Discours Césaire à la Mairie de Fort-de-France
« Depuis 33 ans, j’ai toujours parlé au peuple Martiniquais comme à un peuple adulte.
Aujourd’hui je veux parler comme d’habitude, mais avec plus de gravité encore.
Comment, en effet, un homme, conscient des dangers qui menacent le pays et soucieux de son avenir, ne serait-il pas grave ?
C’est dire que l’heure n’est pas aux boniments de foire, aux rodomontades de fier-à-bras ou aux vantardises d’un tranche-montagne.
Nous, Démocrates, nous n’avons qu’une prétention ce soir, c’est de dire la vérité au peuple, et de dissiper tout le réseau de mensonges et de mystifications mis en place par le Gouvernement et ses complices dans le but d’abuser d’un peuple volontairement mal informé.
J’ai parlé de vérité ! Quelle est-elle donc cette vérité ?
LE REGIME DEPARTEMENTAL MIS EN ACCUSATION
Eh bien, J’ACCUSE le statut départemental d’avoir sapé les bases de l’économie Martiniquais et d’avoir acculé ce pays à la ruine. Tout particulièrement en l’intégrant de force dans le marché commun et en sacrifiant le sucre de canne aux betteraviers de France, lesquels ont trouvé dans les békés des complices diligents.
J’ACCUSE le gouvernement, seul responsable de la politique économique de la Martinique, et cela en fonction même du régime départemental de n’avoir rien fait pour assurer le développement des forces productives Martiniquaises, de ne nous avoir considérés que comme un marché pour l’écoulement des marchandises françaises et, plus généralement, européennes.
J’ACCUSE le gouvernement de n’avoir conçu comme solution aux problèmes Martiniquais que l’émigration de la jeunesse et le dépeuplement du pays.
J’ACCUSE le statut départemental de se livrer, jour après jour, à une politique d’agression contre la personnalité martiniquaise et de grignotement de notre identité Antillaise.
J’ACCUSE enfin le gouvernement d’avoir mis sur pied un plan de substitution qui compromet chaque jour davantage l’équilibre racial de notre population, d’avoir mis en train, moins publiquement qu’en Guyane, mais tout aussi efficacement, un plan de recolonisation qui doit faire de nous des hommes qui seront, à bref délai, minoritaires dans leur propre pays.
Eh oui, Martiniquais et Martiniquaises, nous avons eu la naïveté de nous en remettre purement et simplement à la Métropole comme on dit pour penser pour nous et décider pour nous.
Nous avons eu la naïveté de livrer les clefs de notre maison à un intendant qui, très vite, s’est révélé être un intendant infidèle, et qui, fort de la procuration que nous lui avions imprudemment remise, a dilapidé nos biens, négligé nos intérêts et s’apprête, aujourd’hui, à nous dire superbement : « C’est à vous de sortir, c’est moi qui suis le maître ».
Eh bien, la voilà la Martinique départementale !
Le voilà, notre pays, après 30 ans de pseudo-départementalisation et de très réelle néo-colonisation.
Le voilà, démuni, désorienté, inquiet de l’avenir.
En vérité, il n’est pas un patriote sincère qui puisse considérer sans effroi le gouffre où nous sommes tombés.
Pour ma part, je ne songe pas à vous cacher mon angoisse. De grands empires ont disparu, des peuples entiers, dont on ne sait plus que le nom, ont été balayés de l’histoire. Et comment 300 000 hommes sur un îlot perdu de l’Atlantique résisteraient-ils et survivraient-ils, pris qu’ils sont et broyés par une impitoyable politique d’intégration et d’aliénation ?
Martiniquaises, Martiniquais, mesurons bien les responsabilités de notre génération.
Nos arrières-grands-pères ont défriché ce pays, arrosant chaque centimètre carré de cette terre de leur sueur, de leurs larmes et souvent de leur sang. Mais du moins nous ont-ils laissé une Martinique, pauvre peut-être, mais courageuse et fière.
