DISCOURS DE PAUL REYNAUD SUR COLONISATION

Document à lire très attentivement

 

« La colonisation est le plus grand fait de l’histoire » : quand la France célébrait son empire lors de l’Exposition coloniale de 1931

Par Paul Reynaud

Vendredi 28 mai 2021

DOCUMENTRetransmis dans « La Dépêche coloniale » du 7 mai 1931, le discours de Paul Reynaud, ministre des colonies du gouvernement  de Pierre Laval célèbre la politique coloniale, notamment pour ses apports économiques, et l’exposition de Vincennes qui « doit servir à donner aux Français conscience de leur “empire” ».

[« Le tour du monde en un jour » : tel est le slogan de l’Exposition coloniale qui s’ouvre, le 6 mai 1931, à la Porte Dorée, sous les auspices du président de la République, Gaston Doumergue, et du maréchal Lyautey, commissaire général de l’exposition. Malgré des soulèvements dans le Rif marocain (1925-26) ou en Indochine, l’empire colonial français est à son apogée. Et c’est bien cette puissance – notamment économique en pleine crise après le krack de 1929 – qu’entend promouvoir le gouvernement afin de « donner aux Français conscience de leur empire », ainsi que le souligne Paul Reynaud, ministre des colonies, dans son discours d’inauguration.

Si quelques voix s’élèvent à gauche pour fustiger les festivités qui dureront six mois, elles laissent surtout entendre les divisions entre les socialistes, tel Léon Blum, qui dans “Le Populaire” dénonce les violences commises, sans condamner ouvertement le colonialisme ; et le Parti communiste qui propose à Paris une contre-exposition intitulée « La Vérité sur les colonies ». Pour sa part, le groupe des surréalistes rédige un tract invitant à boycotter l’exposition située au bois de Vincennes. Son message ne sera guère suivi puisque 8 millions de visiteurs viendront s’instruire et baguenauder entre les villages indigènes, les échoppes artisanales et les temples asiatiques reconstitués, dont celui d’Angkor Vat.]

Monsieur le Président de la République, il y a un an à Alger, il y a six mois au Maroc, il y a trois semaines à Tunis, vous affirmiez une foi qui fut celle de votre vie tout entière. Et voici qu’aujourd’hui, c’est encore à la pensée et à l’œuvre coloniales que vous consacrez le dernier acte d’un septennat dont la fin se voile d’une mélancolie où s’expriment l’affection et le regret de l’opinion publique reconnaissante.

Vous venez, Monsieur le Président, de faire, en un quart d’heure, le tour du monde. Que d’images ont dû s’éveiller dans l’esprit de l’ancien colonial, de l’ancien ministre des colonies que vous êtes, à la vue de ces palais où voisinent la langoureuse Asie et la brillante Afrique et la dissolvante douceur des îles d’Océanie !

Le monde colonial vous remercie de cette nouvelle marque de sympathie pour son effort. Il sait qu’il gardera en vous un protecteur et un ami dont la haute autorité morale lui sera précieuse. [souligné dans le texte]

Nous tenons aujourd’hui, Messieurs, une assemblée plénière des peuples migrateurs.

Portugais, Génois, Espagnols, Hollandais, Français, Anglais, tous sont partis de la petite Europe : péninsule ciselée comme par une main d’artiste au bout du continent de l’Asie. La petite Europe d’il y a quatre siècles, si pauvre par rapport à celle d’aujourd’hui, mais où déjà s’était accumulé un tel capital de pensée, de science et de richesse ! C’est cette pensée, cette science, cette richesse qui ont lancé ses enfants aventureux sur les routes de la mer, lorsque la victoire des Turcs eut fermé la route de terre qui menait vers les trésors de l’Inde. Quelle rencontre, en route ! Un continent, et quel continent ! Celui où s’épanouit aujourd’hui le prodigieux rejet américain de la civilisation d’Europe ! La colonisation est le plus grand fait de l’histoire.

Est-il vrai qu’au moment où nous sommes réunis, cette prodigieuse réussite de I’Europe, ce miracle européen touche à son terme et que nous célébrions aujourd’hui une apothéose qui soit proche d’une décadence ?

On parle du « déclin de l’Occident ». Est-ce vrai ? Où sont les signes précurseurs ?

Il y a déjà eu un « déclin de l’Occident ». Mais l’agonie de Rome a duré trois siècles après que fut épuisée la veine de son génie, trois siècles après la mort de Tacite.

Or, jamais, chez nous, l’élan de la pensée et le jaillissement de l’invention n’ont été plus puissants qu’aujourd’hui. Notre prise sur le monde se resserre chaque jour. La TSF et l’avion traduisent en force matérielle la vigueur des cerveaux. A cette minute, grâce au poste de Pontoise, inauguré hier, le son de la voix que vous entendez est écouté à Nouméa, à Hanoï, à Dakar, à Fort-de-France.

Dans cette grande famille des peuples colonisateurs, quelle est la place de la France ? Cette exposition le dit. A nous Français, elle donne une leçon de fierté, en nous montrant le résultat de trois siècles d’efforts.

L’empire colonial d’aujourd’hui, dû à l’Ancien Régime, à Charles X, à Louis-Philippe, au Second Empire, dû surtout à la IIIe République, n’est pas une improvisation, le fait du hasard. Il est le fruit d’un état d’âme et d’une politique qui ont été ceux de la France au cours de toute son histoire.

Le Français est colonial par vocation. Ce n’est pas l’exiguïté de son territoire, ni les luttes religieuses qui l’ont chassé, c’est le goût de l’aventure, de la découverte, c’est la curiosité sympathique à l’égard des races nouvelles. Pourquoi cette sympathie, apte à se les concilier ? Parce que la France est un carrefour entre le monde méditerranéen et le monde nordique, parce que les Français ne sont pas une race, mais une nation. Dès lors, ils ne parlent pas au nom d’une race, orgueilleux et cruel criterium, fossé infranchissable, mais au nom d’une civilisation humaine et douce dont le caractère est d’être universelle.

Et pourtant, Messieurs, malgré cette vocation coloniale, le sentiment populaire a souvent résisté aux nouvelles entreprises. C’est une élite dans l’élite qui conçoit, qui décide, qui engage. Au loin, seuls dans la brousse, des officiers, des administrateurs, des pionniers, souvent méconnus, désavoués même, ont su prendre des initiatives, des responsabilités, des risques. A Paris, les hommes d’Etat, les grands républicains qui ont fondé, à la fois, un régime et un empire, Ferry-Ie-Tunisien, Ferry-le-Tonkinois, ont su braver l’impopularité de la rue et faire face aux Assemblées. Aujourd’hui, dans l’épanouissement de l’empire qu’ils nous ont donné, que la foule se retourne vers ces grands morts avec humilité !

Encore, Messieurs, y avait-il à cette erreur populaire, une excuse. Beaucoup pensaient alors qu’étendre la puissance française dans le monde, c’était la diluer, l’affaiblir, la rendre moins apte à conjurer un péril toujours menaçant.

Mais l’expérience a prononcé. La République, après avoir donné à la France des provinces lointaines, lui a rendu ses provinces perdues.

Aux jours tragiques, les colonies vinrent se placer aux côtés de la mère patrie, et l’union de notre empire se fit à l’épreuve de la douleur et du sang.

Aussi, est-ce d’un sentiment de reconnaissance et de fierté que naquit l’idée de cette exposition. Son but essentiel est de donner aux Français conscience de leur « empire », pour reprendre le mot des hommes de la Convention. Il faut que chacun de nous se sente citoyen de la grande France, celle des cinq parties du monde. La France métropolitaine a le plus grand territoire de l’Europe, après la Russie. Elle n’est cependant que la vingt-troisième partie de l’empire français.

A côté de nos vieilles colonies, ces bijoux de famille égrenés dans l’Atlantique et dans l’océan Indien, c’est la France africaine, grande comme l’Europe, cette France nouvelle née du coup d’éventail du dey d’Alger, qui devait balayer l’Afrique des bords de la Méditerranée aux rives du Congo. C’est aussi la France d’Asie, plus grande que la France, la Suisse, la Belgique et la Hollande réunies, placée comme un balcon sur le Pacifique entre les deux grands réservoirs d’hommes, l’Inde et la Chine.

Ce n’est pas seulement par ces étendues qui donnent le vertige que vaut notre empire colonial, c’est aussi par sa puissance économique naissante, qui, déjà, fait de la France extérieure le plus gros client de la France d’Europe et le premier de ses fournisseurs. Le quart de la production totale de nos tissus de coton est absorbé par la France extérieure. Que de chômeurs, si ce débouché se fermait brusquement ! Combien nos masses ouvrières sont intéressées au fait colonial ! Le savent-elles ? Le leur dit-on ? Leur dit-on que pour vivre parmi les grandes unités économiques du monde, la collectivité française a besoin des cent millions d’habitants et des matières premières de la grande France ?

Mais encore faut-il qu’ayant enfin pris une conscience impériale, nous suivions une politique propre à tirer parti de notre empire. Politique double : lui apporter les capitaux dont il a soif et rationaliser la production.

Et d’abord, serait-il admissible que la France d’Europe refusât de faire profiter de son étonnante puissance financière la France d’outre-mer ? Déjà le Parlement s’est engagé dans cette voie : 5 milliards d’emprunts coloniaux pour les travaux publics, des facultés données au crédit colonial qui, du 1er mars au 15 avril dernier, a prêté 66 millions à des entreprises coloniales, voilà les premiers actes. Nous avons déposé, hier, un projet de loi autorisant le crédit agricole à avancer 100 millions aux caisses de crédit agricole coloniales. Nous demanderons demain au Sénat d’autoriser une nouvelle série d’emprunts. Et parallèlement à cette action législative, notre gouvernement poursuit la réalisation d’une politique de prêts à moyen et à long terme aux producteurs coloniaux. Dès aujourd’hui, ceux de Madagascar en ont le profit.

D’autre part, pour empêcher de mourir les plantations coloniales ravagées par la tornade économique qui s’est abattue sur les pays producteurs de matières premières, nous avons obtenu du Parlement le vote de la loi sur la protection des produits coloniaux.

Voilà pour notre politique financière. Mais les capitaux ne suffisent pas. En passant de la culture vivrière à la culture industrielle, les producteurs sont entrés dans la bataille du prix de revient. Il faut s’y battre. L’aide financière qu’ils réclament devra être subordonnée à l’adoption des disciplines de la production moderne. D’autre part, la rationalisation devra profiter aux ouvriers indigènes, facteur essentiel de la production. Demain, le Sénat discutera un projet de loi déjà voté par la Chambre, créant un corps d’inspecteurs du travail aux

Nous reconnaîtrons que nous avons acquis la conscience impériale lorsque l’opinion publique de la France d’Europe suivra passionnément ces efforts et ces progrès qui déjà retiennent l’attention de l’étranger. La mise en valeur de la France extérieure, voilà quel doit être désormais l’un des objets essentiels de notre ambition collective. J’ai dit le but et j’ai dit les moyens.

Mais cette œuvre ne peut être accomplie que si les indigènes participent au labeur et au profit. Les indigènes participeront au labeur et au profit. Les indigènes… nos associés. « Ne les traitez jamais en sujets mais en alliés », disait déjà Richelieu qui, comme Colbert, comme les plus grands ministres français, a été un grand colonial.

Qu’ont retiré les indigènes de cette association ? Nous avons trouvé en Afrique les razzias, l’esclavage, la famine, l’épidémie. Aujourd’hui, les corsaires du désert en sont les gardiens. Et par un effort admirable, nos médecins jugulent les épidémies qui étaient en voie d’effacer des populations entières de la surface d’un continent. A des milliers et des milliers d’êtres humains, ils donnent la vie une seconde fois. Et vous verrez les photographies de ces classes claires où sont braqués vers le maître les petits visages éveillés des écoliers noirs. Nous avons apporté la lumière dans les ténèbres.

