’est-à-dire l’illusion de l’autonomie du politique ; son expression concrète, dans les années 1793-1794, le « fanatisme militant » des Jacobins [47][47]Ibid., p. 313.. Les révolutionnaires se réclamaient d’une idée de souveraineté populaire – la « volonté générale » – comme autorité sans limites qui, étrangère au principe libéral de séparation des pouvoirs, ne pouvait que déboucher sur la Terreur une fois le trône renversé [48][48]La continuité entre les Lumières radicales et le bolchévisme…. Selon Furet, le discours révolutionnaire possédait un caractère performatif dans lequel il saisissait une continuité substantielle entre Robespierre et le goulag, les deux étant caractérisés par une « identité dans le projet [49][49]François Furet, « 1789-1917 : Aller et retour », in La… ». Au début des années 1920, Albert Mathiez avait déjà établi un rapport de filiation entre jacobinisme et bolchévisme et proposé une synthèse entre le récit communiste et le récit national-républicain. Furet partageait ce diagnostic mais il en renversait le sens et transformait le tableau émancipateur en narration totalitaire [50][50]Albert Mathiez, Le Bolchevisme et le Jacobinisme, Paris,…. Analysant la « Terreur » de l’An II comme engendrement politique autosuffisant, soulignait Patrice Guenniffey, Augustin Cochin avait inconsciemment contribué « à l’autopsie du bolchévisme [51][51]Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur. Essai sur la… ».

20Si la révolution a une matrice purement politique, indépendante du corps social, cela veut dire que l’histoire aurait pu s’en passer. Furet rejoignait sur ce point Tocqueville, pour qui la Révolution française ne fut « que le complément du plus long travail, la terminaison soudaine et violente d’une œuvre à laquelle dix générations d’hommes avaient travaillé. Si elle n’eût pas eu lieu, le vieil édifice social n’en serait pas moins tombé partout, ici plus tôt, là plus tard [52][52]Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Paris,… ». C’est en s’opposant à Tocqueville, pour qui la continuité historique du processus de modernisation aurait pu donner lieu à une monarchie libérale sans passer par une république étatiste et centralisatrice, que Quinet voyait en la chute de l’Ancien Régime une rupture fondatrice irremplaçable [53][53]Edgar Quinet, La Révolution, préface de Claude Lefort, Paris,…. Au fond, selon Furet, la révolution découlant d’une idée, elle ne pouvait qu’engendrer une « idéocratie », un système de pouvoir artificiel qui, pour s’imposer, devait faire violence à la société [54][54]Alfred Cobban, Le Sens de la Révolution française, Paris,…. Pour Martin Malia, la Révolution russe créa un monde dans lequel « nous n’avons jamais affaire à une société, mais toujours à un régime, et à un régime “idéocratique” [55][55]Martin Malia, La Tragédie soviétique. Histoire du socialisme en… ». Hélène Carrère d’Encausse abonda dans cette direction, en établissant une correspondance parfaite entre idéologie et violence chez Lénine [56][56]Hélène Carrère d’Encausse, Lénine, Paris, Fayard, 1998..

21Les thèses de Furet et de son école ne sont pas restées sans réponse, d’abord avec un rappel à l’histoire. Soulignant qu’il n’y eut jamais aucun acte légal instituant la Terreur, Jean-Clément Martin suggère que leur interprétation reformule une ancienne vision thermidorienne. Il constate que « le réel violent a été détourné symboliquement, quand Thermidor a amalgamé dans l’imaginaire national la terreur et tout ce qui devenait contestable aux yeux des élites au pouvoir, de la guillotine au divorce, de la parole des femmes au contrôle des prix [57][57]Jean-Clément Martin, Violence et Révolution. Essai sur la… ».

22Mettant en garde contre les interprétations monocausales, Arno J. Mayer souligne que la Terreur n’est ni réductible à une simple expression de fanatisme ni explicable comme attribut performatif du discours révolutionnaire. Inscrite dans une relation dialectique entre révolution et contre-révolution, elle surgissait d’en bas avant d’être canalisée, encadrée et même théorisée par ses chefs : Marat et Robespierre , Lénine et Trotski [58][58]Arno J. Mayer, Les Furies, op. cit., p. 171-172 et p. 199. Sur…. La guillotine et la Tcheka étaient certes nées dans un contexte de guerre civile, où elles répondaient aux massacres de la contre-révolution, mais leur fonction était aussi le révélateur d’une radicalisation idéologique. Un des moteurs de la violence révolutionnaire, ajoute-t-il dans le sillage de Georges Lefebvre, résidait dans un désir de rachat qui s’amplifia, s’étendit et se transforma en soif de vengeance, en se projetant ainsi vers la destruction de l’ennemi [59][59]Ibid., p. 123. Voir Georges Lefebvre, La Grande Peur de 1789,….

23Ne cachant pas leur mépris pour l’histoire sociale, dans laquelle ils ne voyaient qu’une « espèce de vulgate [60][60]Voir Ran Halévi, L’Expérience du passé. François Furet dans… », Furet et les chercheurs de son école se sont attachés à décontextualiser les révolutions, au point d’avoir été accusés de les « déshistoriser ». Ils ont transformé la Révolution française en une pièce dans laquelle n’agissent que des concepts sans épaisseur sociale, en dehors de toute circonstance extérieure, et ils aboutissent ainsi à une métaphysique de la Terreur. Selon Steve Kaplan, Furet analyse les révolutions – tant la française que la russe – comme le déroulement d’un concept doté de sa propre existence, animé par des acteurs sans chair ni sang, n’ayant qu’une « existence anthropomorphique [61][61]Steven Kaplan, Farewell, Revolution, op cit., p. 83 et p. 103. ». Célébré avec pompe, le bicentenaire de la Révolution française marquait l’apogée de cette longue tradition thermidorienne qui trouvait maintenant son prolongement naturel dans une vague historiographique anticommuniste [62][62]Voir Daniel Bensaïd, Moi, la Révolution. Remembrances d’un….

Histoire globale

24La fin de la guerre froide ne se limita pas à exacerber les enjeux politiques de l’historiographie des révolutions, puisqu’elle fut aussi le point de départ de son renouveau épistémologique. Cette mutation a touché d’abord l’histoire du xixe siècle, dans lequel les révolutions occupent une place de taille. Écrire une histoire globale du xixe siècle ne signifie pas seulement attribuer une plus grande place au monde extra-européen par rapport à l’historiographie traditionnelle, mais surtout changer de perspective, multiplier et croiser les points d’observation. Cela signifie, à plusieurs égards, « provincialiser » l’Europe, c’est-à-dire lui enlever son statut de modèle normatif, tout en analysant les formes et les modalités de son essor comme force hégémonique dans le monde. Adoptant une telle approche, certains historiens ont remis en cause l’interprétation canonique suggérée par Hobsbawm d’une double révolution, l’une économique et l’autre politique : la révolution industrielle anglaise qui transforma le capitalisme et la Révolution française qui, à la suite des guerres napoléoniennes, mit fin à l’Ancien Régime. La transformation du monde qui accompagna le « long xixe siècle » ne fut pas un processus de modernisation rapide ou homogène. L’Europe restait essentiellement rurale. L’Ancien Régime ne fut pas remplacé par des États bourgeois mais par des formations étatiques hybrides qui faisaient coexister une bourgeoisie ascendante (mais pas encore dominante) et une aristocratie toujours solide, qui jouissait d’une sorte d’automne doré. Arno J. Mayer avait déjà décrit les traits d’un Ancien Régime « persistant [63][63]Arno J. Mayer, La Persistance de l’Ancien Régime. L’Europe de… ». Qui plus est, la périodisation tracée par Hobsbawm (1789, 1848, 1914) demeurait essentiellement européenne. Afin de saisir les transformations connues par le monde extra-européen – la colonisation de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique, la guerre civile américaine, la révolution Meiji au Japon –, ces découpages ne sont pas significatifs. Pour écrire une histoire globale du xixe siècle il faudrait donc brosser le profil d’un siècle sans frontières chronologiques rigides, fondé sur des structures temporelles ouvertes. La notion de « long » xixe siècle – entre la Révolution française (ou américaine) et la Grande Guerre – n’est valable a posteriori que pour le monde occidental et surtout pour l’Europe. Elle pourrait, avec quelques ajustements, s’adapter à l’Empire ottoman, entre l’invasion de l’Égypte par Bonaparte (1798) et son démembrement par le traité de Sèvres (1920), mais ne trouve guère de correspondance ailleurs.

25Dans La Transformation du monde (2009), Jürgen Osterhammel place la révolution au centre du xixe siècle, mais il se situe dans un observatoire global qui le conduit à distinguer plusieurs ruptures fondatrices. Reprenant une notion élaborée par Robert Palmer dans les années 1960 [64][64]Robert L. Palmer, The Age of the Democratic Revolution. A…, il décrit d’abord l’« Atlantique révolutionnaire » qui s’amorce en Amérique en 1776, déferle ensuite en France, à partir de 1789, et s’achève aux Antilles, à Saint-Domingue , où le 1er janvier 1804 voit le jour l’État indépendant d’Haïti. L’Atlantique révolutionnaire, pense-t-il, fut le véritable foyer de notre modernité politique. C’est lors de cette « époque-charnière » (Sattelzeit) que s’imposèrent les concepts de liberté, égalité et émancipation, codifiés dans une série de textes programmatiques comme la Déclaration d’indépendance américaine (1776), la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), le Décret d’abolition de l’esclavage par la Convention (1794) et, inspiré par la révolution de Saint-Domingue, le discours d’Angostura de Simón Bolívar (1819), manifeste des luttes de libération nationale en Amérique latine [65][65]Jürgen Osterhammel, La Transformation du monde au xixe siècle,…. C’est donc dans ce contexte historique que, selon Lynn Hunt, prit forme une véritable révolution globale des droits de l’homme [66][66]Lynn Hunt, Inventing the Human Rights. A History, New York,….