Eh bien, nous en sommes aujourd’hui à nous demander si nous, les hommes de cette génération, si nous à notre tour, nous pourrons transmettre à nos fils une Martinique Martiniquaises et remettre entre leurs mains autre chose qu’une terre défigurée et un héritage hypothéqué.
Mais alors, me diriez-vous, que pouvons-nous faire ?
Si nous sommes devant vous, ici, ce soir, c’est précisément parce que nous croyons qu’il est encore possible de faire quelque chose et que ce peuple peut encore se ressaisir et remettre ce pays sur le chemin du progrès.
Le chemin du progrès ?
J’ai employé tout naturellement la métaphore du chemin et c’est justifié, car c’est bien de cela, en effet qu’il s’agit.
Chemin, cheminement, ce sont bien les mots qui conviennent.
La Martinique est très exactement à une croisée de routes ; elle est à un carrefour trivium. Et, en effet, ce sont bien trois voies qui désormais, se présentent devant notre pays. Il s’arrête, il se gratte la tête, il s’interroge. Laquelle des trois voies emprunter : c’est la problématique de la situation que nous connaissons aujourd’hui.
LES TROIS VOIES
Alors, puisqu’un éminent personnage a fait, pour la France, le discours de ce qu’il a appelé le bon choix, je vous ferai aujourd’hui, à vous Martiniquais, le discours des 3 voies, mieux encore, le discours de la bonne voie.
La première voie ?
C’est celles que nous indique à longueur de journée France-Antilles et les panneaux indicateurs de la Réaction ; celle qu’indique, aujourd’hui, l’index rageur de Monsieur RENARD : c’est la voie de la départementalisation intégrale.
Ah, la départementalisation ! Que d’espoirs n’avait-elle pas fait naître dans nos cœurs en 1947 ? C’était, pensions-nous la fin de la discrimination, la fin du colonialisme, la fin du pouvoir des gouverneurs bottés et casqués. C’était, l’extension des lois sociales à la Martinique, et la fin des vieilles féodalités. Et puis c’était, et c’est ce que le peuple réclamait le plus ardemment, c’était l’égalité des droits avec les citoyens de ce qu’il est convenu d’appeler la Métropole.
Et, vous savez aussi malheureusement comment a tourné cette expérience collective. La loi a été éludée, violée, tronquée.
Chaque fois qu’une mesure de progrès était prise pour la France, on sommait les D.O.M d’attendre un décret d’application ; et chaque fois que le décret finissait pour sortir des cartons pour rattraper la loi, c’était pour lui donner un croc-en –jambe qui la mutilait et la défigurait.
30 ans ! et la Martinique en est encore à attendre une réforme des allocations familiales.
30 ans ! et la Martinique en est encore à attendre l’extension à ce pays de l’indemnité-chômage.
Mais pourquoi énumérer ?
Si l’assimilation ne se fait jamais pour de bon, elle est faite immédiatement et généreusement pour le mauvais, le meilleur exemple étant notre intégration dans le Marché commun.
Alors, des bons apôtres et c’est à M. Renard que je pense ici, nous disent : « si ça va mal, c’est parce que nous n’avons pas encore été assez loin dans la voie empruntée en 1946. Allons continuons dans la même direction. Allongeons le pas, courrons même. Au bout de la route est le salut ! »
Eh bien, aujourd’hui, nous le savons : on ne peut s’y tromper, au bout de la route, il y a la ruine, il y a le dépérissement économique, il y a la perte de notre identité et de notre âme.
D’ailleurs, il est curieux de voir combien ces messieurs de la départementalisation totale s’illusionnent. C’est eux, les marchands d’illusion !
Ils s’imaginent que les 1000 et 1 ennuis de la départementalisation sont inévitables, mais qu’un jour,ils seront récompensés et qu’après avoir mangé les mauvais fruits, la récolte deviendra meilleure ; qu’il ne faut qu’un peu de patience et que les choses iront mieux, de mieux en mieux, et que tout finira par s’arranger dans la meilleure des Martinique possible.
Je ne veux pas jouer les trouble-fête mais, enfin, voyez, constatez !
