- L’humanisme : l’homme d’abord, tout l’homme, tous les hommes
- Albert Memmi
- Dans Humanisme 2009/2 (N° 285), pages 72 à 79
Romancier et essayiste, Albert Memmi est un infatigable combattant de la liberté. Juif, né en Tunisie coloniale, de langue maternelle arabe, c’est l’école française qui l’éduquera. Ses premiers livres sont préfacés par Camus et par Sartre. Son œuvre est marquée par une réflexion sur les concepts de judéité et d’hétérophobie. Entre Orient et Occident, Albert Memmi nous livre sa vision de l’humanisme.
1Le 9 janvier 1642 mourait Galilée à Arcetri, où il était assigné à résidence forcée depuis 1633. La rigueur de la condamnation prononcée par l’Église n’avait pas été atténuée par sa cécité totale depuis 1638. Encore avait-il sauvé sa vie en faisant une rétractation navrante, qui nous fait honte aujourd’hui encore.
2« Moi, Galileo Galilei, Florentin de soixante-dix ans, constitué personnellement en jugement et agenouillé devant vous, éminentissimes et révérendissimes cardinaux de la république universelle chrétienne, inquisiteurs généraux, ayant devant les yeux les Saints et Sacrés Évangiles, que je touche de mes propres mains, je jure que j’ai toujours cru, que je crois maintenant et que, Dieu aidant, je croirai à l’avenir tout ce que tient, prêche et enseigne la Sainte Église, apostolique et romaine (…). » Quel était le crime de cet homme qui a définitivement marqué l’histoire des sciences et de la pensée ?
3« J’ai été véhémentement suspect d’hérésie pour avoir soutenu et cru que le Soleil était le centre du monde et immobile et que la Terre n’était pas le centre et qu’elle se mouvait. » Pour atténuer la responsabilité de ses juges, on a dit qu’ils connaissaient la vérité et en convenaient en privé. Je ne vois pas en quoi cela les excusait ; je trouve au contraire que le scandale est plus grand. Ils ont, comme toujours, préféré sacrifier la vérité, et la justice, à l’intangibilité des dogmes. Que deviendrait, en effet, l’ascension du Christ vers les hauteurs célestes si la Terre n’est pas le centre de l’univers ? Ou la localisation de l’Enfer, traditionnellement situé dans les basfonds ? Cette bataille contre la liberté de l’esprit et le progrès des connaissances n’a jamais cessé. Lors de la promulgation de droits de l’homme, le pape de l’époque a proclamé que ces droits étaient en opposition avec ceux de Dieu ; il n’avait pas tort : il s’agit bien de deux philosophies radicalement différentes. S’il fallait choisir un maître-mot pour la philosophie des droits de l’homme (et si j’osais : de toute philosophie), un concept qui ordonnerait tous les autres, celui d’humanisme me paraît celui qui conviendrait encore le mieux. À quoi sert la connaissance sinon, par-delà le plaisir de la curiosité, à maîtriser le réel à notre profit ? La morale, sinon à régler notre conduite en vue d’une meilleure vie commune ? À quoi sert la métaphysique, dont la religion est l’une des expressions, sinon à mieux nous situer dans l’univers ?
On assiste à une extraordinaire offensive contre les humanistes
4J’ai l’air de cultiver le paradoxe ; jamais, semble-t-il, l’humanisme ne s’est si mal porté. Ne parlons pas de ces pays où il n’a aucune place dans les préoccupations des puissants, ni de ceux où la religion exige de l’homme une totale soumission à Dieu et à ses servants. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes ; le pouvoir politique et le pouvoir clérical se prêtant l’un l’autre main-forte. Même en Europe, qui eut l’honneur d’en être le berceau, à peine le totalitarisme soviétique commence-t-il à reculer que pointe le danger d’un totalitarisme clérical. On assiste à une extraordinaire offensive contre les humanistes, assimilés, en un amalgame douteux, aux athées et aux païens, dénoncés comme des incarnations du diable. Seule une « réévangélisation de l’Europe », rappelle sans cesse le pape, c’est-à-dire seul un nouvel ordre clérical, pourrait nous exorciser contre le risque de destruction de la civilisation. Dans les pays d’Islam, à peine l’humanisme a-t-il montré le bout de son nez qu’il est pourchassé, anathématisé. Heureusement, si l’on peut dire, que le capitalisme libéral ne s’accommode guère d’une société rigidement tenue par les prêtres ! Mais cette contradiction n’est qu’à moitié rassurante ; le capitalisme, fûtil libéral, ne vient nullement pour cela au secours de l’humanisme. Le capitalisme ne fait de place à l’homme que parce que, vendeur, il lui faut des acheteurs. Il se soucie plus de vendre que de celui à qui il vend. De toute façon, tant pis pour les démunis, les fragiles, les marginaux. Enfin, il l’a suffisamment démontré dans le passé, il n’hésite guère à recourir à la violence et au massacre si ses intérêts se trouvent menacés ; on passe bien vite alors, du capitalisme libéral au fascisme, c’est-à-dire à l’écrasement de l’homme.
