POSTURES ET GESTICULATIONS : LA FIN D'UN CYCLE ?

POSTURES ET GESTICULATIONS : LA FIN D’UN CYCLE ?

 

En 1937, George Orwell, l’auteur de 1984, ce célèbre roman qui est malheureusement à nouveau d’actualité, participait à la guerre d’Espagne engagé qu’il était dans les milices du Parti Ouvrier d’Unification Marxiste (POUM).

En 2017, à la Martinique, à contrecourant de l’hyper-nombrilisme intellectuel ambiant, il serait profitable à tout un chacun, mais surtout à ceux qui à gauche se sentent désorientés mais pas encore découragés, de (re) lire l’autre chef d’œuvre du romancier anglais Hommage à la Catalogne  où l’auteur rend compte des expériences politiques qui furent les siennes en Espagne, ce pays qui a été l’un des laboratoires les plus riches au XXème siècle en matière d’expériences vécues par des hommes et des femmes en lutte contre le fascisme et pour l’invention d’un socialisme,  où les valeurs comme Egalité, Liberté  ne seraient point des mirages. Des écrivains comme Orwell aident indubitablement à se rendre compte de la manière la plus évidente que certains problèmes du passé, totalitarisme, fascisme, risques de Guerre Mondiale sont loin d’être des problèmes dépassés.  

Quand on se situe dans le camp de la gauche démocratique, lire Orwell en 2017 présente de multiples intérêts pour ceux et celles qui persistent à croire que le changement social est souhaitable, possible.

En premier lieu, Orwell rappelle à ceux qui ont fait vœu de cécité volontaire que le totalitarisme n’est pas un phénomène du passé et que son retour qui est toujours possible n’est pas non plus une fatalité. Des citoyens informés ont toujours la possibilité de lutter pour que vive la démocratie plus que jamais fragile sur cette planète de plus en plus dangereuse.

En second lieu, Orwell est manifestement l’un des très nombreux auteurs qui aide le mieux à rompre avec les illusions véhiculées depuis la fin du dix-neuvième siècle, quant aux méthodes à mettre en œuvre pour lutter contre les méfaits évidents d’un capitalisme de plus en plus débridé, chacun étant responsable individuellement des actions qu’il est prêt à mener.

C’est Orwell qui insiste sur les valeurs que chacun doit cultiver, comme la décence, l’honnêteté, la probité, sans oublier le courage et qui fait les trois remarques fondamentales suivantes :

-         Si ce que vous dites vouloir n’a aucune chance de se réaliser, si vos discours et votre agitation n’auront aucune prise sur la réalité, alors vous ne voulez pas vraiment ;

-         Si vous ne voulez pas les moyens de ce vous dites vouloir, alors vous ne voulez pas effectivement ;

-         Et si vous ne voulez pas les conséquences probables de ce que vous prétendez vouloir, alors vous ne le voulez pas effectivement.

Le strict respect des valeurs évoquées ci-dessus étant de nature à augmenter la lucidité de celui qui tient intervenir à bon escient dans ce monde un peu plus complexe qu’on ne le dit.

On l’aura compris, l’ennemi principal pour Orwell, c’est LE MENSONGE.

Le mensonge aux autres, bien sûr, le mensonge à soi-même surtout.

En sus d’Orwell, un autre auteur, un philosophe américain, Richard Rorty (1931 -  2007) fortement influencé par Dewey et assez bon connaisseur d’Orwell, parfaitement conscient que le monde a radicalement changé depuis l’implosion de L’URSS, invite les citoyens de gauche, les démocrates, à faire en politique une nette distinction entre mouvement et campagne. Il a existé ou il existe encore un « mouvement » communiste international, un « mouvement » anticolonialiste, un « mouvement » anti-impérialiste, un « mouvement » féministe, un « mouvement noir ». En Martinique, nombreux sont encore ceux qui croient ou feignent de croire en l’existence d’un « camp patriotique » participant peu ou prou à un « mouvement anticolonialiste ».

Des millions de personnes de par le monde, sans se connaître, peuvent s’identifier à un mouvement particulier et tout mettre en œuvre pour le faire vivre dans l’attente de « la victoire finale », dans dix, vingt, cent, voire mille ans, exactement comme ceux qui depuis plus de deux mille ans attendent en toute confiance l’avènement du Seigneur et sont prêts à attendre encore cent mille ans.

Le militant de gauche qui est engagé dans un mouvement a un comportement de type religieux, c’est un croyant. Quand le « mouvement » auquel il croit appartenir a disparu, il est presque toujours le dernier à s’en rendre compte. Quand il devient de plus en plus évident pour presque tout le monde que tel ou tel mouvement est mort, le croyant désorienté risque assez souvent de perdre sa santé mentale en continuant à intervenir en faveur d’un cadavre à l’aide d’un vocabulaire qu’il est seul à comprendre.