La vérité est que cette assimilation dont vous voulez faire la finalité de l’histoire, cette assimilation que vous recherchez c’est la Métropole elle-même qui la refuse, n’acceptant de ce régime que ce qui lui convient et ce qui lui sert.
On me rappelle souvent, pour me le jeter à la face, que j’ai été l’auteur et le rapporteur du projet de loi qui a transformé les Antilles en département français en 1946.
Soit ! les faits sont là et on ne récrit pas l’histoire.
Alors pourquoi ne pas me croire lorsque je parle des doutes, des doutes fondés, qui, très tôt me sont venus ?
Et ils me sont venus quand j’ai constaté l’attitude hargneuse des gouvernements successifs, leur manque d’imagination leur manque de générosité, leur cynisme, leur désinvolture à notre égard.
Et, j’ai compris que ce n’était pas par hasard qu’on nous disputait crédits ou lois sociales.
10 ans, 12 ans j’ai lutté, j’ai espéré, j’ai prêché, j’ai averti ; rien n’y a fait jusqu’au jour où j’ai compris que le vieux colonialisme n’était pas mort et qu’il n’y aurait jamais ni amitié vraie ni liberté vraie, à plus forte raison, ni fraternité vraie tant que les bases et les clauses du contrat qui nous unit à la France ne seraient pas réaménagées.
Et alors, me remémorant cette expérience, et la ruminant si je puis dire me revenait à l’esprit le très officiel discours, étonnant de franchise, on pourrait presque dire de cynisme, d’un Ministre de la 4ème république, P. H TEITGEN :
« Que vous le vouliez ou non, que vous pensiez qu’ils ont raison ou que vous supposiez qu’ils ont tort, en fait quand vous parlez d’assimilation à vos compatriotes d’Outre-Mer, ils entendent d’abord et principalement l’assimilation économique, sociale et des niveaux de vie. Et si vous leur dites que la Franc veut dans l’Outre-Mer réaliser l’assimilation, ils vous répondront « alors, accordez nous immédiatement l’égalité des salaires, l’égalité dans la législation du travail, dans le bénéfice de la sécurité sociale, l’égalité dans les allocations familiales, en bref l’égalité des niveaux de vie »
Quelles en seraient les conséquences ? Il faudrait pour atteindre ce but que la totalité des français consent à un abaissement de 25 à 30 % de leur niveau de vie au profit des compatriotes d’Outre Mer. Dés lors, il faut avoir le courage de dire que nous ne sommes pas décidés à donner l’assimilation des niveaux de vie. Et puisque nous ne voulons pas donner l’égalité dans tous les droits publics avec l’égalité économique et sociale, et que nous ne pouvons pas, il ne faut pas plus parler d’assimilation. »
Il ne faut plus parler d’assimilation ! Vous entendez M.Renard
Ce sont des paroles historiques : il ne faut plus parler d’assimilation.
C’est la Métropole elle-même qui la refuse. Alors si nous ne l’avons pas, cette assimilation totale et intégrale, à supposer même qu’elle fut souhaitable, ne vous en prenez pas à vos collègues de la Majorité que vous semblez taxer d’incapacité, et encore moins à moi-même qui suis de l’Opposition.
Ne vous en prenez pas à Maurice ou à Petit, ou à Sablé.
C’est la France elle-même qui ne veut pas d’assimilation intégrale et qui ne la donnera pas.
Ni vos cris, ni vos hurlements, ni vos coups de poing n’y feront rien : ce sont des méthodes excellentes peut-être à Dominante ; elles se briseront en France contre la froide logique d’un système.
Alors, me direz vous, puisqu’il ne faut pas parler d’assimilation et que la 1ere voie est condamnée, pourquoi ne pas emprunter la 2 voie ?
Qu’est ce que c’est donc que cette 2ème voie ?
C’est la voie de l’indépendance.
Et, c’est vrai que les partisans de cette solution existent qu’ils se groupent ou se regroupent, et qu’ils constituent désormais une tendance politique avouée et non plus semi-clandestine, bref, que nous avons devant nous un des mouvements de pensée autour desquels s’articule désormais la vie politique martiniquaise.
L’option INDEPENDANCE est désormais une option OUVERTE.
Eh bien, que faut-il penser de cette option ?
Je vous le dis tout net : pousser le peuple martiniquais dans cette voie, c’est faire preuve d’irresponsabilité.
Qu’on me comprenne bien : je ne discute même pas de la question de la finalité de l’indépendance, la question n’est pas de savoir si l’indépendance en soi dans le monde tel qu’il est , est un BIEN ou un MAL : je pense plus simplement au problème des moyens. Car enfin, l’indépendance, comment y arriver ?
Certains indépendantistes la font dépendre d’une très hypothétique révolution.
D’autres indépendantistes nous déclarent : pas d’élection ! les élections, c’est du bidon.
Soit, mais alors, soyons sérieux : si vous ne croyez pas aux élections, il ne vous reste qu’une solution, une seule, et il faut faire vite : c’est l’insurrection.
Pas d’élection : soit :
Mais alors prenez vos armes, vos coutelas ébréchés, vos bombes artisanales : prenez le maquis, tenez la montagne.
Je n’insiste pas :
Quel homme politique, ayant le sens de la responsabilité peut, de sang froid, engager notre peuple dans une telle aventure ?
Les seuls qui s’en réjouiraient, ce seraient sans doute nos ennemis : les colonialistes, des milliers de Martiniquais tués, le pays occupé, nettoyé, une épouvantable répression s’abattant sur les rescapés et la question martiniquaise serait résolue pour 100 ans et sans doute pour toujours. C’est alors que les plans de certains pourraient se réaliser et se parachever : la Martinique vidée de ses habitants ces gêneurs serait repeuplée par d’autres, réoccupée par d’autres et deviendrait pleinement ce qu’elle a commencé à être un vaste camp de vacances et de tourisme où des européens fatigués viendraient se reposer et se bronzer au soleil.
En bref, et vous l’avez compris : l’indépendance ne se donne pas. Ca se prend, ça s’arrache, ça se paie en sang et en cadavres.
Je vous le demande : la Martinique est-elle prête à payer ce prix là ?
Je ne crois pas. Et, vous non plus ne semblez pas le croire.
Alors, cessons de parler d’indépendance.
LES CINQ LIBERTES
Alors, Martiniquaises, Martiniquais, que nous reste-il ?
Ni départementalisation, ni séparation indépendantiste : il nous reste la troisième voie il nous reste l’AUTONOMIE.
Ah, l’autonomie ! Que d’encre ce mot n’a-t-il pas fait couler !
Que de réfutations ! Que d’incriminations !
On a tout fait pour obscurcir le problème. Nous devons donc tout faire aujourd’hui pour l’éclairer.
C’est pourquoi au lieu d’essayer de vous définir l’autonomie comme pourrait le faire un dictionnaire, j’aime mieux faire appel à votre expérience et à votre bon sens.
Vous voulez du travail ?
Eh bien, je vous réponds : « industrialisez la Martinique et donnez un nouvel essor à votre artisanat ». D’accord ? Seulement, attention ! si vous voulez donner une nouvelle impulsion à l’artisanat, et si vous voulez développer l’industrie, il faut le protéger, il faut leur assurer un marché, et d’abord, le marché martiniquais.
Eh bien, pour cela il n’existe qu’un seul moyen : c’est d’établir une bonne barrière douanière qui empêchera les objets fabriqués ailleurs d’entrer chez nous et de concurrencer nos propres produits.
Mais il n’y a qu’un malheur : c’est que le droit d’établir des barrières douanières, nous ne l’avons pas ou plutôt nous ne l’avons pas car nous l’avons eu pendant plus d’un demi-siècle à partir de 1860.
Eh bien, est ce que vous ne croyez pas que ce serait une bonne chose que de réclamer pour notre pays le rétablissement de ce droit ?
Il est amusant de voir comme le Ministre de l’Empereur justifiait ce droit nouveau donné aux colonies : Je n’en retiens qu’une phrase :
« Comme en définitive, nos tarifs de douane sont faits au point de vue.Exclusif des intérêts de production de la Métropole…il en résulte qu’appliqués de plein droit aux colonies, ils ne répondent pas aux besoins des ces établissements. »
2ème question :
La vie est chère à la Martinique ; très chère, trop chère. Savez-vous pourquoi ?
C’est parce que nous sommes obligés , je dis bien obligés de n’acheter que les marchandises européennes qui sont déjà chères, par elles-mêmes et qui deviennent encore plus chères du fait que, pour arriver jusqu’à nous, elles sont obligées de franchir 7000 km de mer en payant le frêt le plus cher du monde.
Ne croyez vous donc pas que ce serait une bonne chose que les martiniquais aient le droit de commercer librement avec leurs voisins immédiats. L’Amérique centrale, l’Amérique du Sud, les Antilles-Guyane. Est-ce qu’ils ne devraient pas par exemple, avoir le droit d’acheter à côté pour 9 F ce qu’à l’heure actuelle ils sont obligés d’acheter en Franc 18 F ou 20 F,
Et bien ça, ça s’appelle LA LIBERTE COMMERCIALE.
3ème question :
A l’époque de POMPIDOU, il y a eu un référendum auquel nous avons participé.
On a demandé aux Martiniquais s’ils étaient d’accord pour que l’Angleterre et le Danemark entrent dans le Marché Commun.
Mais jamais au grand jamais l’idée n’est venue au gouvernement français de consulter les Martiniquais pour savoir s’ils voulaient que la Martinique soit intégrée dans le marché commun.
N’y a-t-il pas là un paradoxe ?
Et bien, oui ! Nous estimons que lors de la conclusion de traités internationaux mettant en jeu nos intérêts spécifiques et vitaux, et risquant de les compromettre, nous aurions dû être consultés comme l’est, soit dit en passant par exemple une région Italienne comme la Sardaigne dans des cas du même genre.
Encore une question :
Ne croyez vous pas que ce serait une bonne chose que les Martiniquais puissent décider eux-mêmes de la fermeture ou de l’ouverture de leurs usines ?
Que les Martiniquais puissent décider souverainement de l’organisation de leur pêche sans consulter Paris et sans que Paris ait à leur indiquer comme à de petits garçons quel est le meilleur bateau du thonier tropical ou du pointu méditerranéen ?
Dans le même ordre d’idée, le Conseil Général de la Martinique a décidé à l’unanimité, de nationaliser ou de départementaliser cette industrie, seul moyen de la sauver. Cette décision est restée lettre morte. Savez-vous pourquoi, Parce que le gouvernement français a refusé son approbation.
Est-ce que cela vous paraît naturel ?
Bref, nous estimons que les Martiniquais devraient être libres de mettre sur pied tel ou tel programme économique qui leur semble convenir pour faire face au péril du moment.
JE PASSE A UN AUTRE DOMAINE
J’ai lu dans le dernier numéro d’ICAR une nouvelle concernant indirectement le créole. L’auteur de l’article nous apprend que la charte culturelle de la Bretagne vient d’être votée par le Conseil Régional de Bretagne et que le 2 février le Président de la République a déclaré que le but de la charte est je cite : « d’assurer à la langue Bretonne et au parler Gallo, à leurs cultures spécifiques, les moyens nécessaires à leur développement ».
Et, l’auteur de l’article de déplorer que ce qui est fait pour le gallo ( qui est un petit dialecte franco-breton) ne soit pas fait pour le créole au rang de patois par le recteur Doumenge.
Et bien, en partant de cet exemple, qui n’est qu’un exemple, car on pourrait en multiplier, ne serait-ce que dans le domaine scolaire où l’on s’aperçoit que les programmes conçus pour la Métropole sont scandaleusement inadaptés à ce pays et souvent traumatisants pour l’enfant Martiniquais, en partant de ces exemples dis-je, est ce que vous ne croyez pas que ce serait chose excellente si les Martiniquais recevaient le droit de développer leur propre culture sans être contrariés ou rabroués par un outrecuidant personnage qui n’est qu’un fonctionnaire et un oiseau de passage ?
Tenez : Doumenge me fournit très à propos une transition pour aborder un dernier problème.
Si quelqu’un s’avisait de dire aux Martiniquais : « nous en avons assez d’être administrés par des fonctionnaires irresponsables, par des gens qui n’ont aucun compte à nous rendre, et qu’il faut, pour coiffer les différentes administrations Martiniquaises des hommes choisis par le peuple Martiniquais, contrôlés par le peuple martiniquais et ayant des comptes à rendre au peuple Martiniquais », ici enfin, une telle formule serait une formule beaucoup plus démocratique que celle que nous subissons à l’heure actuelle.
Et bien, si les Martiniquais sont d’accord sur tous ces points et je crois qu’ils le sont c’est dire qu’ils sont d’accord sur l’Autonomie et qu’il y a à la Martinique beaucoup d’autonomistes qui s’ignorent.
La voilà donc cette autonomie tant décriée,
Ce n’est pas un retour en arrière,
Ce n’est pas un retour à la misère,
Ce n’est pas un retour à l’esclavage.
Ce n’est ni un passéisme, ni un misérabilisme. C’est un PLUS, et ce n’est pas un MOINS.
Ce qui est acquis restera acquis. Mais ce qui manque sera ajouté.
On part toujours de ce qui existe. Nous partirons donc du régime actuel, mais il sera assaini, rénové, complété.
Et ce qui le complètera, ce seront je le répète des libertés nouvelles qui viendront s’ajouter à celles que nos pères ont acquises.
Liberté douanière,
Liberté commerciale,
Liberté économique,
Liberté culturelle,
Liberté politique.
Ce sera pour une Martinique Martiniquaise, la conquête de toutes ces libertés que nous considérons désormais comme indispensables à la survie de notre peuple.
Voilà pourquoi, le discours que je vous tiens aujourd’hui si un jour vous vous en souvenez, je voudrais que vous l’appeliez à la chinoise le DISCOURS DES TROIS VOIES, ou mieux encore le DISCOURS DES CINQ LIBERTES.
L’AUTONOMIE EST LA REGLE,
C’EST LA CENTRALISATION QUI EST L’EXCEPTION
Alors, comme il faut malgré tout, discréditer l’Autonomie à vos yeux, nos adversaires, à bout d’arguments proclament :
L’Autonomie c’est l’indépendance
Ruse grossière !
Certes l’Autonomie n’est pas l’intégration
Ce n’est pas la domination
Ce n’est pas l’écrasement du plus petit par le plus grand
Ce n’est pas l’écrasement du plus faible au plus gros
Ce n’est donc pas une rupture de liens
L’état autonome fait encore partie de la République. Il en accepte les lois. Il en garde la citoyenneté Mais les liens qui l’unissent à elle sont des liens d’association, de coopération et de solidarité.
La cause est donc entendue
Alors, on cherche autre chose : d’accord, nous dit-on l’autonomie n’est pas l’indépendance, soit ! Mais, c’est son antichambre.
Il y a dans l’autonomie une dynamique qui, inévitablement, entraîne à l’indépendance.
Rien de plus fallacieux qu’un tel argument, car les régimes politiques ne se déduisent pas les uns des autres mathématiquement comme les sentiments le sont dans la psychologie de SPINOZA.
Sans doute un état autonome peut-il devenir indépendant, mais un département aussi peut devenir indépendant ; c’est même le cas le plus fréquent. Qu’est ce que c’était que l’Algérie, il y a 12 ans ? C’était un département français même pas un département d’Outre-Mer, mais un département français et puis un jour, elle s’est révoltée, elle a lutté pendant 10 ans elle a perdu des millions d’hommes, elle a gagné son indépendance..En quoi son statut de département français l’a-t-elle préservée de l’indépendance ?
Au contraire, on peut même penser qu’il l’y a précipité : car ce qui pousse les peuples à l’indépendance c’est toujours le racisme, l’assujettissement, l’humiliation, la frustration, toutes ces choses liées à l’administration directe dont les méfaits culminent dans la départementalisation.