5Tout cela n’a rien de surprenant. Si l’humanisme est cette philosophie qui s’obstine à donner priorité à l’homme, il est normal qu’il soit suspecté, contesté, brimé par toutes les formes d’organisation sociale qui prétendent servir d’abord les groupes ou les idéologies. Dans l’Encyclopaedia universalis, qui aurait mérité plus d’objectivité, le rédacteur de l’article «humanisme », pourtant professeur d’université, reprenant complaisamment le thème à la mode de la « mort de l’homme », écho de la « mort de Dieu » proclamée par Nietzsche, cache à peine son dédain. Un philosophe professionnel (Jean-François Mattei) a écrit dans Le Monde : « L’homme, s’il se limite à la seule visée humaniste, et au rapport réversible de l’homme avec l’homme, restera toujours pris dans les lacets du Même, sans possibilité d’élévation ou de compréhension pour ce qui lui est étranger. »
6Qu’en termes savants ces sottises sont-elles formulées ! Pourquoi être humaniste empêcherait-il de comprendre les hommes ? Pourquoi faut-il faire le détour par Dieu ? Pourquoi cette impossibilité d’« élévation », sinon parce que l’on ramène, comme d’habitude, toute l’élévation spirituelle à l’élévation religieuse, si ce n’est à l’élévation physique, vers le ciel ? Il s’agit toujours de réduire la part de l’homme, sinon de le sacrifier, au profit de celle de l’Église, de la nation ou de la révolution. « Seul Dieu est grand ! » crient en toute occasion les islamistes. « On ne transige pas avec Dieu ! » répétait le recteur de la Mosquée de Paris. Le Grand rabbin de France, plus audacieux ou plus naïf, le rappelle plus crûment : « Nous sommes des croyants avant d’être des hommes.». Il n’y a guère, les nationalistes allemands proclamaient : « L’Allemagne au-dessus de tout ! » Voici maintenant la sacralisation des frontières. Ah ! si un jour nous adoptions avec la même fermeté la devise :
7« L’homme d’abord ! On ne transige pas avec l’humain ! » Nous n’aurions plus besoin alors des idoles et des dieux car, selon l’excellente formule d’un humaniste contemporain « s’il n’y a rien à croire ni à espérer… il y a à vivre et à aider » (Jean Cassou).
8On ironise volontiers sur la précarité de l’humanisme ; à peine est-il né qu’il serait déjà mort. Il pèserait vraiment très peu au regard de tant de doctrines vénérables. Et, sans doute, le mot humanisme, qui vient de l’allemand humanismus, date seulement de 1850 environ. Il faut attendre Proudhon pour le voir utiliser couramment. Il suscite alors quelque enthousiasme pour accompagner le socialisme naissant : mais avec les doutes et les échecs de l’utopie socialiste, le cœur n’y est plus. Néanmoins, si le terme d’humanisme est récent, la philosophie humaniste ne le cède en rien, par l’ambition, aux autres doctrines.
9Protagoras, sophiste grec du VIe siècle avant J.-C., serait en somme l’ancêtre et le premier concepteur de l’humanisme ; puis, pourquoi pas, Socrate, qui inlassablement, avec une patiente ironie, assure, fortifie contre tous les dogmatismes l’esprit de ses interlocuteurs. Il serait véridique de noter que l’affirmation de la prééminence de l’homme, et de l’humain en l’homme, passe par des hauts et des bas. Disons qu’il a toujours existé deux traditions, qui tantôt s’allient, tantôt s’excluent plus ou moins sans y arriver jamais tout à fait, parce qu’elles correspondent à deux besoins différents, peut-être incoercibles : la préoccupation de l’humain et celle d’un au-delà de l’humain.
10Les penseurs religieux eux-mêmes ont souvent tenté une synthèse de l’humanisme avec la foi. Les persécutions n’arrivèrent jamais à réduire totalement la ténacité du courant humaniste, même en milieu fidéiste. Le Moyen âge, où triomphent les pouvoirs cléricaux, en voit évidemment une éclipse apparente, mais il continue à cheminer, plus ou moins masqué, dans les œuvres. La Renaissance renoue, ouvertement cette fois, avec l’humanisme ; elle est à la recherche d’un modèle d’homme complet, libre et épanoui.
11En 1486 déjà, Pic de La Mirandole publie son livre au titre-manifeste De la dignité de l’homme, où il affirme qu’il a trouvé « dans les livres des Arabes qu’on ne peut rien voir de plus admirable que l’homme ». Le XVIIIe siècle français et anglais sera le grand siècle de l’humanisme, avec la franche revendication du bonheur pour tous, et même la réhabilitation du plaisir. Dorénavant, sous des formes variées, à des degrés divers, l’humanisme ne quittera plus la scène philosophique et culturelle. Même le curieux XIXe siècle demeure, à travers ses régressions, soumis aux instances traditionnelles. Puis le marxisme, l’existentialisme et même un certain christianisme. L’humanisme laisse intactes les possibilités de cohabitation entre des hommes différents et qui tiennent à leurs différences, s’ils arrivent à se mettre d’accord sur quelques principes communs. Ce qui n’est tout de même pas le cas des doctrines rivales ! L’humanisme n’est heureusement pas une dogmatique philosophique, ou une foi, exclusive des autres au nom de textes intouchables.
L’humanisme en trois propositions : l’homme d’abord ; tout l’homme ; tous les hommes
12Quels seraient donc ces principes ? Sous les habillages divers dus aux circonstances de l’histoire et de la géographie, on pourrait, me semble-t-il, résumer l’essentiel de l’humanisme en trois propositions ; l’homme d’abord ; tout l’homme ; tous les hommes.
13La première proposition peut être illustrée par la formule définitive (aussi définitive en tout cas que pourrait l’être la civilisation) : l’homme est la mesure de tout. Comme pour la plupart des pré-socratiques, dont nous n’avons plus que des fragments, nous ne savons guère ce que le philosophe grec a voulu mettre dans ce raccourci ; mais je sais ce que moi, je veux défendre derrière cette superbe bannière : l’homme doit être le centre, le critère et le but de la connaissance et de l’action. Les intérêts et le respect de l’homme doivent toujours passer avant les autres. Avant tous les autres ? Même avant ceux de la science ? Oui, même avant ceux de la science, de l’art ou de la religion ! Rappelons-nous sans cesse que la science, l’art, la religion, le droit sont faits pour l’homme et non l’inverse. Il y a aussi dans l’humanisme, il faut le rappeler, un eudémonisme : on y cherche toujours à augmenter le bien-être du plus grand nombre, selon le principe des empiristes anglais du XVIIIe siècle. Du reste, dès que l’on oublie cela, on tombe toujours dans quelque idolâtrie.
14C’est encore ce relativisme, avec l’homme comme repère, qui inspire une méthode d’approche du réel. Nous ne savons pas si notre esprit peut atteindre le fond des choses, l’essence par-delà les « phénomènes » (si ces expressions ont un sens), mais nous savons que nous ne disposons que de notre esprit pour comprendre le réel, et que son outil principal est la raison. Il s’ensuit non un dogmatisme orgueilleux, comme on le prétend quelquefois, mais au contraire une modestie systématique. La critique des faits et des événements, que nous exigeons de l’esprit avec l’aide de la raison, nous la réclamons de l’esprit à l’égard de lui-même. Ce que l’on nomme justement l’esprit critique, c’est-à-dire l’esprit critique de lui-même, par rapport à l’esprit d’autorité, lequel est une renonciation par l’esprit à sa propre liberté. Ce relativisme critique, qui conduit au relativisme historique et culturel, exige la tolérance et la mesure. L’humanisme débouche sur une sagesse. Car il s’agit bien d’une philosophie de l’homme et de l’humain. Si l’on comprend qu’elle suscite discussion, par quel scandaleux retournement des sens, les dogmatiques en tous genres, chauvins et intégristes, osent-ils mettre en doute sa noblesse ? Un cardinal a osé stigmatiser, dans une déclaration publique, l’humanisme comme synonyme de pouvoir de l’argent, du sexe et de la violence ! Alors que c’est la seule philosophie qui défende l’homme contre toutes les idolâtries, religieuses, financières ou politiques et même.