Pour Rorty, l’homme de gauche du vingt et unième siècle devrait s’astreindre à mener des campagnes sur des sujets bien précis. Autant que l’on ne saura jamais quand un « mouvement » sera terminé, pour la campagne, il sera toujours aisé de constater si elle a été menée à bien ou pas. Ainsi la magnifique et victorieuse campagne contre l’empoisonnement des habitants de la Martinique par le chlordécone. Ainsi les campagnes pour protéger la nature martiniquaise contre des bétonneurs déchaînés.

Il va sans dire qu’il existe des mouvements encore très vivants de par le monde comme les mouvements féministes, LGBT, antiracistes, qui ont un bel avenir devant eux car confrontés à de très nombreux problèmes concrets.

Depuis la fin du dix-huitième siècle les méfaits du capitalisme sont bien connus.

C’est Noam Chomsky qui rappelle très souvent que les pères du libéralisme classique, dès le dix-huitième siècle ont dénoncé le salariat, le rapport social au fondement du capitalisme, comme étant contraire à la dignité humaine.

Il n’est en aucune manière nécessaire d’être marxiste, ni révolutionnaire pour vouloir sérieusement changer la société au profit des déshérités. Au vu des expériences accumulées au vingtième siècle, seul un sophiste peut prétendre qu’en 2017, en Martinique comme en France, le réformisme radical serait une vaine illusion.

C’est Bertrand Russel (1872-1970), grand mathématicien, prix Nobel de littérature en 1950, bien connu par les « vieux » militants des « mouvements anti-impérialistes » pour son rôle éminent aux côtés de Jean-Paul Sartre dans l’animation du Tribunal Russel sur les crimes de guerre au Viêt-Nam par les Etats-Unis qui publie en 1917, Idéaux politiques. On y lit : « le capitalisme et le salariat, qui sont comme les deux faces d’un même monstre qui dévore le monde, doivent pour cela être abolis. Pour les remplacer, il nous faut concevoir un système capable de tenir en échec les pulsions prédatrices des êtres humains et de mettre fin à cette injustice économique qui permet à certains d’être riches tout en étant oisifs tandis que d’autres demeurent pauvres en dépit d’un labeur incessant »

En 1920, Bertrand Russel, écœuré par les méfaits du capitalisme, enthousiasmé par la Révolution russe qui a fait naître beaucoup d’espoir chez ceux qui pensaient qu’il était souhaitable et possible de vaincre la pauvreté, les inégalités sociales au sein d’une société où la Liberté, la Démocratie, seraient les nouvelles idoles, fait un voyage en Russie. Il y rencontre Lénine, Trotski.

Dès son retour en Angleterre, il publie Pratique et théorie du bolchévisme qui était pour le moins une bonne prémonition du stalinisme ce grand fléau du vingtième siècle.

On devrait considérer comme étant un acquis définitif de la pensée politique, qu’en 2017, en Martinique, que la version léniniste de Marx n’est plus d’un grand secours si l’on se veut un partisan de la démocratie. On trouve trop souvent à gauche, à la Martinique, des responsables politiques dont la formation intellectuelle provient d’une lecture superficielle des œuvres choisies de Lénine, Trotski, Staline et de Mao, d’écrivains et de révolutionnaires célèbres dont les écrits politiques ne sont le plus souvent que des notes de bas de page de ceux des grands dirigeants des révolutions russe et chinoise. C’est dire qu’ils ne sont pas toujours les mieux placés pour participer à l’élaboration de projets politiques pour une Martinique qui se cherche.

Un exemple récent. C’est avec la plus grande stupéfaction que l’on prend connaissance d’une « analyse » (?) du vote élevé en faveur du Front national par un très haut diplômé de l’enseignement secondaire français (France-Antilles, 27 avril 2017)

« Il faut aussi signaler que dans le Nord-Atlantique, il y a près de 25% d'adultes en situation d'illettrisme. Ils tombent facilement dans les pièges des discours du Front National »

Ainsi, selon le marxisme-léninisme primitif qui sévit beaucoup plus qu’on ne le croit dans certains milieux de la gauche dite anticolonialiste, le fascisme entretiendrait des rapports avec l’illettrisme d’une fraction des masses populaires.

Or, sans être titulaire d’aucun diplôme qui trop souvent autorise à proférer des sottises, on devrait savoir que l’élite de l’élite mondiale en mathématiques, en physique, en chimie, en psychologie, en musique, en peinture, en architecture, en philosophie, en sociologie, en littérature, vivait en Allemagne et en Autriche, pays qui furent le berceau de l’hitlérisme, du nazisme.

Bien évidemment les amateurs de postures avantageuses continueront à faire le paon dans les médias ; les gesticulants trouveront toujours matières à gesticuler. Mais, de plus en plus, du moins faut-il l’espérer, les citoyens ordinaires seront de mieux en mieux capables de savoir qui est qui, qui veut quoi et avec qui on doit s’engager pour essayer de réformer la société martiniquaise pour davantage de justice, moins d’inégalités et l’euthanasie de la pauvreté.

Voici venu le temps de la lucidité pour le plus grand nombre ?

C’est le seul espoir de tout démocrate authentique.

Mardi 2 mai 2017

CLA