Vous cherchez l’antichambre de l’indépendance ?
Et bien, n’allez pas loin, c’est le régime départemental imposé à des peuples qu’il ligote et paralyse.
C’est pourquoi, ce soir du haut de cette tribune, je proclame à la face du monde que si dans 5 ans le statut de la Martinique n’a pas évolué dans le sens que je viens d’indiquer, c’en sera fait de la paix sociale, et disons le de la paix raciale dans ce pays et que c’est la situation actuelle qui est de nature à nous conduire à la plus imprévisible des aventures.
Alors en désespoir de cause on nous pose une dernière question. On nous dit « tout est bel et bon, mais cette autonomie qui est souhaitable, en effet, comment l’obtiendrez-vous et croyez-vous que la France l’accordera jamais ?
Et bien oui je crois !
Jetez les yeux autour de vous et vous verrez que ce que nous demandons n’a rien d’exceptionnel et que tous les grands états européens ont fini par admettre que la forme moderne d’administration et de gestion locale : c’est l’autonomie.
Dans le monde moderne l’autonomie c’est désormais la règle, et c’est la CENTRALISATION DEPARTEMENTALISTE qui est L’EXCEPTION, el l’exception..c’est malheureusement la France
L’Italie ? c’est l’Autonomie !
L’Allemagne ? c’est l’Autonomie !
L’Espagne ? c’est l’Autonomie !
Même l’Angleterre est en train de prendre un virage vers l’autonomie puisqu’elle s’apprête à voter une loi de dévolution de pouvoirs pour l’Ecosse et le pays de Galles et c’est là la vraie définition de l’autonomie : une dévolution de pouvoirs.
Et alors, croyez-vous que la France, dans un tel contexte pourra longtemps encore continuer à se gouverner comme le temps de la convention ou de Napoléon ?
Croyez-vous qu’elle pourra longtemps encore refuser de voter une dévolution de pouvoirs à la Corse ? Je ne le crois pas. Et si elle le faisait, ce serait pour son malheur.
Aussi bien, en France des hommes politiques plus lucides que ceux de la Droite l’ont-ils compris ; si bien que si la gauche martiniquaise triomphe aux élections du mois de mars et si la Gauche l’emporte en France, alors tous les espoirs nous seront permis. Je ne dis pas que dés le mois d’avril nous vous rapporterons l’Autonomie mais du moins, un dialogue commencera t-il et un processus sera entamé qui devra nous amener, tôt ou tard, à la gestion de nos propres affaires dans le cadre de la République.
A cet égard, je considère comme de bon augure la nouvelle que vient de nous annoncer le journal ICAR.
Ce journal nous apporte deux nouvelles concernant les DOM
Une mauvaise, savoir que le prix du sucre des DOM importés en Europe a été augmenté de 0,5 % augmentation inférieure de moitié à celle de la betterave. Criante injustice quand on sait que le prix du sucre des DOM est fixé au niveau FOB. C’est-à-dire au niveau embarquement sur navire, alors qu’en Europe, les prix sont fixés sortie usine.
Voilà la mauvaise nouvelle qui illustre bien la manière dont les départementalistes considèrent la justice à notre endroit.
L’autre nouvelle est une bonne nouvelle je lis :
« La gauche accordera l’aide globalisée ». C’est ce que promet une lettre de François MITERRAND, adressée à tous les élus des DOM et qui sera prochainement rendue publique par les sections socialistes de ces départements. En maintenant, au moins à son niveau actuel le concours budgétaire de la nation et les prestations sociales, le gouvernement globalisera sa contribution ».
Pour ma part, je n’en ai jamais douté, car cela est naturel. Mais il vaut mieux que cela soit dit, car une telle déclaration, venant après celle du Parti Communiste, arrive de manière très opportune pour contrebalancer le chantage financier éhonté auquel se livrent à notre endroit le gouvernement et les partis de la Réaction.
LE CHEVALIER DE L’ESPERANCE MARTINIQUAISE
Et maintenant, pour conclure, un mot personnel : Bien entendu, les zéros pointés qui ne sont donnés par des hommes qui sont eux des zéros, des zéros authentiques et des zéros malveillants, ne me font ni chaut ni froid.
