DOMINIQUE MEDA : BENOIT HAMON LE CANDIDAT QUI REPENSE LE TRAVAIL Le Monde du 26/01/2016.

 

En articulant question écologique et question sociale, avenir du travail et qualité de l’emploi, le député des Yvelines déplace le débat vers des discussions essentielles et bouscule la gauche

 

 

Quelque chose de très important s’est passé durant ces courtes primaires de gauche : Benoît Hamon a réussi à placer au cœur de la campagne la question écologique et à faire ainsi basculer le centre de gravité du corpus de gauche, jusque-là plutôt productiviste et « croissantiste ». Mieux : en lieu et place des discours tantôt lénifiants, tantôt catastrophistes qui nient le changement climatique ou sont tétanisés par celui-ci, il a rappelé sans relâche que la question écologique et la question sociale ne sont pas contradictoires et que la résolution de la première peut être mise au service de la seconde.

Autrement dit, engager nos sociétés dès maintenant dans la reconversion écologique peut permettre, si nous nous y prenons intelligemment, non seulement d’éviter les catastrophes environnementales, sociales et sanitaires qui nous attendent si nous ne faisons rien, mais aussi de renouer avec le plein-emploi et de changer le travail.

Renouer avec le plein-emploi, parce que les secteurs très émetteurs de gaz à effet de serre qu’il faudra fermer sont peu intensifs en main-d’œuvre, alors que rebâtir notre système énergétique, réorganiser notre système productif, engager la rénovation thermique de nos bâtiments (et donc lutter contre la précarité énergétique qui mine la vie de millions de nos concitoyens), développer des modes de transport propres, réinventer notre agriculture permettront, comme l’ont montré plusieurs études, de créer des millions d’emplois durables.

Associée à un partage du travail plus civilisé, cette transition écologique devra s’accompagner de puissants mécanismes de sécurisation : il nous faut à tout prix éviter une nouvelle crise de la sidérurgie ou du textile. Nous devons au contraire anticiper ces changements et imaginer dès maintenant la manière dont un grand nombre de métiers devront se transformer : c’est ce que la Confédération syndicale internationale appelle la « transition juste », celle qui n’abandonne pas ceux qui n’auraient pas « su s’adapter ».

Mais Hamon va plus loin, et c’est l’autre grand intérêt des idées qu’il amène dans le débat : il nous enjoint de réfléchir aux formidables mutations que sont appelés à connaître nos emplois, notamment du fait de l’automatisation. Les études sur ce point sont controversées : certaines évoquent une perte de presque 50 % des emplois, d’autres soutiennent que les innovations technologiques s’accompagnent davantage d’une transformation des emplois existants que de leur suppression.

Mais le candidat a raison de mettre le doigt sur cette question essentielle et de nous interpeller : ne devons-nous pas d’urgence nous saisir de ces sujets ? Est-il légitime de laisser de grandes entreprises transnationales mettre les législations nationales du travail en concurrence, martyriser nos territoires, supprimer nos emplois et mettre le salariat sous pression sans même payer d’impôts ? Ne faut-il pas en faire d’urgence un sujet de discussion collective, imaginer les moyens de s’y opposer (grâce à une taxe sur les robots ?), envisager d’autres moyens de distribuer le revenu que le seul travail, et, en même temps, redévelopper l’emploi dans tous les secteurs où la présence humaine fait défaut ?

L’espoir du revenu universel

A ces questions, il n’y a pas de réponse simple et unique. On voit bien les vertus en ce domaine du revenu universel, une ressource socle qui aiderait à sécuriser des parcours professionnels plus incertains, surtout pour les emplois pénibles ou mal rémunérés. Il faut bien sûr prêter attention aux craintes légitimes exprimées à l’égard d’un tel revenu qui, mal calibré, pourrait entraîner un affaiblissement de notre protection sociale collective et des règles qui encadrent le travail. Correctement mis en œuvre, notamment dans son premier étage – un revenu individuel d’environ 650 euros ouvert sous condition de ressources dès 18 ans –, il serait grandement susceptible de redonner de l’espoir.

Il ne faut donc pas voir dans cette proposition un appel à sortir de la société du travail mais, bien au contraire, une prise en compte de la peur du chômage, de la précarisation et de la perte de sens du travail qui minent nos sociétés. Car c’est bien aussi une crise du travail que nous vivons, dont témoigne la dégradation des conditions de travail constatée et vécue dans tant de métiers. Bien peu de candidats en parlent.

 

Hamon a le mérite d’avoir remis au centre du débat public un diagnostic et un ensemble de solutions – que recommandaient déjà Keynes et Einstein –, parmi lesquelles figure aussi un partage du travail qui devrait nous permettre d’éviter la fragmentation de l’emploi que connaît notre voisin allemand (avec plus de 22 % de travailleurs pauvres, contre 8 % en France).

Articulation de la question écologique et de la question sociale, avenir du travail, qualité de l’emploi : Hamon met enfin au cœur de la délibération publique les questions essentielles que nous devons désormais prendre à bras-le-corps. Que ferons-nous si la croissance ne revient pas ? Et, si elle revient, comment prendre en compte le fait que, malgré l’infinité de bienfaits dont elle a été la cause, elle amène aussi désormais avec elle d’innombrables dégradations ? Pouvons-nous vivre bien sans croissance – mais avec une relance de l’activité ciblée – et mettre la qualité de la vie, du travail et des produits au centre de nos réflexions, au service d’une nouvelle vision du monde ? Pouvons-nous, en un mot, redéfinir le progrès ? Voilà ce qu’Hamon nous permet enfin de discuter, et d’installer à l’agenda électoral. Qu’il en soit remercié.

Dominique Méda a coécrit, avec Florence Jany-Catrice, « Faut-il attendre la croissance ? » (La Documentation française, 2016).

 

 

  • Dominique Méda (Professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine)