Niger : Macron l’intransigeant a tout faux

     René Backmann

 

   MÉDIAPART   21 août 2023 

La porte entrouverte à la diplomatie par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, après des semaines de déclarations menaçantes, et les dispositions au dialogue affichées par les États-Unis placent le président français dans une situation intenable. 

  

TroisTrois semaines après le coup d’État militaire qui a renversé le président du Niger, Mohamed Bazoum, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) menace toujours les généraux putschistes nigériens d’une intervention militaire. Son objectif est a priori simple : libérer le chef de l’État retenu prisonnier avec sa famille et le rétablir dans ses fonctions.

Mais les chefs d’état-major des armées de la Cedeao, réunis jeudi 17 et vendredi 18 août à Accra, au Ghana, pour préparer le déploiement de la « force de réserve » chargée de cette mission et fixer le jour de l’intervention ont ajouté un bref appendice à leur texte. Ils se sont aussi déclarés disposés à « accorder une chance à la diplomatie ».

Les « va-t-en-guerre » de la Cedeao ont-ils été impressionnés par la prise de position de l’Union africaine, dont le Conseil de paix et de sécurité (CPS), organe chargé de statuer sur les questions de règlements des conflits, avait rejeté, le lundi précédent, après une réunion « tendue et interminable », tout « usage de la force » face à la junte nigérienne ?

Ont-ils décidé de s’aligner sur la position de la diplomatie américaine qui, après une visite de deux heures à Niamey de la sous-secrétaire d’État par intérim, Victoria Nuland, a choisi de « laisser la porte ouverte pour continuer de parler » et surmonter « l’obstacle actuel à l’ordre démocratique » ? Washington, qui était avec Paris le principal allié militaire du régime nigérien dans son affrontement avec les groupes islamistes armés, n’a été invité ni à rapatrier ses 1 100 militaires ni à fermer sa base de drones en cours d’agrandissement à Agadez, au centre du pays.

Les États-Unis, en fait, semblent moins préoccupés par la menace islamiste au Sahel que par les ambitions de Moscou en Afrique. Leur attitude « tolérante » face au putsch de Niamey peut s’expliquer ainsi : éviter toute posture conflictuelle qui pourrait provoquer une expulsion et créer un vide que la milice Wagner viendrait combler. Ali Lamine Zeine, le nouveau premier ministre nommé par la junte militaire nigérienne, un économiste formé en France, vient d’ailleurs de rassurer Washington sur ce point en déclarant au New York Times que les militaires nigériens n’avaient « aucune intention de collaborer avec Wagner ».

Et la porte entrouverte à la diplomatie par la Cedeao, après des semaines de déclarations et de postures menaçantes, mais aussi les dispositions au dialogue affichées par le département d’État, placent Emmanuel Macron dans une situation intenable. Pour avoir soutenu et encouragé, depuis le début de la crise, la posture intransigeante de l’organisation économique régionale, il se retrouve aujourd’hui dans un isolement spectaculaire.

Même si on sait désormais que Paris a décliné les demandes des proches de Mohamed Bazoum qui souhaitaient organiser, fin juillet, avec le soutien de l’armée française, un contre-putsch pour libérer le président détenu par les militaires nigériens, il est clair que la position de la France est désormais très difficile. Invité à rapatrier début septembre les 1 500 soldats de la base de Niamey, dont une partie avait été transférée du Mali et du Burkina Faso, à la suite déjà de deux coups d’État militaires, que fera Paris qui affiche aujourd’hui son intention de refuser les décisions d’une junte qu’elle juge illégitime ?

Comment le président français et ses conseillers africains ont-ils pu négliger, avant d’arrêter leur position, de s’informer sur l’attitude de l’Union africaine, certes discutable et divisée, mais globalement hostile à l’usage de la force ? Comment n’ont-ils pas prévu que la junte exploiterait les divisions entre partisans de la ligne dure et partisans du dialogue ? Entre Paris et Washington ? Comment ont-ils pu oublier que sur un pareil sujet, il était très imprudent de s’aligner sur une organisation aussi discutée que la Cedeao ?

Comment, au moment de réagir à un putsch fomenté par une junte militaire, ont-ils pu ignorer que sur les quinze pays membres de la Cedeao, un seul – le Sénégal – n’a jamais connu de coup d’État et que les quatorze autres en totalisent près de vingt-cinq, auxquels s’ajoutent parfois des décennies de guerres civiles, dont plusieurs – au Liberia, en Sierra Leone – ont fait plus de cent mille morts ?  

Comment n’ont-ils pas pensé qu’on peut trouver des alliés plus sûrs pour raccompagner jusqu’à leurs casernes des militaires tentés par l’aventure du pouvoir ? Et des conseillers moins contestables pour convaincre les nouveaux dirigeants de « rétablir l’ordre constitutionnel » ?  

Dans une allocution télévisée, samedi 19 août, le général Abdourahamane Tiani, chef du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), la dénomination officielle de la junte militaire, a annoncé une transition d’une durée maximale de trois ans et un « dialogue national inclusif ».

Il a également affirmé que son pays se défendrait en cas d’intervention militaire. Il place ainsi la Cedeao et ses alliés étrangers dans une position difficile : compte tenu des incertitudes qui existent encore sur l’attitude de l’armée face au nouveau pouvoir et des doutes qu’une partie du monde politique local semble entretenir sur la sincérité des intentions du général Tiani, une intervention armée de la Cedeao pourrait être le détonateur d’une guerre civile et inciter les généraux nigériens à faire appel à de nouveaux alliés. Ce que, à première vue personne, parmi les amis proclamés du Niger, ne  parait souhaiter. Ni la Cedeao, ni Paris, ni Washington.

René Backmann