« Il faut retrouver la logique d’un capitalisme vertueux, dont une nouvelle répartition des revenus serait un levier fondamental »

 

 

Les économistes Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur expliquent, dans une tribune au « Monde », pourquoi une proportion de deux tiers pour un tiers entre les parts du travail et du capital est la plus créatrice d’emplois.

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Le plein-emploi est un objectif réaffirmé par Emmanuel Macron. Sans nul doute, le chômage a bien baissé depuis plusieurs années et a atteint un plancher d’environ 7 %. Cependant, on est encore loin d’un plein-emploi tel que le définissent des économistes, autour de 4 %. Désormais, la France est confrontée aux menaces de stagnation et à un début de remontée du chômage.

Comment inverser la dynamique actuelle et reprendre le chemin vers le plein-emploi ? Faut-il remettre en question la politique économique centrée sur la seule offre ? Il faut avoir en tête le constat majeur de la hausse importante de la part des profits dans les revenus depuis les « trente glorieuses », dans toutes les économies avancées, alors qu’en parallèle la croissance économique n’a cessé de fortement ralentir, voire de stagner, depuis plusieurs décennies, comme l’illustre à l’extrême le Japon.

En outre, il est démontré que la croissance de l’emploi est maximale pour une répartition de deux tiers pour les salaires et d’un tiers pour les profits, soit une part moyenne des profits plus limitée qu’actuellement. Il existe en effet une incitation à créer des emplois lorsque la part des profits est inférieure à un tiers, mais à en détruire dans le cas contraire. Cette observation est confirmée par l’analyse de dix-sept économies avancées sur les six dernières décennies. La politique de l’offre, prééminente sur cette période, ne fonctionne avec succès que si elle suscite un supplément de demande, autrement dit s’il y a une réaction en chaîne entre les accroissements de l’offre et de la demande, comme l’a théorisé, en 1972, l’économiste britannique Nicholas Kaldor (1908-1986).

Effort d’investissement

La France a suivi l’évolution générale avec une part du profit se hissant de 27 % à 36 % jusqu’à la crise financière de 2008. Contrairement à la plupart des autres économies développées, la part du profit a régressé ensuite pour revenir à une valeur proche de 33 %, soit la répartition « idéale », selon le modèle théorique que nous prônons. Cette meilleure répartition a sûrement favorisé la création d’emplois et la réduction du chômage durant ces dernières années.

Mais, derrière cette moyenne apparemment idéale, se cachent de grandes disparités entre les entreprises, grandes et petites. Celles du CAC 40 ont une part des profits très élevée, 44 % de la valeur ajoutée, tandis qu’elles détruisent des emplois. Au contraire, dans les PME [petites et moyennes entreprises] et les ETI [entreprises de taille intermédiaire], la part des profits est inférieure à la valeur optimale, et elles sont créatrices d’emplois. Il faut modifier cette déformation liée à la taille des entreprises, ce qui n’est pas simple a priori. Le plus efficace serait d’accroître les investissements d’avenir, ce qui permettrait la création d’emplois et, à terme, le rééquilibrage de la répartition. Pour cela, il faut réatteindre un taux d’investissement de 24 % du PIB, soit 2 points de plus qu’aujourd’hui, afin de retrouver une croissance

C’est donc bien dans l’effort d’investissement, par ailleurs absolument nécessaire aux transitions écologique, démographique ou encore numérique, que se situent les créations d’emplois et donc la perspective à terme du plein-emploi.

Comment les financer ? Force est de constater que les grandes entreprises ont eu tendance à diminuer leurs investissements au profit des dividendes et des rachats d’actions. Par exemple, les entreprises du CAC 40 ont versé, en 2022, 67 milliards d’euros de dividendes et procédé à des rachats d’actions pour 25 milliards, des records en la matière. Il faut que ces profits soient utilisés plus efficacement, que les dividendes versés ne correspondent qu’à une rémunération normale de la prise de risque et que cesse toute politique de rachats d’actions. Selon l’éthique et l’esprit du capitalisme de Max Weber, le maximum des profits doit être consacré à l’investissement !

Libérer le stock d’épargne

Pour ce qui concerne les PME et les ETI, une politique fiscale plus avantageuse leur permettrait aussi de créer davantage d’emplois et d’investir pour l’avenir. Le taux d’imposition de 15 % devrait donc être étendu, alors qu’il concerne actuellement trop peu de PME.

 

Mais surtout, il convient d’associer bien davantage les salariés au partage des profits, que ce soit par l’actionnariat salarié, l’intéressement, la participation ou la prime de partage de la valeur ou encore par les dispositifs d’épargne salariale ou d’épargne retraite. La mise en place récente de dispositifs de partage de la valeur pour les entreprises de 11 à 49 salariés est bénéfique et constitue un facteur de confiance pour les salariés.

Ces nouvelles politiques d’investissement, et donc de répartition, doivent amorcer un nouveau cercle vertueux faisant sortir l’économie de la stagnation, surtout si ces investissements, consacrés à une économie décarbonée, créent un retour de la confiance libérant une partie de l’important stock d’épargne qui s’est accumulé depuis plusieurs années et induisant ainsi une consommation plus dynamique.

En définitive, il faut retrouver la logique d’un capitalisme vertueux, des revenus duquel une nouvelle répartition serait un levier fondamental. Bien sûr, tout cela n’est pas facile à mettre en œuvre et il faudra d’autres politiques pour accompagner les transitions en cours, mais c’est en se rapprochant de cette « règle d’or » que l’on pourra réellement aller vers le plein-emploi et affronter les multiples défis auxquels le monde doit faire face.

Jean-Hervé Lorenzi est professeur émérite d’économie de l’université Paris-Dauphine, président des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, titulaire de la chaire Transitions démographiques, transitions économiques ; Alain Villemeur est économiste et ingénieur, directeur scientifique de la chaire Transitions démographiques, transitions économiques. Ils ont écrit « Partage vertueux entre salaires et profits » (Economica, 112 pages, 23 euros)

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