Cependant, si un homme de bonne foi, si un chroniqueur, soucieux de se renseigner et de renseigner m’interrogeait et me demandait ce que j’ai fait pendant 33 ans de vie parlementaire, j’avouerais bien volontiers n’avoir jamais essayé d’obtenir pour qui que ce soit un bureau de tabac ou un bout de légion d’Honneur, de n’avoir jamais défendu des intérêts privés ou de lobby : Mais ce serait pour tout de suite ajouter que c’est moi qui ai fait voter la loi qui a transformé la Martinique en département Français dont les départementalistes sont aujourd’hui plus satisfaits que moi-même.
Je préciserais que C’EST MOI, BISSOL ET MOI qui par nos interventions incessantes et les actions incessantes du peuple Martiniquais avons obtenu l’extension de la SECURITE SOCIALE A LA MARTINIQUE ; oui que toutes ces aides, toutes ces allocations familiales, toutes ces indemnités dont les départementalistes se gargarisent et qui sont utiles, en effet, ne nous sont pas TOMBES DU CIEL comme des cadeaux généreux, mais que nous les avons arrachées, je dis bien qu’ arrachées au x gouvernements successifs de la France, et qu’il est absurde d’imaginer au soir de ma carrière que je saccagerais mon œuvre et assassinerais mon propre enfant.
Et puis poursuivant ma mise au point, je rappellerais que c’est moi qui ai fait voter un amendement à la loi de programme de 1960 pour mettre fin au contrat de la CMDEE et que c’est moi qui ai jeté les bases de la nationalisation de l’électricité à la Martinique.
Et je dirais encore que c’est moi le premier qui ai dénoncé à la chambre le complot des betteraviers et des békés contre le sucre de canne.
Que c’est moi le premier qui ai dénoncé la duperie du Marché Commun et que ce que M.DEBRE semble découvrir seulement aujourd’hui, je l’ai proclamé le premier, il y a 20 ans, moi le seul et j’ai eu me semble t-il, quelque mérite à le faire..J’ai dit le seul et le premier, comme j’ai été le premier à dénoncer les accords de LOME..
Mais, j’irais plus loin : et plus que de tout cela, plus que de tout l’effort que j’ai fait pour faire sortir des limbes un plan d’équipement de la Martinique, je dirais que, plus que de tout cela ce dont je tire le plus de fierté c’est d’avoir été pendant 33 ans le chien de garde des Martiniquais. D’avoir été pendant 33 ans UN SEMEUR D’IDEES, UN EVEILLEUR DE CONSCIENCE, UN HOMME QUI A CONTRIBUE A REVELER LE MARTINIQUAIS A LUI-MEME ET A LE REVELER AU MONDE.
Si bien, qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas, dans le monde un seul homme cultivé qui ne sache qu’il y a dans l’Amérique, dans une petite île, un petit peuple, petit par le nombre mais grand par le cœur qui lutte contre l’injustice des hommes et refuse d’abdiquer devant le destin.
Et bien, si aujourd’hui, après 33 ans, je suis encore devant vous ce soir, c’est parce que en ce moment critique où notre peuple a besoin de voir clair en lui-même, en ce moment où il se cherche et où rôdent autour de lui, lui conseillant de vendre son âme pour un plat de lentilles, ceux que j’appellerai les « cavaliers de l’Apocalypse » si, après 33 ans, je suis encore devant vous, tâchant de vous indiquer la voie à suivre, c’est que :
Fidèle à moi-même
Fidèle à mon pays
Fidèle à mon peuple
Je veux être, comme au premier jour et jusqu’au bout et tant que mes forces me le permettront un de ceux qui disent :
NON A L’INDIGNITE
NON A L’OPPRESSION
NON A L’INJUSTICE
Et que l’histoire retiendra, peut-être, comme les derniers chevaliers de l’ESPERANCE D’UN PEUPLE. »
Source:
Image: teleobs.nouvelobs.com
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