15La seconde proposition, sans laquelle la première risque de demeurer abstraite, considère la totalité de l’homme concret, souffrant et se réjouissant ; l’homme individuel, non seulement l’homme universel. Elle pourrait avoir comme devise celle du poète latin Terence, laquelle pourrait servir également pour la troisième proposition : « Rien de ce qui est humain ne nous est étranger ». Les beaux esprits vont encore sourire : tout cela est bien vieux. Mais oui, précisément, l’humanisme est une vieille affaire, recouverte par les vagues déferlantes de tous les totalitarismes. Les sages grecs ont dit à peu près ce qu’il fallait dire sur la conduite humaine, sa complexité et ses difficultés. Faut-il renoncer à ce patrimoine sous le prétexte que, ayant résisté au temps, il est devenu banal ? Et que le judéo-christianis-me l’a plutôt appauvri ?
16La devise de Terence peut signifier que l’on doive s’intéresser à tous les aspects de l’homme, ou à tous les hommes qui forment ainsi une même humanité. Dans le premier sens, l’homme possédant ou plutôt étant à la fois un corps, un esprit, un être social et un être imaginaire, l’humanisme ne dédaigne aucun de ces aspects, nonobstant une préférence pour tel ou tel d’entre eux. L’homme est un animal dans son fonctionnement biologique, dans une large partie de sa psychologie, dans sa participation à un être collectif, comme le sont les animaux sociaux, peut-être même dans sa vie fictionnelle ; car, nous le savons maintenant, les animaux aussi rêvent, appréhendent, espèrent. À la formule de Terence, on pourrait ajouter ici la fameuse remarque de Pascal sur l’ange et la bête qui sont également en nous. L’attention au corps, à ses réalités, à ses légitimes nécessités, besoins et désirs, et même plaisirs, ne signifie nullement que l’humanisme n’est pas soucieux de ce qui est spécifiquement humain dans l’homme, c’est-à-dire sa culture, le développement particulier de sa raison et la recherche d’une éthique, d’une régulation de sa vie collective. Les accusations portées contre l’humanisme parce qu’il refuse de considérer séparément l’ange dans l’homme sont dérisoires et suspectes. Une longue lignée d’humanistes ont démontré, avec éclat, que le respect de l’esprit et de ses libres productions est chez eux plus grand qu’ailleurs ; au détriment souvent de leur tranquillité personnelle, et même quelquefois de leur vie. En somme, cette deuxième proposition conduit à une anthropologie compréhensive, ouverte à tous les aspects de la réalité humaine, sans exclusive d’aucune sorte, du sexe par exemple, comme l’exigent souvent nos religionnistes.
