Lutte des places

 

 

REPOLITISONS CE PAYS. C’EST URGENT

 

Quand la lutte des places fait rage dans une société qui fut éminemment conflictuelle – et l’est toujours, bien sûr au grand dam des dirigeants politiques qui veulent l’ignorer – c’est peut–être le signe que les membres de cette société enfin pacifiée ont décidé de rechercher dans la paix sociale tant rêvée, les solutions aux graves problèmes que tous ont intérêt à voir être résolus.

Créer des emplois stables, offrir aux salariés des CDI payés décemment, garantir à tous les citoyens un revenu minimum décent, éliminer la pauvreté, réduire les inégalités, faire baisser le taux de chômage, combattre le chômage de longue durée, prévoir une formation continue pour tous, tout cela, et bien d’autres choses comme des soins de qualité pour tout le monde, des logements décents pour tous,  un système éducatif performant, semble être des horizons d’attente qui pourront être atteints si, TOUS ENSEMBLE, TOUS ENSEMBLE on décidait de s’y mettre.

Nous sommes « Tous citoyens » « Tous martiniquais »," Tous créoles » et tout ce que tout un chacun voudra bien être.

Une certitude pour tous ceux qui tiennent les discours évoqués trop sommairement ci-dessus, celui qui accorde un quelconque crédit à la formule suivante, « les masses sont divisées en classes, les classes sont représentées par des partis, et les partis sont dirigés par des chefs »,[1] est un radoteur d’une autre époque, celle du Court 20ème siècle.1914-1991 – pour reprendre le sous-titre du fameux L’âge des extrêmes du grand historien anglais Eric J.Hobsbawm (1917-2012).

Puisque les partis ne représentent plus des classes sociales, (un très gros mot pour nos politiciens martiniquais, toutes tendances confondues), des groupes sociaux, il faut comprendre et approuver ceux et celles qui ont très bien compris les stratégies à mettre en œuvre lorsque la lutte des places fait rage. On adhère au parti ou au regroupement susceptible d’offrir le plus de places, les meilleures places. Celles qui permettent de hanter gracieusement les hôtels et les restaurants de luxe de la planète, d’accumuler des miles acquis grâce aux nombreux voyages le plus souvent inutiles, bavarder sur les plateaux de télévision, augmenter ses revenus et surtout son patrimoine sans oublier l’obtention d’avantages divers pour parents amis et alliés.

On abandonnera à la moindre occasion le parti ou le regroupement qui perd sa capacité d’offrir des rentables strapontins.

Il suffit de se remémorer les péripéties vécues récemment par le MIM, et depuis un peu plus longtemps, par le fameux EPMN dont il est très facile de prévoir la disparition prochaine, et aussi par l’éphémère G 20, qui a tout de même permis aux martiniquais de comprendre ce que peut signifier le ridicule, l’imbécilité, la forfanterie, la vaine bravade et la vraie couardise en politique.

 Tout le monde joue placé, peu importe la couleur du cheval. Pourvu qu’il rapporte gros.

Loin derrière nous l’époque où il était évident que le Parti Communiste Martiniquais et le parti socialiste, la SFIO, défendaient les ouvriers, les classes populaires, représentaient la gauche. A cette époque, le RPR défendait les intérêts des patrons, des békés. A cette époque pas besoin d’être un expert en sociologie politique pour s’orienter dans le champ politique martiniquais.

Aujourd’hui, ou du moins depuis la fin des années quatre-vingt du siècle dernier, les choses ont bien changé, ce que refusent d’admettre un trop grand nombre de martiniquais.

Mais les partisans et les acteurs de la lutte des places se trompent lourdement.

Il existe des pauvres et des riches, des dominants et des dominés, des exploités et des exploiteurs (encore deux gros mots à ne jamais prononcer dans les salons où pérorent les unanimistes locaux).

Il est impossible, voire ridicule de s’imaginer que dans une société où dominent les rapports marchands, où le salariat est le rapport social dominant, on puisse nier l’existence de conflits qui sont consubstantiels au fonctionnement du système.

Les salariés sont condamnés à se battre pour obtenir une part plus élevée de la valeur- ajoutée qu’ils ont contribué à produire. Les fonctionnaires sont obligés de se battre pour qu’une plus grande partie des impôts perçus par les administrations publiques serve à les rémunérer, surtout en cette période où sévissent les Hollande-Valls-Macron fermement décidés, comme Sarkozy, à faire le maximum de cadeaux fiscaux aux possédants. Mêmes les retraités, par définition hors du marché du travail sont dans le viseur d’un gouvernement plus que jamais aux ordres des marchés financiers.

Les luttes évoquées ci-dessus, sont des « luttes de classes » qui n’ont rigoureusement rien à voir avec la lutte des places.

De nos jours on préfère le vocable plus soft « conflits sociaux ». Peu importe l’expression utilisée.

Les théoriciens et les praticiens de la lutte des places s’imaginent-t-ils sérieusement qu’ils seront en mesure de faire mentir Lafontaine qui avait bien vu que : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».

Pour le moindre petit délit c’est la case prison pour le petit délinquant d’origine populaire.

Pour ceux qui appartiennent aux classes dominantes et même pour ceux qui croient y appartenir, aspirent maladivement y être admis, que de précautions, que de procédures, que de délais pour que tombe un jugement, s’il tombe un jour. Un an, deux ans, 10 ans, 20 ans (voir le cas du célèbre Bernard Tapie).

 Ces pratiques différenciées de la Justice selon l’appartenance sociale des justiciables relèvent de la nette et claire lutte des classes.

Le traitement plus ou moins scandaleux réservé aux petits clients dans les banques alors que toutes les faveurs sont accordées aux puissants relève évidemment de la lutte des classes.

Et l’on pourrait continuer ainsi sur des pages entières à fournir des exemples de ces luttes de classes qui, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, rythment la vie de la société martiniquaise.

Les intérêts des dominants et des dominés sont assez souvent contradictoires et rien ne sert de l’ignorer.

Il reste que, en 2016, en Martinique, comme dans tous les pays où les rapports de production capitalistes sont dominants, les citoyens qui croient davantage à la Réforme qu’en la Révolution en matière de changement social,  et qui sont par ailleurs des partisans résolus de la démocratie représentative aux mille défauts,- mais très largement répertoriés depuis près de deux cents ans- , ont le devoir de se dresser et de se battre contre le profond mouvement de dépolitisation qui gangrène littéralement cette société.

Comment croire qu’une démocratie véritable puisse vivre et se conforter sans partis politiques annonçant clairement la couleur et prêts à affronter à la loyale, selon des règles bien établies, ceux qui ne partagent pas leurs analyses ?

Pourquoi faire semblant de ne pas comprendre que le rêve éveillé de l’aile marchante de ceux qui dominent le monde avec la  très ferme volonté de maintenir cette domination, est de parvenir à cette situation idéale pour elle, celle qui consiste à avoir comme adversaires des individus planqués anonymement derrière un clavier d’ordinateur, qui pérorent sans arrêt, n’envisagent pas une seconde d’’agir collectivement, et croient parfois très sincèrement – ce qui est le plus sidérant – qu’ils sont des guerriers dangereux en lutte pour une Martinique meilleure.

Le drame de ce pays est sa dépolitisation voulue, organisée au plus niveau par les puissants.

Si aujourd’hui, tous les partis et regroupements réels, sont sur la même longueur d’ondes, c’est sans doute une bonne chose pour l’avenir de la démocratie martiniquaise. Quand un groupe n’est pas parvenu à atteindre tous les objectifs qu’il s’était fixés (EPMN), une majorité de citoyens le remplace par un autre groupe qui dit vouloir mieux faire (AMJ/Monplaisir). Postures verbales, rodomontades et gesticulations ridicules mises de côté, les deux groupes croient sincèrement au vu des expériences accumulées dans le monde au cours du 20ème siècle, qu’il existe un « bon capitalisme », « un capitalisme à visage humain ». Ils sont persuadés – les plus informés, les plus lucides, les plus sincères, les plus courageux, les plus instruits – qu’il est possible d’imposer des règles élémentaires, ne serait-ce que de décence aux puissants, aux chefs d’entreprise, surtout aux banquiers et aux financiers les principaux fauteurs de crise dans le monde.[2]

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Par exemple : payer régulièrement ses impôts,  remplir ses obligations auprès de la Sécurité Sociale,  respecter le Code du travail, s’interdire de persécuter les syndicalistes, accepter la légitimité des syndicats représentatifs de salariés, interdire les paradis fiscaux, règlementer sérieusement l’activité des banques et interdire la finance spéculative,  renoncer à vouloir contrôler systématiquement les grands moyens d’information ; renoncer à « l’achat des cerveaux »[3], vouloir effectivement éradiquer la pauvreté , se fixer comme objectif de faire croître le revenu médian des ménages.

Ricardo en son temps, dès le début du 19ème siècle, avait prôné « l’euthanasie des rentiers ». Une démocratie moderne devrait être en mesure de proclamer l’euthanasie des financiers et des spéculateurs.

Personne ne remet plus en cause sérieusement le capitalisme. Le salariat est admis comme étant un rapport social presque « naturel ». Personne ne croit plus aux recettes léninistes pour rendre la Martinique plus libre, plus prospère et surtout, plus démocratique. On peut, en privé, bien sûr, rencontrer quelques hommes de pouvoir fascinés par ce qui se passe Chine en ce moment. Ils prétendent que c’est la gauche qui est au pouvoir dans ce pays puisque c’est le parti Communiste Chinois qui l’exerce au nom du peuple tout entier. Le pays connait une forte croissance économique. A l’évidence, le niveau de vie moyen augmente, même si c’est celui des nouveaux milliardaires qui contribue fortement à faire augmenter cette moyenne. Les syndicats y sont muselés, ce qui permet aux entrepreneurs de démontrer leur savoir-faire quand on ne leur impose point des taux de salaire trop élevés, des lois sociales intempestives.

Il faut débattre librement de tous ces problèmes. L’année 2016 s’y prête puisqu’ il n’y a pas de consultation électorale en vue.

Débattre contradictoirement à visage découvert sans craindre aucune répression, c’est contribuer à la repolitisation nécessaire de ce pays trop gros consommateur de slogans.

Le 17/01/2016

CLA

 

 

[1] Lénine que l’on peut difficilement soupçonner de ne point s’y connaitre en politique.

[2] Ceux qui croient en la possibilité de faire fonctionner un « bon capitalisme », on les appelle des « réformistes radicaux », fréquentent où devraient fréquenter régulièrement le site des Economistes atterrés.

Gaël Giraud est un brillant représentant de ceux qui croient qu’un « bon capitalisme est viable. Le livre qu’il a publié aux éditions Champs Flammarion devrait être en bonne place sur la table de travail de ceux qui pensent comme lui. Il s’agit de Vingt propositions pour réformer le capitalisme. Il a publié également, en 2012, aux éditions de l’Atelier, Illusion financière qui mérite d’être étudié

 

[3] Voir l’important ouvrage de Marie Bénilde, On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Éditions Raisons d’agir, Paris,2008.