LE DEVOIR DE VIOLENCE

Auteur de l'oeuvre: 
YAMBO OUOLOGUEM

L’histoire africaine revisitée

par Nabo Sène 

Le Monde Diplomatique juin 2003.

 

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Après trente-cinq ans d’absence, Le Devoir de violence est de retour. Premier roman d’un jeune Malien du nom de Yambo Ouologuem (1), il fait sensation dès sa parution en 1968 et reçoit la même année le prix Renaudot. L’auteur a été le premier romancier africain à recevoir cette distinction. Le succès ne sera pas de longue durée et le roman fut retiré de la vente. Pourquoi cet ostracisme sur une œuvre naguère acclamée par la critique ? C’est que Ouologuem fut accusé de plagiat. Il aurait utilisé, sans les indiquer selon les règles de l’art, des références appartenant à des auteurs tels que Maupassant, Graham Greene ou encore André Schwarz-Bart. Il affirmait alors pour sa défense avoir utilisé des guillemets pour ces citations. Pourquoi, son éditeur de l’époque, Le Seuil, les aurait-il ôtés sans le prévenir ?

Le Devoir de violence est un roman qui dérange le déroulement de l’histoire africaine telle qu’elle a toujours été racontée et enseignée. A travers l’histoire fictive de l’empire du Nakem et de la dynastie des Saïfs, des rois mi-juifs, mi-musulmans mais complètement fétichistes, l’auteur décrit une histoire africaine où la féodalité ne débouche pas sur une renaissance mais directement sur une période affreusement barbare et sanguinaire. Elle est marquée par l’esclavagisme sous toutes ses formes : de l’asservissement moral et physique au commerce humain. La descendance de la dynastie s’est singularisée par des règnes où l’incapacité des rois à gouverner, leur paresse et l’oisiveté de la cour sont masquées par des actes cruels. Alliés des marchands arabes et européens, les Saïfs pratiqueront alors l’esclavage en toute impunité.

Le règne du dernier roi, Saïf ben Isaac El Heït, est de loin le plus terrifiant. Défait par les troupes françaises, il use de la magie et de ses serfs pour asseoir le reste de son pouvoir royal et n’hésite pas à avoir recours au crime contre ceux qui mettent en péril l’organisation de sa société archaïque.

La dynastie des Saïfs et le personnage de Saïf ben Isaac El Heït sont des modèles que Yambo Ouologuem met en scène pour montrer que l’histoire de l’Afrique précoloniale n’est pas jalonnée que de personnages mythiques. Il n’existait pas que des Soundjata Keita et des Chaka ou alors il faudrait remettre en question leur histoire et les récits connus de leurs vies. Le Devoir de violence représente alors une révision de l’histoire africaine - ce qui en a indisposé plus d’un. Ouologuem fait dire à ses personnages que les guerres tribales, l’esclavage et la corruption étaient répandus en Afrique bien avant le fait colonial. De même, bien qu’imaginaire, le destin de l’empire du Nakem est proche de celui d’Etats et d’empires africains ayant réellement existé : guerres, alliances, dislocation, disparition. Une permanence des événements qui rend Le Devoir de violence terriblement intemporel.

L’ouvrage de Yambo Ouologuem était, en 1968, en parfaite contradiction avec la littérature africaine peu militante de l’époque. Après les indépendances il était de bon goût de magnifier l’Afrique. Le ton parodique employé pour décrire un empire africain était donc à l’opposé de la poésie senghorienne et du politiquement correct. La cruauté des Saïfs était aussi dramatiquement différente de l’épopée de Soundjata. Alors que beaucoup de romanciers négro-africains chantaient la douceur de la terre mère et les valeurs de la négritude, Yambo Ouologuem leur renvoie une image de l’Afrique qui ne rentrait pas dans les canons exigés par les besoins idéologiques de la décolonisation.

Plagiat, parodie historique trop dérangeante ? Cette polémique n’empêchera pas à ce chef-d’œuvre de la littérature négro-africaine de devenir un ouvrage fondateur. Le Devoir de violence restera dans les annales en raison de l’audace des thèmes abordés mais surtout par l’acuité de leur actualité. La ruse, la manipulation des masses et le crime sont encore des armes utilisées pour soumettre « la négraille »...

Nabo Sène

Le Devoir de violence, de