26Une seconde vague eut lieu au milieu du siècle. Elle dépassa la première par son ampleur, mais elle ne possédait ni l’unité spatiale ni l’unité politique de l’Atlantique révolutionnaire. Ses différents moments – les révolutions européennes de 1848, la révolte des Taiping suivie par celle des Panthay dans la Chine impériale (1850-1864 ; 1856-1873), la révolte des Cipayes contre le colonialisme britannique en Inde (1857) et la guerre civile américaine (1861-1865) – restèrent déconnectés, sans jamais s’articuler dans un processus unitaire. La synchronisation de ces révolutions ne créait pas un dialogue entre elles et les mouvements qui les inspiraient ne présentaient pas beaucoup d’affinités. Entre les Taiping – opposés à la dynastie Qing au nom d’un syncrétisme singulier de confucianisme et de protestantisme évangélique – et les Cipayes – insurgés contre le colonialisme britannique au nom de l’Inde précoloniale – les différences étaient de taille [67][67]Sur les révoltes des Taiping en Chine et des Cipayes en Inde,….

27La troisième vague, enfin, fut celle des révolutions eurasiatiques qui précédèrent la Grande Guerre : le premier soulèvement contre l’Empire tsariste en Russie (1905), la révolution constitutionnelle en Iran (1905-1911), la révolution des Jeunes-Turcs au sein de l’Empire ottoman (1908) et enfin le mouvement qui, au bout d’un siècle de déclin, mit fin à la dynastie Qing et donna naissance à la république chinoise de Sun Yat-sen (1911). À l’exception de la Russie, il s’agissait de ruptures « par en haut » souvent impulsées par des élites intellectuelles et militaires qui rappelaient les « révolutionnaires blancs » du Risorgimentoitalien (Cavour) ou de l’ère Meiji au Japon (1853-1868).

28Le xixe siècle fut marqué par l’essor de l’idée d’égalité : l’abolition de l’esclavage en fut le fil conducteur et en est aujourd’hui la métaphore. Le siècle des chemins de fer et des usines industrielles, des grandes villes et des tramways, des mitrailleuses et des statistiques, du journalisme et de la finance, de la photographie, du télégraphe et de l’électricité, de l’alphabétisation et du colonialisme, de la Croix-Rouge et des « missions civilisatrices », fut dominé par l’idée de progrès. Égalité et progrès sont les deux pôles entre lesquels oscille la littérature historique de l’époque sur les révolutions. Dans ses déclinaisons libérales ou socialistes, la notion de progrès est sous-jacente aux œuvres de Quinet, Tocqueville, Burckhardt, Kautsky et Jaurès, mais s’installa aussi au cœur d’une modernité qui trouvait son expression philosophique accomplie dans le positivisme d’Auguste Comte. C’est une des raisons pour lesquelles nombre de révolutionnaires, à commencer par Auguste Blanqui, s’attaquèrent farouchement à cette « doctrine exécrable du fatalisme historique [9En Europe, le xixe siècle fut une époque relativement pacifique : un long « intermezzo tranquille » ou une « paix de cent ans », comme l’avait baptisée Karl Polanyi. Vu d’Afrique, d’Asie ou d’Océanie, en revanche, il apparaît comme un âge de génocides. Les révoltes anticoloniales de cette époque furent d’abord une réaction à cette violence. Le xixe siècle fut néanmoins un âge d’intenses circulations révolutionnaires. Il vit la naissance des pidgins, des formes d’« hybridité linguistique » en plein essor à l’époque du colonialisme et des grandes migrations. Plus de 80 millions de personnes se déplacèrent volontairement entre 1814 et 1914. C. A. Bayly a brossé le tableau d’un siècle marqué à l’échelle planétaire par la création d’« identités politiques hybrides » et d’« idéologies métissées » [69][69]Christopher A. Bayly, La Naissance du monde moderne…. Il en donne un exemple en commentant le portrait de Jean-Baptiste Belley, le représentant noir de Saint-Domingue à la Convention en 1794, peint par Anne-Louis Girodet à côté du buste de l’abbé Raynal, symbole de la tradition philosophique occidentale. Bayly suggère que les nationalismes naissants du monde colonisé avaient créé des formes syncrétiques entre la philosophie des droits de l’homme et des traditions communautaires anciennes. La « première globalisation » de la fin du xixe siècle produisit un cocktail explosif d’anarchisme, nationalisme et anticolonialisme comme celui décrit par Benedict Anderson dans son étude consacrée au révolutionnaire philippin José Rizal, dont la formation intellectuelle et politique passa par le Japon, la France, l’Espagne et Cuba [70][70]Benedict Anderson, Les Bannières de la révolte. Anarchisme,….

30Les découpages chronologiques de l’histoire européenne se révèlent problématiques aussi pour analyser les révolutions de la seconde moitié du xxe siècle, qui se déroulèrent surtout en dehors du monde occidental. La Révolution chinoise de 1949 a transformé en profondeur les structures sociales et les conditions de vie d’une portion d’humanité bien plus vaste que l’Europe, mais les décennies comprises entre 1945 et 1973 – marquées par la guerre civile, le « Grand Bond en avant » et la Révolution culturelle – ne furent pas les « Trente Glorieuses » pour les habitants de cet immense pays. Pendant cette période, les Vietnamiens et les Cambodgiens subirent des bombardements plus étendus que ceux qui avaient dévasté l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, les Coréens connurent les affres d’une guerre civile et de deux dictatures militaires, tandis que les Indonésiens subirent un coup d’État anticommuniste aux dimensions littéralement exterminatrices (500 000 victimes). Seul le Japon vécut une époque de paix et de prospérité comparable à l’« âge d’or » du monde occidental. Au-delà des apories d’une périodisation axée sur les tournants de l’histoire occidentale, c’est une autre cartographie que révèle la diffusion des mouvements révolutionnaires, une cartographie qui croise mais ne coïncide pas avec celle de l’impérialisme. Au xixe siècle, le cœur de l’économie mondiale était Londres ; la capitale des révolutions, Paris , et c’est à Paris que se concentraient les exilés [71][71]Voir Sylvie Aprile, Le Siècle des exilés. Bannis et proscrits…. Au xxe siècle, l’Octobre russe donna naissance, avec l’Internationale communiste, à une nouvelle élite de « révolutionnaires professionnels » cosmopolites et largement déterritorialisés [72][72]Voir Brigitte Studer, Travellers of the World. A Global History….

31Il est intéressant d’observer que, parallèlement à la mise en lumière de ces connexions intercontinentales et à la réhabilitation de la notion de « révolutions atlantiques », cette nouvelle histoire globale a relativisé la place de la Commune de Paris dans le tableau du xixe siècle. Certes, nombre d’études récentes ont analysé le rôle central qu’y jouèrent les étrangers et son impact international [73][73]Voir Quentin Deluermoz, Commune(s). Une traversée des mondes au…, mais son caractère éphémère l’a marginalisée dans les travaux qui esquissent le profil d’un siècle dans sa longue durée. Pour Bayly, la Commune ne fut qu’un accident de parcours, dû essentiellement à la maladresse de Napoléon III, un « excellent acteur politique » dont « la seule erreur fut d’avoir voulu se mesurer militairement avec l’armée prussienne » [74][74]Christopher A. Bayly, La Naissance du monde moderne, op. cit.,…. Pour Osterhammel, elle ne fut que la « résurgence momentanée » d’un modèle de démocratie directe hérité « de la dictature jacobine [75][75]Voir la conclusion de Jürgen Osterhammel, La Transformation du… ». Quentin Deluermoz, qui en a étudié en profondeur la dimension internationale, la replace dans son contexte historique, où elle n’apparaît « ni aube ni crépuscule », tout en possédant plusieurs traits des deux. D’une part, elle reproduisait des anciennes formes de violence et, de l’autre, inventait de nouvelles pratiques démocratiques ; d’une part elle clôturait un cycle de révolutions ouvert en 1830 en ouvrant la page de la IIIe République bourgeoise et, de l’autre, elle fit l’objet d’une lecture, notamment par Marx, qui y saisissait d’emblée un nouveau « point de départ de taille dans l’histoire du monde ». Son impact médiatique fut considérable, de l’Europe aux Amériques, de l’Inde à la Chine, de même que ses usages diplomatiques. Elle suscita quelques imitations tant en France que dans le monde colonial, sous des formes assez contradictoires : une révolte d’anciens esclaves à la Martinique et une démocratie de petits colons blancs (excluant Arabes et Kabyles) en Algérie. Son spectre – la menace d’un soulèvement des barbares contre la « civilisation » – fit le tour du monde, tandis que l’Association internationale des travailleurs la saluait comme un exemple à suivre [76][76]Quentin Deluermoz, Commun(e) s 1870-1871. Une traversée des…. Ce n’est qu’un demi-siècle plus tard que son mythe fut placé au centre d’une nouvelle tradition inventée : la Commune de Paris était devenue la préfiguration d’Octobre 1917 .

