4 juillet 1943, quand la Martinique rallie la France Libre

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14 juillet 1943, quand la Martinique rallie la France Libre

Il y a 75 ans, le 14 juillet 1943, Henri Hoppenot, le représentant du Comité Français de Libération Nationale proclame le ralliement de la Martinique à la France libre. Il met ainsi fin à la période vichyste sur l’ile antillaise que les Martiniquais appellent communément « An tan Robè » (du nom du représentant du régime de Vichy, l’Amiral Robert). Outremers360 vous propose de découvrir ou redécouvrir le contexte de ce 14 juillet particulier qui a fait date en Martinique.

Même éloignées de dizaines de milliers de kilomètres, les Antilles et la Guyane subissent de plein fouet le régime du Maréchal Pétain au cours des années 1940. Elles sont au centre d’enjeux économiques, politiques mais aussi militaires et particulièrement surveillés par les Américains qui craignent l’occupation de ces îles par les Allemands.
L’Amiral Robert, chargé par le maréchal Pétain du maintien de la paix sociale dans les colonies et à l’expédition des affaires courantes, endosse un rôle de diplomate avec les Américains. L’Amiral Greenslade et le Vice-Amiral Horne se rendent à plusieurs reprises à la Martinique pour négocier des accords qui permettent aux Antilles de bénéficier d’une aide américaine en nourriture et en fournitures de première nécessité. En contrepartie, les Américains maintenaient une surveillance aérienne et navale toujours plus forte sur la zone.

Mais, le 9 mai 1942, l’Amiral Hoover dénonça les accords franco-américains passés pour les Antilles et exigea l’immobilisation de tous les navires français dans cette zone. Il impose alors un blocus sur les îles françaises d’Amérique, qui viendra davantage aggraver les conditions de vie des Antillais.

 

 

La Martinique an tan Robè (au temps de Robert)

En effet, depuis la reddition de la France en 1940, les liaisons transatlantiques sont coupées avec l’Hexagone. L’administration rationne la population qui doit se montrer « inventive » pour se nourrir et se vêtir. Les prix augmentent de façon exponentielle, et les salaires ne suivent pas toujours. Les produits de première nécessité comme la farine, la viande salée, le savon, le tissu font défaut et sont remplacés tant bien que mal par des productions locales.
On transforme certains produits comme le manioc ou le fruit à pain pour en faire de la farine. Le programme des autorités locales visant à mettre l’accent sur les productions agricoles de l’île ne fonctionne pas concrètement: les agriculteurs manquent de moyens techniques pour produire (engrais, outils), les producteurs de canne à sucre se montrent particulièrement réticents à produire des cultures vivrières. Cependant, des arrêtés sont pris comme en mars 1943 pour obliger les cultivateurs à garder 20% de leurs surfaces cultivées (1 hectare au moins) en productions de bananes, patates, choux pays, haricots, manioc, arachides.

 

Sur le plan politique, l’Amiral Robert met en place un état policier qui règlemente et punit : ouverture de camps d’internement, interdiction des fêtes et rassemblements populaires (carnaval, combats de coqs…).
Dans les écoles, les programmes scolaires sont revus. L’accent est mis sur la morale, le patriotisme, la religion, le sport et le respect de la hiérarchie.Le salut au drapeau est imposé tous les matins dans les administrations et dans les écoles.

1943, le ralliement des Martiniquais à la France combattante

En 1943, la population soumise à des difficultés quotidiennes liées aux restrictions n’accepte plus la situation économique et sociale. Les Martiniquais sont de plus en plus nombreux à partir en dissidence, malgré les sanctions encourus ( emprisonnement au bord du navire de guerre, tortures, déportation aux îles du Salut (Guyane) ou au Fort Napoléon (Les Saintes-Guadeloupe)) et la dangerosité de la traversée des canaux de la Dominique et de Sainte-Lucie.

 

En Martinique, les départs s’effectuent au sud dans une zone comprise entre le Diamant et Sainte-Anne.Au centre de l’île, ils ont lieu depuis la rive droite Levassor ou dans les communes littorales de Schœlcher, Case-Pilote et Bellefontaine. Au nord de l’île, les départs se font du Prêcheur et de Grand-Rivière vers la Dominique ; par le sud les dissidents rejoignent Sainte-Lucie.

Avril 1943, un certain nombre d’évènements va conduire au soulèvement de la population contre l’administration vichyste. D’abord la création du Comité Martiniquais de Libération Nationale (CMLN) par Victor Sévère, ancien maire de Fort-de-France en 1940 et d’Emmanuel Rimbaud. Ils souhaitent le ralliement immédiat de la Martinique à la France Libre, d’autant plus que la Guyane s’est ralliée depuis mars 1943 et qu’elles ont entendu parler du soulèvement de la Guadeloupe en mai 1943. Le 24 juin, à Fort-de-France, la foule à l’appel du Comité Martiniquais de Libération Nationale se rassemblE aux cris de «Vive la France, Vive de Gaulle».
Puis le 29 juin 1943, la 3e compagnie basée au camp de Balata et placée sous l’autorité du Commandant Tourtet, entra en mutinerie, se joignit au mouvement de résistance civile et déclara l’entrée en dissidence.

Durant plusieurs jours, l’Amiral Robert se montra inflexible avant de céder, après d’intenses négociations menées avec les responsables de la dissidence et les Américains. L’amiral Robert annoncera son départ le 30 juin.
Le 14 juillet, le représentant du Comité de Libération Nationale Henri Hoppenot arrive de Washington. Il assurera la transition du pouvoir. La Martinique se rallie à la France Libre. Le blocus américain imposé en novembre 1942, prendra fin en août 1943.

Mots de Henri Hoppenot à son arrivée à Fort-de-France

« Français des Antilles, c’est de vous- mêmes, c’est du plus profond de votre amour de la France et de la Liberté qu’est venu cet appel immortel auquel répond aujourd’hui ma présence. Ce sera votre impérissable honneur de vous être libérés vous-mêmes du régime tyrannique qui n’a pu briser vos âmes ».

H. Hoppenot, ministre plénipotentiaire, délégué extraordinaire du Comité de la Libération nationale aux Antilles. 14 juillet 1943

En septembre 1944, l’amiral Robert est accusé de collaboration et incarcéré à Fresnes. Il comparait devant la Haute Cour de justice le 14 mars 1947. Il est condamné à 10 ans de travaux forcés mais est finalement amnistié le 15 avril 1954 et relaxé trois ans plus tard en 1957. La Haute Cour estimait qu’il avait été très favorable aux Anglais et que son rattachement à Vichy était la seule solution pour maintenir les Antilles dans la France. Ses médailles et grades lui sont restitués. Il meurt à Paris le 2 mars 1965