Un jour, Vollenhoven, la plus pure figure du monde colonial d’hier, celui que ses chefs militaires devaient proclamer « descendant des La Tour d’Auvergne et des Bayard », faisant une tournée en Afrique occidentale, rencontra des bergers peuhls qui vinrent le saluer. L’un d’eux, un vieillard biblique, évoqua devant lui le passé douloureux de sa tribu et, découvrant son torse nu, il lui montra les cicatrices des blessures qu’il avait reçues en défendant son bien et son foyer. Puis, dans un geste d’infinie majesté, comme savent en trouver les pasteurs de ces pays, il lui montra ses troupeaux et le remercia de la sécurité qui lui avait permis de les multiplier.

Voilà, Messieurs, ce que c’est que la colonisation française. Et je ne parle ni de la route, ni du rail, ni des zones irriguées. Vous regarderez et vous connaîtrez alors la poésie des cartes et des graphiques.

En Asie, où nous avons apporté aussi comme premier présent l’ordre et la paix, que nous maintiendrons, nous avons trouvé à son déclin une civilisation millénaire pour laquelle nous avons de l’admiration et du respect. N’est-ce pas nous qui avons sauvé le temple d’Angkor de l’étreinte meurtrière de la forêt vierge qui l’avait envahi ?

Sans doute, il y a une tragédie de l’Asie. C’est la rencontre entre deux civilisations nées à dix mille kilomètres de distance et séparées dans le temps par des siècles. Le problème, c’est le mariage entre ce qui vaut de l’une et ce qui est assimilable de l’autre. Nous devons nous attacher à le résoudre avec le meilleur de notre intelligence et de notre cœur. Nous y avons été aidés, dans le passé, par l’inoubliable père de S. M. l’empereur d’Annam, qui, comme dernier témoignage d’amitié et de confiance, donna à la France le soin d’élever son fils, en qui nous le voyons revivre aujourd’hui.

Pour l’œuvre si belle de collaboration avec toutes les races de notre empire, nos agents les plus précieux seront les colons français. Ils savent que, dans la France extérieure, les qualités professionnelles ne suffisent pas. Sur tous les points du monde, ils se souviendront que chacun d’eux est, là-bas, le soldat de son pays. Ils sauront s’imposer la discipline d’attitude et de parole, la cohésion, le respect de l’autorité qui font les peuples forts. Quant à l’administrateur, il n’oubliera pas que le premier de ses devoirs est de pénétrer l’âme de l’indigène et, pour cela, véritable ethnologue, d’en connaître les mœurs, les coutumes, les techniques et même la langue. Il comprendra le caractère ingrat du labeur du colon, ses inquiétudes, ses angoisses, les risques de ces cultures tropicales à rendement différé. A travers

Les premiers administrateurs, ce furent les officiers de notre admirable armée coloniale, héritière de ces « compagnies de la mer » qu’avait créées Richelieu. Ils n’ont fait la guerre que pour apporter la paix, pour faire surgir des cités nouvelles, et en respectant les religions, les institutions, les usages.

Le plus grand d’entre eux est ici. Je salue, en la personne du maréchal Lyautey, cet héritier des légions romaines qui n’ont détruit que pour construire. Après avoir, toute sa vie, pétri du réel, il ramasse pour nous, en une fiction grandiose, tout l’univers français. Que tous les bâtisseurs illustres ou anonymes de cette grande œuvre en soient remerciés !

Il est des hommes qui ont servi la France, des hommes qui, après avoir renoncé à la richesse, ont renoncé à leur patrie, les missionnaires. Quels grands noms parmi eux ! de saint Vincent de Paul au père de Foucauld, « qui régnait sur les pays désertiques par la force de sa prière, par l’exemple de ses vertus, de son sacrifice, faisant bénéficier la France de l’amour et du respect qu’il inspirait ».

Grâce à tous, colons, administrateurs, officiers, médecins, missionnaires, il n’y a aujourd’hui qu’une famille française. Le secret de la France, c’est d’être une mère généreuse, et de ne distinguer entre ses enfants que par le mérite et les talents.

C’est pourquoi, Messieurs, lorsque la France vient s’asseoir parmi les peuples, elle parle au nom de 100 millions d’habitants. »