32Pour l’histoire globale, les révolutions du xixe siècle ont cristallisé des mutations historiques sans fixer aucune norme ou « idéal-type » révolution naire. Une large partie de l’historiographie contemporaine s’est attachée à étudier les processus de modernisation impulsés par en haut, grâce à l’action d’élites économiques, militaires et politiques bien installées au pouvoir. Nombre de chercheurs ont ainsi redécouvert le concept de « révolution passive » qu’Antonio Gramsci avait emprunté dans ses Cahiers de prison à Vincenzo Cuoco, historien de la révolution napolitaine de 1799, et qui désigne une transformation sans ou contre la mobilisation populaire [77][77]Antonio Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de position,…. L’idée de « révolution par en haut » a souvent été évoquée pour interpréter le Risorgimento italien, l’unification allemande sous Bismarck, la révolution Meiji au Japon, la révolution constitutionnelle persane (1905-1911) ou encore la « révolution des Jeunes-Turcs » dans l’Empire ottoman finissant (1908). Ces expériences remettent en question une vision paradigmatique de la Révolution française. Loin de configurer une « voie spéciale » (Sonderweg), dans laquelle certains historiens avaient cru percevoir les racines du nazisme, la naissance de l’Empire allemand sous l’impulsion du militarisme prussien trouvait de nombreux équivalents tant en Europe que dans le reste du monde [78][78]Voir David Blackbourn et Geoff Eley, The Peculiarities of…. Cependant, les révolutions « blanches » ou conduites « par en haut » ne possédaient ni la radicalité ni la profondeur transformatrice de celles « d’en bas ». Si elles furent incontestablement la modalité dominante de modernisation de nombreux pays, elles ne peuvent pas être considérées comme des simples variantes d’un même phénomène révolutionnaire. « Révolution par en haut » est un concept devenu d’usage courant, mais il désigne autre chose qu’une révolution.

33Reste que si les « révolutions par en haut » ne furent pas des exceptions, la notion de « révolution bourgeoise » elle-même demande à être repensée. Le capitalisme avait-il vraiment besoin d’une révolution pour s’imposer et se développer ? Loin de se réduire à un affrontement entre la bourgeoisie naissante et l’aristocratie absolutiste, la Révolution française fut marquée, dès le départ, par une dialectique complexe entre bourgeois et « bras nus », entre une intelligentsia bourgeoise qui en fournit les leaders et des classes populaires qui en furent la force motrice sur le plan social [79][79]Daniel Guérin, La Lutte de classe sous la Première République…. Mais cette « bourgeoisie » composée de fonctionnaires, juristes et « hommes de lettres » n’était pas une classe capitaliste définie par la propriété des moyens de production. Et les soulèvements de 1848 furent-ils des « révolutions bourgeoises » ? Il suffit de lire les Souvenirs de Tocqueville, écrits en 1851, pour comprendre que la bourgeoisie s’activa bien davantage à détruire plutôt qu’à ériger les barricades. Tout au long du xixe siècle, la démocratie rencontra toujours l’hostilité d’une bourgeoisie qui la craignait comme pouvoir de la populace. Depuis Guizot et Tocqueville, la conscience du caractère bourgeois des transformations sociales nées des révolutions du xixe siècle a toujours été consensuelle, ce qui enlève tout fondement à la thèse de Furet qui taxe de « monstre métaphysique [80][80]François Furet, Penser la Révolution française, op. cit.,… » la notion de « révolution bourgeoise ». Mais si cette notion prend une signification évidente lorsqu’on inscrit ces révolutions dans leur horizon historique, elle demande à être nuancée et apparaît plus problématique quand on étudie les acteurs et les dynamiques des crises révolutionnaires [81][81]Voir Eric J. Hobsbawm, Aux armes, historiens, op. cit., et son….

Événement et processus, foules et chefs

34Si la bourgeoisie fut l’acteur central des « révolutions par en haut », les « révolutions bourgeoises » furent dans la plupart des cas des révolutions sans bourgeoisie. Son héros fut le peuple, comme l’indiquait Michelet dès le milieu du xixe siècle. C’est pourquoi les foules révolutionnaires sont un objet privilégié des controverses historiographiques. Acteur incontournable de l’âge démocratique, elles fascinent la pensée conservatrice. Elles font irruption et bouleversent l’ordre naturel et hiérarchique du monde, un ordre qui les a toujours exclues. Les hordes massacreuses déjà aperçues par Edmund Burke en 1790, « les Vandales et les Goths » évoqués par Tocqueville dans ses Souvenirs, devenaient chez Hyppolite Taine des monstres peints à l’aide de catégories zoologiques et raciales [82][82]Edmund Burke, Réflexions sur la Révolution en France, Paris,…. Pour le fondateur de l’anthropologie criminelle, Cesare Lombroso, les terroristes de 1793 et de la Commune révélaient une pathologie sociale qui, par une sorte de « régression atavique », faisait réapparaître une barbarie primitive au sein du monde civilisé [83][83]Cesare Lombroso et Roberto Laschi, Il delitto politico e le…. Scipio Sighele et Gustave Le Bon désignaient les foules comme le fruit authentique de la démocratie, une ère de décadence, sinon de régression à un état primitif et sauvage, qui devenait le théâtre naturel des « foules criminelles [84][84]Scipio Sighele, La folla delinquente, Venise, Marsilio, 1985… ». La foule, expliquait Le Bon dans Psychologie des foules (1895), est « animale », irrationnelle, régressive, grégaire, proie facile des démagogues ; dominée par les sentiments et l’imagination plutôt que par la raison, elle est naturellement « féminine » [85][85]Ibid., p. 19.. Il analysait les rassemblements spontanés qui, dans les grandes villes, faisaient des foules un nouvel acteur social ; il étudiait la « contagion mentale » qui se répandait en engendrant le sentiment d’une force irrésistible, capable de surmonter les peurs et les hésitations ; et il concluait à la naissance d’une identité collective dans laquelle la subjectivité des individus se dissolvait [86][86]Ibid., p. 13..

35Sans partager les poncifs de cette sociologie réactionnaire, Georges Lefebvre rejoignait Le Bon dans le constat du « magnétisme physiologique » à l’origine des foules révolutionnaires. Il étudiait le passage de la foule d’« agrégat », involontaire et éphémère, au « rassemblement » en vue d’une action collective ; une transformation qui, soulignait-il, était souvent déclenchée par un élément extérieur, voire accidentel [87][87]Georges Lefebvre, « Foules révolutionnaires », Annales…. Le vecteur de cette transition est la « mentalité collective » qui inscrit l’action de la multitude dans un système de valeurs profondément ancré [88][88]Voir Georges Lefebvre, La Grande Peur de 1789, Paris, Armand…. La foule peut se soulever contre l’ordre établi et attaquer les représentants de la loi, mais elle possède ses propres règles morales. E. P. Thompson, le fondateur de l’« histoire par en bas » britannique, évoquait à ce propos l’« économie morale » de la foule qui agit au nom d’un sentiment de justice opposé à l’oppression et à la tyrannie du pouvoir [89][89]E. P. Thompson, « L’économie morale de la foule anglaise au….

36En 1932, l’année où Georges Lefebvre publiait son essai sur les foules, Léon Trotski achevait son Histoire de la Révolution russe, qui porte une attention particulière à ce thème. Les foules révolutionnaires du xxe siècle, écrit-il, créent leurs propres organes de pouvoir – conseils ouvriers, soviets, assemblées délibératives – qui deviennent la source d’une nouvelle conception de la démocratie. Le diagnostic de Le Bon était ainsi renversé : « L’histoire de la révolution, explique Trotski dans la préface de son ouvrage, est pour nous, avant tout, le récit d’une irruption violente des masses dans le domaine où se règlent leurs propres destinées [90][90]Léon Trotski, Histoire de la Révolution russe, vol. 1,…. » Ce moment, ajoutait Isaac Deutscher, « rachète des siècles d’oppression [91][91]Isaac Deutscher, Trotski, Paris, Éditions 10/18, 1980, vol. 5,… ».

37L’historiographie révolutionnaire interprétait les foules comme lieu d’une expérience collective d’auto-émancipation par laquelle les dominés prenaient en main leur propre destin et devenaient des sujets historiques. Le concept d’auto-émancipation demeurait, une fois abandonnée toute vision téléologique, comme un point d’intersection décisif entre structures et subjectivité, entre économie et psychologie, entre les contraintes objectives d’une situation donnée et les idées, les désirs et les choix des acteurs de l’histoire. Trotski avait l’ambition de trouver une synthèse entre une grande fresque historique capable de détecter les tendances de fond d’une époque et la subjectivité des protagonistes d’un drame collectif, comme Michelet l’avait déjà fait dans un récit épique qui se voulait une « résurrection » du passé [92][92]Jules Michelet, « Préface de 1869 », in Histoire de France,…. Par son analyse des foules révolutionnaires, Trotski nuançait et surmontait le déterminisme de son récit fondé sur la recherche des « lois » de l’histoire.

