Face à une guerre longue en Ukraine, il faut tenir, en soutien à Kiev

 ÉDITORIAL  Le Monde du 17 août 2023

Alors que la perspective d’un conflit qui s’installe dans la durée se renforce, les Occidentaux doivent intensifier leur assistance militaire aux Ukrainiens, la faire monter en gamme et lutter plus efficacement contre le contournement des sanctions contre Moscou.

Est-ce vraiment une surprise ? Certains responsables occidentaux, déçus par la lente progression des forces ukrainiennes dans la contre-offensive qu’elles ont lancée à la fin du printemps, semblent découvrir que la guerre russe en Ukraine sera vraisemblablement une guerre longue.

L’effarante incompétence des stratèges de l’armée russe dans la première phase de l’invasion, en février-mars 2022, la formidable résistance des Ukrainiens et de leurs dirigeants, puis le succès de la première contre-offensive à la fin de l’été 2022 autour de Kharkiv et Kherson ont pu nourrir un temps l’illusion d’un conflit bref. Mais les forces russes se sont réorganisées pendant l’hiver tandis que les troupes ukrainiennes, inférieures en nombre, subissent la fatigue et le contrecoup de dix-huit mois d’une guerre de tranchées particulièrement éprouvante.

Les Occidentaux, et tout particulièrement les Européens, se sont beaucoup trompés dans cette affaire. Ils se sont trompés, pour la plupart, en refusant de croire que Vladimir Poutine prendrait la décision d’envahir l’Ukraine. Ils se sont trompés en surestimant, dans un premier temps, la qualité de l’armée russe et en sous-estimant la détermination des Ukrainiens à défendre leur pays. Ils se sont trompés en tergiversant, encore et encore, sur le matériel à fournir aux Ukrainiens, qu’ils ont en général fini par envoyer avec des retards qui ont pénalisé les forces de Kiev. Ils se sont trompés en ne planifiant pas la production de munitions au moment où il aurait fallu le faire, infligeant aux combattants sur le terrain le coût de cruelles pénuries. Ils se sont trompés, enfin, en pensant que cette deuxième contre-offensive pourrait être rapide et permettrait d’amener le commandement russe à négocier, sous le choc des avancées ukrainiennes.

Lenteur des livraisons d’armements

Mais le Kremlin ne manifeste aucun désir de négocier – encore moins quand on fait savoir qu’on craint l’escalade et qu’on veut éviter de l’humilier. Et si la contre-offensive de l’été se fait si laborieuse, c’est en grande partie parce que pendant que les Ukrainiens attendaient l’équipement promis par les Occidentaux, les Russes ont eu tout le loisir d’acheminer des troupes fraîches et plus professionnelles, de fortifier leurs lignes de défense et de poser des centaines de milliers de mines.

Le président Volodymyr Zelensky a beaucoup agacé ses collègues occidentaux au sommet de l’OTAN à Vilnius, les 11 et 12 juillet, en se plaignant de la lenteur des livraisons d’armements. Certes, les stocks et les capacités de production de certains pays sont limités ; mais le coût de ce conflit en vies humaines repose exclusivement sur les Ukrainiens.

 

Peut-on omettre ce facteur dans nos relations avec un pays dont on ne cesse de répéter que son combat est essentiel à nos valeurs et à l’ordre européen mis à bas par Vladimir Poutine ? Les pays de l’OTAN ne laisseraient jamais, eux, leurs forces armées lancer pareille contre-offensive face à l’armée russe sans une forte couverture de l’armée de l’air ; c’est pourtant ce que l’on attend des Ukrainiens en refusant de leur livrer des avions de chasse.

Oui, cette guerre risque d’être longue. Le seul moyen de l’abréger est d’intensifier l’assistance militaire à l’Ukraine, de lui livrer davantage de missiles à longue portée (sur lesquels Berlin continue d’hésiter), de lutter plus efficacement contre le contournement des sanctions, de rester ferme face à Moscou, et de l’expliquer aux opinions publiques.