17Enfin, l’homme est un être social même lorsqu’il vit en solitaire. Il est constitué, littéralement, par ses rapports avec différents partenaires, depuis sa naissance et tout le long de sa vie. Dans ses retraites les plus hermétiques, les plus éloignées, il emporte avec lui les acquis de la civilisation ; il continue jusque dans son imagination à dialoguer avec ses semblables absents. La sociabilité de l’homme s’édifie du groupe le plus étroit, celui qu’il forme avec ses géniteurs, puis avec ses frères et sœurs, jusqu’à l’ensemble des hommes vivant sur la terre. Montesquieu, dans une formule d’une parfaite générosité, a proposé de privilégier toujours le plus large sur le plus étroit : l’humanité sur la nation, la nation sur la région, la région sur le clan, le clan sur la famille. On peut discuter cet ordre, il en reste que tout ce qui est humain nous concerne, nous émeut. Nous appartenons à plusieurs groupes et, d’une certaine manière, à tous, quelle qu’en soit la hiérarchie. Nous sommes en quelque mesure, solidaires de tous les hommes : ce n’est pas seulement un vœu éthique, c’est un fait de plus en plus évident aujourd’hui. Nos liens économiques, culturels, écologiques s’affirment tous les jours davantage, de sorte que l’universalisme s’inscrit de plus en plus dans nos existences, après avoir été un dessein plus ou moins utopique. Si la morale est l’ensemble des règles normatives qui nous permettent de vivre ensemble, nous avons, plus que jamais, besoin d’un art de vivre dans ce grand ensemble commun que devient l’humanité. Bref, il nous faut une loi commune, assortie, osons le dire, d’une force commune ; être humaniste ne signifie pas être utopiste ou étourdi, ou lâche. Certes, le changement étant inquiétant, ce passage suscite des résistances, sinon des convulsions, ou même quelques retours en arrière. Mais qui songe sérieusement à empêcher la diffusion à l’échelle planétaire des nouveaux moyens de communication ? Ils se traduisent déjà par une connaissance historiquement inouïe de nos semblables.
18C’est encore une ambition humaniste que l’on retrouve dans un éventuel quatrième sens de l’humanisme : mieux connaître les hommes dans leur fonds commun, par-delà leur diversité, de leurs écrits traditionnels, de leurs sagesses respectives. Cela s’appelait naguère d’un beau titre : « les humanités », grâce auxquelles chacun se familiarisait avec les héritages culturels, se les appropriait en quelque sorte pour composer un immense héritage commun. Jamais comme aujourd’hui ce rêve n’a eu plus de chance de se transformer en réalité. Nous commençons enfin à forger notre véritable Histoire commune. Bref, si la première formule est relative à la psychologie, la seconde à l’anthropologie, la troisième concerne la morale ; une quatrième serait relative à la culture. L’humanisme est en effet une philosophie complète, connaissance et conduite, qui part de l’homme et y retourne.
Les dieux, les religions, les groupes et leurs idéologies passent, l’homme demeure
19Si nous avons le loisir de choisir une autre philosophie (la morale ne s’impose pas hélas, comme une « nécessité »), nous n’avons pas le choix de choisir ou de ne pas choisir. Les dieux et les religions, les groupes et leurs idéologies passent, l’homme demeure, tel ce fellah égyptien qui a traversé les siècles, ressemblant à lui-même depuis les pharaons. Nous pouvons choisir de l’opprimer, de le massacrer, nous ne pouvons pas nous en distraire.
20La deuxième remarque est toutefois que, si nous choisissons l’injustice, l’inégalité et l’oppression, nous prenons du même coup le risque de la guerre permanente. L’homme se résigne difficilement à la sujétion.
21La troisième remarque est que c’est un projet bien exaltant pour le moraliste, pour le politique et pour le pédagogue. On entend dire que nos sociétés ne peuvent plus offrir aux jeunes gens un idéal pour leur existence commençante, que la morale n’existe plus, que les valeurs se sont effondrées. C’est absurde : il existe toujours des valeurs, certaines quasi permanentes, même si elles sont voilées quelquefois. C’est là une manœuvre pour nous persuader que le salut serait dans un retour aux valeurs traditionnelles et aux pouvoirs qui en vivent. Certes, les changements considérables que nous vivons exigent de nous réflexion et ajustement, mais n’est-il pas exaltant d’édifier un monde où la souffrance, la misère et l’oppression auront la plus petite part ? De contribuer au bonheur des hommes, de tous les hommes sur la planète ? Aider les hommes à sortir des préjugés et de l’ignorance, est-ce une tâche négligeable ? Il existe à Paris un superbe musée au titre évocateur, le musée de l’Homme : il en faudrait dans toutes les villes, de tous les pays, afin que les enfants, les jeunes gens, les adultes, y constatent que, par-delà leurs différences, curieuses ou passionnantes, les hommes sont fondamentalement frères et méritent une égale compassion. Peut-être alors se laisseront-ils convaincre de ne pas se jeter périodiquement les uns contre les autres en d’atroces et vaines tragédies.p
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