38Il faut ici ouvrir une parenthèse. Au xxe siècle, la perception des foules connaît une mutation majeure au sein de l’imaginaire et de l’idéologie nationalistes. La « racaille » stigmatisée par les conservateurs et les légitimistes devient la masse moderne, socle des régimes totalitaires. Au lieu de mépriser les foules, le fascisme veut les mobiliser, en leur donnant l’illusion d’être actrices d’une transformation du monde et en les plaçant au centre de ses liturgies politiques. Le pouvoir charismatique repose sur ce nouveau rôle des foules, actif et ornemental à la fois. Le fait est que le fascisme ne veut pas restaurer le passé mais bâtir un ordre nouveau. C’est donc par analogie avec la rupture de 1789 que, au lendemain de la Grande Guerre apparaît en Allemagne la « Révolution conservatrice », dont le projet consiste à mettre les valeurs antimodernes au service d’une nouvelle civilisation, projetée vers le futur [93][93]Voir Louis Dupeux (dir.), La « Révolution conservatrice » dans…. En Italie, le fascisme surgit de la synthèse entre une gauche qui abandonne le marxisme et devient nationaliste et une droite qui se radicalise et prend des traits subversifs. Mussolini venait du socialisme, ainsi que nombre de représentants de ce que Zeev Sternhell a appelé la « droite révolutionnaire » en France (nationaliste, populiste et antisémite). Toute l’ambiguïté du fascisme réside dans sa rhétorique « révolutionnaire » et son farouche antibolchévisme, qui en faisait une sorte de « révolution contre la révolution ». C’est ainsi que, à partir des années 1980, est née une historiographie de la « révolution fasciste [94][94]Voir, parmi d’autres, George L. Mosse, La Révolution fasciste.… » focalisée sur cette rhétorique et son symbolisme, perçus comme éléments constitutifs du fascisme.

39Fermons maintenant la parenthèse des « révolutions fascistes », qui échappent largement aux débats historiographiques autour de la périodisation des expériences révolutionnaires, et revenons aux « vraies » révolutions. Les interpréter comme des actes auto-émancipateurs signifie mettre l’accent sur leur caractère disruptif, ce qui risque de les réduire à des césures éphémères. Mais elles transforment l’histoire dans la longue durée ; elles sont des événements qui amorcent des processus complexes. Mis à part les récits conservateurs qui les condamnent en bloc, sans opérer aucun découpage, la périodisation de ces processus a toujours été un enjeu historiographique de taille. Quand s’achève-t-il ? Finit-il avec la Terreur, au début de la guerre civile, avec la création du Comité de salut public en France et la dissolution de l’Assemblée constituante en Russie ? ou avec Thermidor (que Trotski datait en URSS autour de 1923, avec l’arrivée au pouvoir de Staline) ? Faut-il y inclure l’Empire napoléonien, dans une longue séquence qui se termine en 1814 avec la Restauration ? Peut-on encore parler de révolution dans l’URSS de la collectivisation forcée des campagnes, du goulag et des procès de Moscou de 1936-1938 ? Dans ce débat, la thèse du « dérapage » de 1793 (qui aurait marqué la fin de la révolution libérale et l’instauration d’une dictature populaire en France) correspond à celle du « coup d’État » bolchévique (qui aurait étouffé la révolution démocratique en Russie [95][95]Pour une critique du récit conventionnel du « coup d’État »…).

40Les clivages historiographiques sont toujours complexes. Prenons quelques exemples significatifs. Pour Orlando Figes, Octobre 1917 ne fut pas un « coup d’État » ; il découla plutôt d’une modernisation libérale échouée de l’Empire tsariste mise en œuvre depuis la fin du xixe siècle [96][96]Orlando Figes, La Révolution russe. La tragédie d’un peuple…. Selon Isaac Deutscher, Napoléon et Staline possédaient plusieurs traits des monarques absolus et avaient incontestablement détruit l’esprit libérateur des révolutions qui les avaient engendrés, mais leur action prolongeait des mutations amorcées en 1789 et en 1917 [97][97]Isaac Deutscher, « Two Revolutions » (1950), in Marxism,…. Leur objectif n’était ni la restauration de l’Ancien Régime ni celle du capitalisme, mais plutôt l’édification d’un ordre nouveau, aussi autoritaire fût-il. Sheila Fitzpatrick, la doyenne des soviétologues américains, fixe avec les purges staliniennes la fin du processus révolutionnaire [98][98]Sheila Fitzpatrick, The Russian Revolution, op. cit., p. 4, et…. Un historien plutôt conservateur comme Stephen Kotkin voit dans le stalinisme la tentative de bâtir une « nouvelle civilisation [99][99]Stephen Kotkin, Magnetic Mountain. Stalinism as a Civilization,… ». Pour Arno J. Mayer, Staline fut, « sinon un révolutionnaire, du moins un modernisateur radical », et sa domination brutale devint une étrange combinaison « de réalisations monumentales et de crimes monstrueux [100][100]Arno J. Mayer, Les Furies, op. cit., p. 562-563. ». Sous sa domination, l’Union soviétique devint une grande puissance industrielle et militaire qui réussit d’abord à résister à l’agression nazie, puis à gagner la guerre, mais ces transformations furent accomplies au prix d’une violence inouïe qui s’exerça sur la société elle-même. Cette violence fut aussi bien politique que sociale, allant de la répression systématique de toute forme de dissension à la collectivisation forcée des campagnes. Comme l’a montré Anne Applebaum, dans les années 1930 et 1940 les goulags remplissaient une fonction économique considérable. L’URSS se modernisait en exhumant, au xxe siècle, des formes d’exploitation de type esclavagiste : les travailleurs forcés des camps de concentration bâtissaient des chemins de fer, créaient des usines, électrifiaient des régions isolées [101][101]Anne Applebaum, Goulag. Une histoire, Paris, Gallimard, 2008.…. Ces contradictions déchirantes affectaient une société dont les bases avaient été créées par la révolution de 1917. Applebaum rappelle le paradoxe des prisonniers du goulag qui, en 1941, ne pouvaient pas supporter de ne pas être envoyés au front pour combattre en défense de l’Union soviétique [102][102]Anne Applebaum, Goulag, op. cit., ch. XXI..

Révolutions paysannes, révolutions décoloniales

41La révolution d’Octobre ne donna pas seulement une impulsion extraordinaire aux révolutions anticoloniales ; elle les rendit visibles et en fit des objets d’études historiques. Au fond, c’est elle qui donna naissance à une historiographie des révoltes et des révolutions en dehors du monde occidental, même si elles n’acquirent une pleine légitimité historiographique qu’après la Révolution chinoise de 1949. Pour nombre d’historiens conservateurs, elles ne furent jamais dignes d’intérêt. Pour Malia, la révolution est un phénomène historique « propre à l’Europe [103][103]Martin Malia, Histoire des révolutions, op. cit., p. 13-15. ». Puisque, explique-t-il, les concepts de liberté et d’égalité sont d’origine européenne, et puisque le monde situé en dehors de l’Occident n’a été, jusqu’au xxe siècle, qu’une forme indistincte de « despotisme oriental », son étude se limite aux révolutions occidentales. La première histoire de la Révolution haïtienne, Les Jacobins noirs(1938), fut écrite par C.L.R. James, un militant anticolonialiste de Trinidad qui tirait son inspiration de Trotski et, chose assez insolite, d’Oswald Spengler : lu avec des lunettes caribéennes, un requiem de la civilisation comme Le Déclin de l’Occident (1918) annonçait le soulèvement du monde colonial [104][104]C.L.R. James, Les Jacobins noirs. Toussaint Louverture et la…Les Jacobins noirs mettait fin à un long silence. La Révolution haïtienne avait été tout simplement évacuée de l’horizon épistémologique des historiens européens et étatsuniens pendant plus d’un siècle. Comme le suggère Michel-Ralph Trouillot, elle n’était pas concevable par les catégories de la pensée occidentale – la tradition issue des Lumières incluse – et fut donc effacée du tableau historique, privée de son historicité [105][105]Michel-Rolph Trouillot, Silencing the Past. Power and the…. Il fallait, pour reconnaître la signification d’une république née d’un soulèvement d’esclaves noirs dans une colonie française de la fin du xviiie siècle, voir la révolution comme un moment d’auto-émancipation des dominés, alors que les Lumières avaient toujours conçu la fin de l’esclavage comme une liberté octroyée. Le marxisme offrait les outils herméneutiques pour un tel changement de perspective, mais l’historiographie marxiste elle-même dut être secouée en profondeur pour opérer cette mutation. Marx dénonçait avec vigueur le caractère inhumain et prédateur de l’impérialisme britannique, dans lequel il s’obstinait cependant à saisir un effet civilisateur [106][106]Sur ce point je me permets de renvoyer à Enzo Traverso,…. Friedrich Engels appliquait aux nations slaves méridionales dominées par les empires russe et habsbourgeois le concept d’origine hégélienne de « peuples sans histoire » (geschichtlose Völker). Primitives, dépourvues d’un passé étatique et d’une culture nationale, incapables d’accéder à la modernité, ces nations ne pouvaient à ses yeux que jouer un rôle réactionnaire lors des révolutions de 1848 [107][107]Roman Rosdolsky, Friedrich Engels et les « peuples sans….

42La myopie de Marx souligne la difficulté d’intégrer dans un modèle interprétatif européen nombre de révolutions du « Sud global ». Pensons à celles de l’Amérique latine, sur lesquelles il existe une historiographie riche et contrastée [108][108]Pour une vision d’ensemble, voir Clément Thibaud et Eugénia…, et prenons tout d’abord le cas mexicain. Le soulèvement populaire qui, entre 1910 et 1920, a renversé le régime de Porfirio Díaz, liquidé l’oligarchie terrienne, réalisé une vaste réforme agraire et bâti un nouvel État, a été interprété tantôt comme une révolution sociale inachevée, tantôt comme un tournant modernisateur. Les historiens marxistes y voyaient une révolution sociale, voire socialiste, inachevée ; tandis que les tenants d’une révolution populaire, démocratique et progressiste dataient son accomplissement (la revolución hecha gobierno) avec la victoire du courant constitutionnaliste de Venustiano Carranza et Álvaro Obregón, les présidents mexicains entre 1917 et 1924. Réalisation ou défaite des espoirs portés par le soulèvement paysan, la Révolution mexicaine fut, comme ses ancêtres (les Révolutions anglaise et française) ou ses contemporaines (la Révolution russe), un processus qui s’étala sur une vingtaine d’années, jusqu’à la présidence de Lázaro Cárdenas (1934-1940).

43Selon Adolfo Gilly, théoricien de la révolution « interrompue », la présence d’une forte tradition collectiviste parmi les paysans mexicains fut le trait distinctif de leur soulèvement. Cette tradition était quasiment inexistante au sein de la paysannerie d’Europe occidentale, chez laquelle plusieurs siècles de féodalisme avaient nourri l’aspiration à la propriété de la terre plutôt qu’à son exploitation commune, mais elle demeurait bien vivante en Amérique latine. C’est à Morelos , le foyer du zapatisme dans le sud du pays, que les paysans firent une expérience originale et extraordinaire d’autogouvernement. Leur programme, le « plan de Ayala », visait la liquidation du latifundium, mais comme la grande propriété foncière constituait la base du capitalisme agraire dans la région, la révolution paysanne prit une dynamique socialiste. Les traditions collectivistes et communautaires des paysans contribuèrent presque naturellement à les orienter dans cette direction : l’État de Morelos devint une sorte de Commune paysanneavec ses formes de démocratie directe, ses lois, sa monnaie et ses forces armées [109][109]Adolfo Gilly, La Révolution mexicaine 1910-1920, Paris,…. Une aspiration analogue était incarnée dans le nord par l’armée de Pancho Villa, même si son idéologie était encore plus vague et confuse, comme en témoigne John Reed dans Mexique insurgé[110][110]John Reed, Insurgent Mexico, Harmondsworth, Penguin Books, 1983…. En décembre 1914, Villa et Zapata firent leur entrée triomphale à Mexico, à la tête de leurs armées, mais ils n’y restèrent pas. Dans la capitale, ils se sentaient perdus ; leur environnement naturel et leur zone d’action étaient les États de Chihuahua et Morelos, c’est-à-dire la campagne mexicaine. Si la capitale représentait pour eux un lieu symbolique, le siège de l’ennemi, des classes dominantes et des oppresseurs, ils n’y voyaient pas le centre décisif de la société mexicaine.

44Aux yeux de John Mason Hart, un autre historien marxiste qui a mis l’accent sur le caractère de classe de la Révolution mexicaine, cette dernière fut « le premier grand soulèvement du tiers monde contre l’expansion économique, culturelle et politique des États-Unis [111][111]John M. Hart, Revolutionary Mexico. The Coming and Process of… ». Pour Alan Knight, qui se définit « post-révisionniste » (au sens américain, non conservateur, du terme) [112][112]Alan Knight, The Mexican Revolution. A Very Short Introduction,…, cette approche est en revanche intenable. D’une part, elle surestime la dimension internationale d’une révolution qui avait des racines essentiellement locales et régionales et, de l’autre, elle voit une matrice de classe dans des clivages qui étaient surtout culturels et politiques. Contrairement au bloc paysan de Villa et Zapata, qui avait une base rurale et plébéienne, qui ne disposait pas d’une idéologie cohérente, en dehors d’un égalitarisme démocratique d’inspiration vaguement anarchiste [113][113]Sur la pénétration des idées anarchistes et socialistes au…, et qui regardait vers les communautés paysannes du passé, le bloc constitutionnaliste puisait sa force dans une culture urbaine, progressiste et nationaliste [114][114]Voir Alan Knight, The Mexican Revolution, vol. 1 : Porfirians,…. Il regardait vers le futur et réussit à imposer son hégémonie. La Révolution mexicaine n’instaura pas le communalisme agraire mais un État orienté vers la modernisation et l’industrialisation. Le zapatisme ne pouvait pas s’imposer mais sa trajectoire éphémère engendra un mythe révolutionnaire destiné à lui survivre et à s’installer durablement dans la mémoire collective, comme le prouve sa résurgence au Chiapas en 1994 [115][115]Alan Knight, « The myth of the Mexican Revolution », Past and….

45La question paysanne fut aussi l’enjeu central, tant stratégique qu’historiographique, de la Révolution chinoise, dont la force propulsive résidait dans la rencontre entre les masses rurales et un noyau d’intellectuels urbains radicalisés après l’avènement de la République en 1911. La première révolution chinoise fut marquée par une succession de vagues insurrectionnelles en 1925-1927 ; elle eut son épicentre à Shanghai et Canton, qui abritaient des fortes concentrations prolétariennes, et se solda par une répression sanglante [116][116]Harold R. Isaacs, La Tragédie de la Révolution chinoise,…. Les communistes durent abandonner les villes et envisager une nouvelle stratégie révolutionnaire axée dans les campagnes. Après la rupture avec le Kuomintang, le mouvement nationaliste dirigé par Tchang Kaï-chek, ils ne pouvaient compter que sur leurs propres forces. Le débat historique demeure vif au sujet de la nature du maoïsme, entre ceux qui le considèrent comme une version chinoise du stalinisme et ceux qui soulignent ses spécificités, liées à la recherche d’une nouvelle stratégie [117][117]Lucien Bianco, Les Origines de la Révolution chinoise,…. Contrairement à la France et à la Russie, où la militarisation du pouvoir se fit au cours des guerres civiles qui suivirent un soulèvement d’en bas, la Révolution chinoise fut l’aboutissement de plus de dix ans de conflits dans lesquels une armée communiste à base paysanne s’opposa d’abord à l’envahisseur japonais, puis à l’armée nationaliste du Kuomintang. Comme l’ont souligné de nombreux historiens, soulèvement d’en bas et « révolution par en haut » coïncidèrent en quelque sorte dans l’arrivée des communistes au pouvoir en 1949 : une révolution qui changea le visage de la planète et qui installa, dès le départ, un pouvoir autoritaire, étranger à toute expérience d’auto-émancipation, pour lequel la transformation sociale et politique devait être guidée, voire imposée [118][118]Isaac Deutscher souligne le « substitutisme » qui caractérisa…. Selon Roland Lew, la victoire maoïste résultait d’un processus complexe dans lequel se rencontraient des tendances contradictoires : « un mélange bâtard de nouveau et d’ancien ; d’animation du peuple et d’écrasement de ses aspirations ; de volonté d’industrialisation rapide, et de résorption de l’immensité paysanne ». Intellectuel marxiste qui avait compris le potentiel révolutionnaire extraordinaire de la paysannerie tout en se méfiant des inerties et de la culture du monde rural, Mao se tenait en équilibre, tant bien que mal, entre la tentation « d’instrumentaliser le peuple de la terre » et l’exigence de « répondre à ses demandes », pas toujours novatrices [119][119]Roland Lew, 1949. Mao prend le pouvoir, Bruxelles, Complexe,…. Ces tendances contradictoires expliquent à la fois la dimension épique de la longue marche (1934-1935), qui permit au communisme chinois de survivre grâce à son enracinement paysan, que l’échec du « Grand Bond en avant » (1958-1960), la tentative de modernisation forcée du pays.

46La Révolution française créa le clivage droite-gauche qui dessine encore aujourd’hui le paysage politique dans le monde entier. Au cours du xixe siècle, la sphère publique se partageait entre les légitimistes et les héritiers de la Révolution bien au-delà des frontières françaises. Le 1er mai 1933, Joseph Goebbels, ministre de la Propagande du IIIe Reich, proclamait lors d’un discours enflammé que l’Allemagne nazie avait tourné la page de la révolution et que 1789 allait être effacé de l’Histoire. Au même moment, la révolution était devenue la doctrine officielle de l’URSS de Staline, où les historiens de l’Académie des sciences étaient chargés d’en élaborer le récit en conformité avec le pouvoir. Il serait bien naïf, dans un tel contexte, de considérer l’historiographie des révolutions comme une tour d’ivoire peuplée de savants. Dans la plupart des cas, les trajectoires biographiques des historiens d’une telle discipline suffisent à montrer les ressorts de leur vocation intellectuelle. Au xxe siècle, plusieurs ouvrages majeurs d’histoire des révolutions furent écrits par des intellectuels qui étaient ou avaient été des révolutionnaires plutôt que des historiens professionnels (Léon Trotski, C.L.R. James, Isaac Deutscher, Adolfo Gilly, Harold Isaacs) ; d’autres par des exilés qui avaient fui la Russie soviétique (Richard Pipes) ; d’autres enfin par des historiens qui étaient communistes (Eric Hobsbawm, Albert Soboul, Michel Vovelle) ou étaient devenus conservateurs après avoir rompu avec le communisme (François Furet, Mona Ozouf). Tant Hobsbawm que Furet ont reconnu très honnêtement que leur expérience de militants communistes avait orienté leur regard sur l’histoire et marqué leur interprétation des révolutions. Ces clivages politiques forment l’arrière-plan de nombreux débats académiques à l’apparence plus conventionnels, dans lesquels se sont confrontées des « écoles », des revues et des approches méthodologiques. Les révolutions ont toujours été des objets d’histoire et, depuis quelques décennies, elles sont devenues des lieux de mémoire, mais elles continuent de façonner notre présent. Elles sont bien trop « chaudes » pour nourrir des débats apaisés.

Notes
  • [1]
    Sophie Wahnich, L’Intelligence politique de la Révolution française, Paris, Textuel, 2012, p. 10.
  • [2]
    Alain Guery, « Révolution : Un concept et son destin », Le Débat, n° 57, 1989, p. 106-128.
  • [3]
    Voir notamment Jean-Numa Ducange, La Révolution française et l’histoire du monde. Deux siècles de débats historiques et politiques 1815-1991, Paris, Armand Colin, 2014.
  • [4]
    Roger Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 1990.
  • [5]
    Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières. Ambivalences de la modernité, Paris, EHESS/Gallimard/Seuil, 2019, p. 29.
  • [6]
    Voir Arno J. Mayer, Les Furies 1789-1917. Violence, Vengeance, Terreur, Paris, Fayard, 2002, ch. 1.
  • [7]
    Charles Tilly, Les Révolutions européennes, 1492-1992, Paris, Seuil, 1999 ; Theda Skocpol, State and Social Revolutions. A Comparative Analysis of France, Russia, and China, Cambridge, Cambridge University Press, 1979 ; George Lawson, Anatomies of Revolution, New York, Cambridge University Press, 2019 ; Jonathan Israel, Idées révolutionnaires. Une histoire intellectuelle de la Révolution française, Paris, Alma-Buchet-Chastel, 2019.
  • [8]
    Voir Jean Tulard (dir.), La Contre-Révolution. Origines, histoire, postérité, Paris, Perrin, 1990.
  • [9]
    Voir Olivier Betourné et Aglaia I. Hartig, Penser l’histoire de la Révolution. Deux siècles de passion française, Paris, La Découverte, 1989 ; Eric J. Hobsbawm, Aux armes, historiens. Deux siècles d’histoire de la Révolution française, Paris, La Découverte, 2007 (1991) ; Antonino de Francesco, La Guerre de deux cents ans. Une histoire des histoires de la Révolution française, Paris, Perrin, 2018.
  • [10]
    Voir Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, éd. Gérard Walter, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1952, 2 tomes, 4 vol. (1847-1853) ; Thomas Carlyle, The French Revolution, A History, éd. Mark Cumming et David Sorensen, Oxford, Oxford University Press, 2020, 3 vol. (1837).
  • [11]
    Alexis de Tocqueville, « Souvenirs », Lettres choisies, Souvenirs, 1814-1859, Paris, Gallimard, 2003, p. 750.
  • [12]
    Sylvie Aprile, Raymond Huard, Pierre Lévêque et Jean-Yves Mollier, La Révolution de 1848 en France et en Europe, Paris, Éditions sociales, 1998 ; Axel Körner (dir.), 1848. A European Revolution ? International Ideas and National Memories of 1848, New York, St. Martin’s Press, 2000 ; Jonathan Sperber, European Revolutions, 1848-1851, New York, Cambridge University Press, 2005. Voir aussi Pierre Rosanvallon, Le Sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, 1992
  • [13]
    Sur l’« impensé de la représentation » dans l’historiographie du xixe siècle, voir Emmanuel Fureix et François Jarrige, La Modernité désenchantée. Relire l’histoire du xixe siècle français, Paris, La Découverte, 2015, p. 256-264.
  • [14]
    Voir Quentin Deluermoz, Le Crépuscule des révolutions 1848-1871, Paris, Seuil, 2012.
  • [15]
    Steven Kaplan, Farewell, Revolution. The Historians’ Feud. France, 1789-1989, Ithaca, Cornell University Press, 1995 ; George Comminel, Rethinking the French Revolution. Marxism and the Revisionist Challenge, Londres, Verso, 1987.
  • [16]
    Stéphane Courtois (dir.), Le Livre noir du communisme. Crimes, terreur, répression, Paris, Robert Laffont, 1997.
  • [17]
    François Furet, Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au xxe siècle, Paris, Laffont/Calmann-Lévy, 1995 ; Eric Hobsbawm, « Histoire et illusion », Le Débat, n° 89, 1996, p. 138. Sur les révisions qui accompagnèrent cette vague anticommuniste, voir Domenico Losurdo, Le Révisionnisme historique. Problèmes et mythes, Paris, Albin Michel, 2006.
  • [18]
    Sheila Fitzpatrick, « Revisionism in Soviet history », History and Theory, vol. 46, n° 4, 2007, p. 77-91. Il suffira ici de signaler, dans un vaste ensemble de travaux, Sheila Fitzpatrick, The Russian Revolution, New York, Oxford University Press, 2007 (1982) ; J. Arch Getty et Roberta T. Manning (dir.), Stalinist Terror. New Perspectives, New York, Cambridge University Press, 1993.
  • [19]
    Michel Dreyfus, Bruno Groppo, Claudio Ingerflom, Roland Lew, Claude Pennetier, Bernard Pudal et Serge Wolikow (dir.), Le Siècle des communismes, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2000. Dans un horizon analogue se situent les travaux d’historiens tels que Karl Schlögel en Allemagne, Andrea Graziosi et Silvio Pons en Italie.
  • [20]
    Voir, parmi les travaux les plus significatifs, Maurice Agulhon, Marianne au combat. L’imagerie et la symbolique républicaine de 1789 à 1880, Paris, Flammarion, 1979 ; Roger Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution françaiseop. cit. ; Lynn Hunt, Politics, Culture and Class in the French Revolution, Berkeley, University of California Press, 2004 (1984) ; Mona Ozouf, La Fête révolutionnaire 1789-1899, Paris, Gallimard, 1976 ; Dominique Godineau, Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française, Paris, Perrin, 2004 (1988) ; Jean-Clément Martin, La Révolte brisée. Femmes dans la Révolution française et l’Empire, Paris, Armand Colin, 2008 ; Sophie Wanich, Les Émotions, la Révolution française et le présent. Exercices pratiques de conscience historique, Paris, Éditions du CNRS, 2009.
  • [21]
    Annie Jourdan, La Révolution : une exception française ?, Paris, Flammarion, 2004 ; Bailey Stone, Reinterpreting the French Revolution. A Global-Historical Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 2002 ; Suzanne Desan, Lynn Hunt et William M. Nelson (dir.), The French Revolution in Global Perspective, Ithaca, Cornell University Press, 2013 ; Paul Cheney, Alan Forrest, Lynn Hunt, Matthias Middell et Karine Rance, « La Révolution française à l’heure du global turn », Annales historiques de la Révolution française, n° 374, 2013, p. 157-185 ; Sylvie Aprile, Jean-Claude Caron et Emmanuel Fureix (dir.), La Liberté guidant les peuples. Les révolutions de 1830 en Europe, Seyssel, Champ-Vallon, 2013. Dans une perspective plus vaste, voir Félix Chartreuse, Maud Chirio, Mathilde Larrère, Vincent Lemire, Eugénia Palieraki, Révolutions. Quand les peuples font l’histoire, Paris, Belin, 2013 ; David Motadel (dir.), Revolutionary World. Global Upheaval in the Modern Age, New York, Cambridge University Press, 2021 ; Clément Thibaud et Eugénia Palieraki, L’Amérique latine embrasée. Deux siècles de révolutions et de contre-révolutions, Paris, Armand Colin, 2023.
  • [22]
    Jonathan Israel, Idées révolutionnaires. Une histoire intellectuelle de la Révolution française, Buchet Chastel, Paris, 2019.
  • [23]
    Joseph de Maistre, « Considérations sur la France ». Écrits sur la Révolution, Paris, PUF, 1989 (1797), p. 129.
  • [24]
    Voir Enzo Traverso, Révolution. Une histoire culturelle, Paris, La Découverte, 2021, ch. 1.
  • [25]
    Martin Malia, Histoire des révolutions, Paris, Tallandier, 2006.
  • [26]
    Voir Mona Ozouf, L’Homme régénéré. Essai sur la Révolution française, Paris, Gallimard, 1989.
  • [27]
    Reinhart Koselleck, « Critères historiques du concept de “révolution” des temps modernes », Le Futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Éditions de l’EHESS, 2016, p. 70.
  • [28]
    Arno J. Mayer, Les Furiesop. cit., p. 126.
  • [29]
    Hannah Arendt, Essai sur la révolution, Paris, Gallimard, 1967 (1963), p. 131-32 et p. 165. Voir aussi Jacob Talmon, Les Origines de la démocratie totalitaire, Paris, Calmann-Lévy, 1966 (1952).
  • [30]
    Martin Malia, Histoire des révolutionsop. cit., p. 217.
  • [31]
    Voir Eric Hobsbawm, « Hannah Arendt and Revolutions », in Revolutionaries. Contemporary essays, New York, The New Press, 2001 (1973), p. 239-247. Antonio Negri a interprété cette position comme une « apologie métaphysique de la Constitution américaine » (Le Pouvoir constituant. Essai sur les alternatives de la modernité, Paris, PUF, 1997, p. 228).
  • [32]
    Voir, dans une large littérature, Eric Foner, Reconstruction. America’s Unfinished Revolution 1863-1877, New York, Harper & Row, 1988.
  • [33]
    Eric Hobsbawm, L’Ère des révolutions 1789-1848, Paris, Fayard, 1970 (1962) ; L’Ère du capital, 1848-1875, Paris, Fayard, 1978 (1975) ; L’Ère des empires, 1875-1914, Paris, Fayard, 1989 (1987) ; L’Âge des extrêmes. Le court xxe siècle, 1914-1991, Paris/Bruxelles, Complexe/Le Monde diplomatique, 1999 (1994).
  • [34]
    Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Paris, Flammarion, 1988 (1793).
  • [35]
    Christopher Hill, La Révolution anglaise, 1640, Paris, Éditions de la Passion, 1993 (1940) ; Albert Soboul, La Révolution française, Gallimard, Paris, 1984 (1962) ; Enrica Collotti-Pischel, La rivoluzione cinese, Rome, Editori Riuniti, 1973. Dans cette lignée s’inscrit aussi, dernier en date, Michel Vovelle, La Révolution française, 1789-1799, Paris, Armand Colin, 1999 (1979).
  • [36]
    Léon Trotski, Histoire de la Révolution russe, vol. 2, Paris, Seuil, 1995 (1932), p. 324.
  • [37]
    Ibid., vol. 1, p. 43. Sur Marx et la révolution en Russie, voir Theodor Shanin (dir.), Late Marx and the Russian Road. Marx and the Peripheries of Capitalism, New York, Monthly Review Press, 1983.
  • [38]
    Léon Trotski, Histoire de la Révolution russe, vol. 2, op. cit., p. 541-574.
  • [39]
    Eric Hobsbawm, L’Âge des extrêmesop. cit., p. 641.
  • [40]
    Ibid., p. 27.
  • [41]
    François Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978, p. 133 ; Alfred Cobban, « The myth of the French Revolution » (1954), Aspects of the French Revolution, New York, Braziller, 1968.
  • [42]
    Ibid., p. 29.
  • [43]
    François Furet, Le Passé d’une illusionop. cit., p. 572.
  • [44]
    François Furet et Denis Richet, La Révolution française, Paris, Fayard, 1973, p. 126.
  • [45]
    François Furet, Penser la Révolution françaiseop. cit., p. 295. Voir en particulier Augustin Cochin, « La crise de l’histoire révolutionnaire, Taine et M. Aulard » (1909), in La Machine révolutionnaire, Tallandier, Paris, 2018.
  • [46]
    François Furet, « Terreur », in François Furet et Mona Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française. Événements, Paris, Flammarion, 1992, p. 312.
  • [47]
    Ibid., p. 313.
  • [48]
    La continuité entre les Lumières radicales et le bolchévisme est un des topoï de l’historiographie conservatrice. Voir Jacob Talmon, Les Origines de la démocratie totalitaireop. cit., section I, ch. 3 ; Isaiah Berlin, Freedom and Its Betrayal. Six Enemies of Human Liberty, Princeton, Princeton University Press, 2014 (textes de 1952), p. 28-52 ; Richard Pipes, La Révolution russe, Paris, PUF, 1993, p. 736.
  • [49]
    François Furet, « 1789-1917 : Aller et retour », in La Révolution en débat, Paris, Gallimard, 1999, p. 188.
  • [50]
    Albert Mathiez, Le Bolchevisme et le Jacobinisme, Paris, Hachette/BNF, 2018 (1920) ; les références de Furet à Mathiez in Penser la Révolution françaiseop. cit., p. 139-140. La thèse d’une continuité est considérablement nuancée par Tamara Kondratieva, Bolcheviks et Jacobins. Itinéraire des analogies, Paris, Les Belles Lettres, 2017 (1989).
  • [51]
    Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794, Paris, Fayard, 2000, p. 234.
  • [52]
    Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, coll. « Folio », Gallimard, 1967 (1856), p. 81. Voir aussi Garry Runciman, « Unnecessary revolution. The case of France », European Journal of Sociology, XXIV, n° 2, 1983, p. 291-318.
  • [53]
    Edgar Quinet, La Révolution, préface de Claude Lefort, Paris, Belin, 1987 (1865).
  • [54]
    Alfred Cobban, Le Sens de la Révolution française, Paris, Julliard, 1984 (1964) ; Simon Schama, Citizens. A Chronicle of the French Revolution, Londres, Random House, 1989 ; Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreurop. cit. Les origines du concept d’idéocratie remontent à Waldemar Gurian, « Totalitarianism as political religion », in Carl J. Friedrich (dir.), Totalitarianism, Cambridge, Harvard University Press, 1953, p. 123.
  • [55]
    Martin Malia, La Tragédie soviétique. Histoire du socialisme en Russie, 1917-1991, Paris, Points-Seuil, 1995, p. 20.
  • [56]
    Hélène Carrère d’Encausse, Lénine, Paris, Fayard, 1998.
  • [57]
    Jean-Clément Martin, Violence et Révolution. Essai sur la naissance d’un mythe national, Paris, Seuil, 2006, p. 310.
  • [58]
    Arno J. Mayer, Les Furiesop. cit., p. 171-172 et p. 199. Sur la Terreur jacobine, voir aussi Sophie Wahnich, La Liberté ou la Mort. Essai sur la Terreur et le terrorisme, Paris, La Fabrique, 2003, p. 63 et p. 94.
  • [59]
    Ibid., p. 123. Voir Georges Lefebvre, La Grande Peur de 1789, Paris, Armand Colin, 1988. Voir aussi Timothy Tackett, « La Grande Peur et le complot aristocratique sous la Révolution française », Annales historiques de la Révolution française, n° 335, 2004, p. 1-17.
  • [60]
    Voir Ran Halévi, L’Expérience du passé. François Furet dans l’atelier de l’histoire, Paris, Gallimard, 2007, p. 64.
  • [61]
    Steven Kaplan, Farewell, Revolution, op cit., p. 83 et p. 103.
  • [62]
    Voir Daniel Bensaïd, Moi, la Révolution. Remembrances d’un bicentenaire indigne, Paris, Gallimard, 1989.
  • [63]
    Arno J. Mayer, La Persistance de l’Ancien Régime. L’Europe de 1848 à la Grande Guerre, Paris, Flammarion, 1983.
  • [64]
    Robert L. Palmer, The Age of the Democratic Revolution. A Political History of Europe and America, Princeton, Princeton University Press, 2 vol., 1959 et 1964.
  • [65]
    Jürgen Osterhammel, La Transformation du monde au xixe siècle, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2017 (2009), ch. X.
  • [66]
    Lynn Hunt, Inventing the Human Rights. A History, New York, Norton, 2007.
  • [67]
    Sur les révoltes des Taiping en Chine et des Cipayes en Inde, voir Jürgen Osterhammel, La Transformation du mondeop. cit., ch. X. Sur l’anticolonialisme paysan en Inde, voir Ranajit Guha, Aspects of Peasant Insurgency in Colonial India, Introduction James Scott, Durham, Duke University Press, 1999 (1983). Sur les Taiping, voir aussi Jean Chesneaux, Mouvements populaires et sociétés secrètes en Chine aux xixe et xxe siècles, Paris, Maspero, 1970, et Jacques Reclus, La Révolte des Taiping (1850-1864), Montreuil, L’Insomniaque, 2008 (1972).
  • [68]
    Auguste Blanqui, « Contre le positivisme » (1869), in Instructions pour une prise d’armes, L’éternité par les astres, et autres textes, édité par Miguel Abensour et Valentin Pelosse, Paris, Éditions de la Tête de Feuilles, 1972, p. 103.
  • [69]
    Christopher A. Bayly, La Naissance du monde moderne (1780-1914), Paris, Le Monde diplomatique/Éditions de l’Atelier, 2006, p. 10.
  • [70]
    Benedict Anderson, Les Bannières de la révolte. Anarchisme, littérature et imaginaire anticolonial, Paris, La Découverte, 2009 (2005).
  • [71]
    Voir Sylvie Aprile, Le Siècle des exilés. Bannis et proscrits de 1789 à la Commune, Paris, Éditions du CNRS, 2010.
  • [72]
    Voir Brigitte Studer, Travellers of the World. A Global History of the Communist International, Londres/New York, Verso, 2023 ; Serge Wolikow, L’Internationale communiste (1919-1943). Le Komintern ou le rêve déchu du parti Mondial de la révolution, Paris, Éditions de l’Atelier, 2010.
  • [73]
    Voir Quentin Deluermoz, Commune(s). Une traversée des mondes au xixe siècle, Paris, Seuil, 2020. Cette dimension globale est aussi largement présente chez Michel Cordillot (dir.), La Commune de Paris 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux, Paris, Éditions de l’Atelier, 2021.
  • [74]
    Christopher A. Bayly, La Naissance du monde moderneop. cit., p. 483.
  • [75]
    Voir la conclusion de Jürgen Osterhammel, La Transformation du mondeop. cit.
  • [76]
    Quentin Deluermoz, Commun(e) s 1870-1871. Une traversée des mondes au xixe siècleop. cit. La critique du mythe de la Commune est le point de départ de Kristin Ross, L’Imaginaire de la Commune, Paris, La Fabrique, 2015.
  • [77]
    Antonio Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de position, textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan, Paris, La Fabrique, 2011 (écrits entre 1929 et 1935), p. 253-259. Voir Vincenzo Cuoco, Saggio storico sulla rivoluzione di Napoli, Milan, Rizzoli, 1999 (1801).
  • [78]
    Voir David Blackbourn et Geoff Eley, The Peculiarities of German History. Bourgeois Society and Politics in Nineteenth-Century Germany, Oxford, Oxford University Press, 1984.
  • [79]
    Daniel Guérin, La Lutte de classe sous la Première République (1793-1797), Paris, Gallimard, 1946, 2 vol. ; nouvelle édition abrégée, Bourgeois et Bras nus, Paris, Libertalia, 2013.
  • [80]
    François Furet, Penser la Révolution françaiseop. cit., p. 193.
  • [81]
    Voir Eric J. Hobsbawm, Aux armes, historiensop. cit., et son essai « Faire une “révolution bourgeoise” », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 53, n° 4, 2006, p. 51-68. Sur ce débat au sein de l’historiographie marxiste, voir Neil Davidson, How Revolutionary Were the Bourgeois Revolutions ?, Chicago, Haymarket, 2012.
  • [82]
    Edmund Burke, Réflexions sur la Révolution en France, Paris, Les Belles Lettres, 2016 (1790) ; Alexis de Tocqueville, « Souvenirs », op. cit., p. 806 ; Hyppolite Taine, Les Origines de la France contemporaine, Paris, Hachette, 1904 (1878), t. 3, vol. 1, p. 84.
  • [83]
    Cesare Lombroso et Roberto Laschi, Il delitto politico e le rivoluzioni, Turin, Bocca, 1890, p. 35. Sur toute cette littérature voir Susanna Barrows, Miroirs déformants. Réflexions sur la foule en France à la fin du xixe siècle, Paris, Aubier, 1992.
  • [84]
    Scipio Sighele, La folla delinquente, Venise, Marsilio, 1985 (1891), p. 86 ; Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, PUF, 1995 (1895), p. 97-100.
  • [85]
    Ibid., p. 19.
  • [86]
    Ibid., p. 13.
  • [87]
    Georges Lefebvre, « Foules révolutionnaires », Annales historiques de la Révolution française, vol. 11, n° 61, 1934, p. 1-26.
  • [88]
    Voir Georges Lefebvre, La Grande Peur de 1789, Paris, Armand Colin, 2021 (1932) ; George Rudé, La Foule dans la Révolution française, Paris, Maspero, 1982 (1964).
  • [89]
    E. P. Thompson, « L’économie morale de la foule anglaise au xviiie siècle » (1971), in Les Usages de la coutume. Traditions et résistances populaires en Angleterre xviiie-xixe siècles, Paris, EHESS/Gallimard/Seuil, 2015.
  • [90]
    Léon Trotski, Histoire de la Révolution russe, vol. 1, op. cit., p. 33.
  • [91]
    Isaac Deutscher, Trotski, Paris, Éditions 10/18, 1980, vol. 5, p. 319.
  • [92]
    Jules Michelet, « Préface de 1869 », in Histoire de France, livre III, Œuvres complètes, vol. IV, Paris, Flammarion, 1971, p. 22. Voir aussi, sur ce thème, Lionel Gossman, « Histoire nationale, biographie, autobiographie », Littérature, n° 102, 1996, p. 29-54.
  • [93]
    Voir Louis Dupeux (dir.), La « Révolution conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Paris, Kimé, 1992, et Stefan Breuer, Anatomie de la Révolution conservatrice, Paris, Éditions de la MSH, 1996.
  • [94]
    Voir, parmi d’autres, George L. Mosse, La Révolution fasciste. Vers une théorie générale du fascisme, Paris, Seuil, 2003 ; Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ? Histoire et interprétation, Paris, Folio-Gallimard, 2004, ch. 5 : « Le fascisme fut-il une révolution ? », p. 145-176 ; Philippe Burrin, « Le fascisme : La révolution sans révolutionnaires », Le Débat, n° 38, 1986, p. 164-176. Pour Zeev Sternhell, cette synthèse « révolutionnaire » apparaît en France à l’époque de l’Affaire Dreyfus, bien avant la Grande Guerre, voir La Droite révolutionnaire 1885-1914. Les origines françaises du fascisme, Paris, Folio-Gallimard, 1997 (1978).
  • [95]
    Pour une critique du récit conventionnel du « coup d’État » bolchévique, voir Alexander Rabinowitch, Les Bolcheviks prennent le pouvoir. La révolution de 1917 à Petrograd, Paris, La Fabrique, 2016. La thèse du « coup d’État », codifiée par Curzio Malaparte, Technique du coup d’État, Paris, Grasset, 2022 (1931), avait déjà fait l’objet d’une critique par Trotski, Histoire de la Révolution russeop. cit., p. 672.
  • [96]
    Orlando Figes, La Révolution russe. La tragédie d’un peuple 1891-1924, Paris, Gallimard, 2009.
  • [97]
    Isaac Deutscher, « Two Revolutions » (1950), in Marxism, Wars & Revolutions, Londres, Verso, 1984, p. 35.
  • [98]
    Sheila Fitzpatrick, The Russian Revolutionop. cit., p. 4, et ch. 6.
  • [99]
    Stephen Kotkin, Magnetic Mountain. Stalinism as a Civilization, Berkeley, University of California Press, 1995.
  • [100]
    Arno J. Mayer, Les Furiesop. cit., p. 562-563.
  • [101]
    Anne Applebaum, Goulag. Une histoire, Paris, Gallimard, 2008. Voir aussi Nicolas Werth, « Un État contre son peuple : Violences, répressions, terreurs en Union soviétique », in Stéphane Courtois (dir.), Le Livre noir du communismeop. cit. Werth cite notamment Boukharine, qui avait parlé d’une « exploitation militaro-féodale » de la paysannerie (p. 179).
  • [102]
    Anne Applebaum, Goulag, op. cit., ch. XXI.
  • [103]
    Martin Malia, Histoire des révolutionsop. cit., p. 13-15.
  • [104]
    C.L.R. James, Les Jacobins noirs. Toussaint Louverture et la Révolution de Saint-Domingue, Paris, Amsterdam, 2009 (1938).
  • [105]
    Michel-Rolph Trouillot, Silencing the Past. Power and the Production of History, Boston, Beacon Press, 1995, notamment le ch. 3, p. 70-108.
  • [106]
    Sur ce point je me permets de renvoyer à Enzo Traverso, Mélancolie de gauche. La force d’une tradition cachée (xixe-xxie siècle), Paris, La Découverte, 2016, ch. 4 (« Spectres du colonialisme »). Sur la complexité des positions de Marx à l’égard du colonialisme, voir Kevin Anderson, Marx aux antipodes. Nations, ethnicité, et sociétés non occidentales, Paris, Syllepse, 2015.
  • [107]
    Roman Rosdolsky, Friedrich Engels et les « peuples sans histoire ». La question nationale dans la révolution de 1848, Paris, Syllepse, 2018.
  • [108]
    Pour une vision d’ensemble, voir Clément Thibaud et Eugénia Palieraki, L’Amérique latine embraséeop. cit.
  • [109]
    Adolfo Gilly, La Révolution mexicaine 1910-1920, Paris, Syllepse, 1995 (1971), ch. VIII. Voir aussi John Womack, Emiliano Zapata et la Révolution mexicaine, Paris, Maspero, 1976.
  • [110]
    John Reed, Insurgent Mexico, Harmondsworth, Penguin Books, 1983 (1914), p. 108.
  • [111]
    John M. Hart, Revolutionary Mexico. The Coming and Process of the Mexican Revolution, Berkeley, University of California Press, 1987, p. 362.
  • [112]
    Alan Knight, The Mexican Revolution. A Very Short Introduction, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 7.
  • [113]
    Sur la pénétration des idées anarchistes et socialistes au Mexique, voir Carlos Illades, Las otras ideas. Estudio sobre el primer socialismo en Mexico, Mexico, Ediciones Era/UNAM, 2008.
  • [114]
    Voir Alan Knight, The Mexican Revolution, vol. 1 : Porfirians, Liberals, and Peasants ; vol. 2 : Counterrevolution and Reconstruction, New York, Cambridge University Press, 1986.
  • [115]
    Alan Knight, « The myth of the Mexican Revolution », Past and Present, n° 209, 2010, p. 223-273.
  • [116]
    Harold R. Isaacs, La Tragédie de la Révolution chinoise, 1925-1927, Paris, Gallimard, 1967 (1938).
  • [117]
    Lucien Bianco, Les Origines de la Révolution chinoise, 1915-1949, Paris, Gallimard, 2006 (1967) ; Rebecca Karl, China’s Revolutions in the Modern World, Londres/New York, Verso, 2020 ; Roland Lew, « Le communisme chinois », in Michel Dreyfus (dir.), Le Siècle des communismesop. cit., p. 233-258.
  • [118]
    Isaac Deutscher souligne le « substitutisme » qui caractérisa le pouvoir maoïste dès le départ, à la différence de la Russie où il n’intervint que quelques années après la révolution. Isaac Deutscher, « Maoism. Its origins and outlook » (1964), in Marxism, Wars & Revolutionsop. cit., p. 199.
  • [119]
    Roland Lew, 1949. Mao prend le pouvoir, Bruxelles, Complexe, 1999, p. 148-149.
 
Mis en ligne sur Cairn.info le 28/09/2023