Hommage polémique à Robespierre

 

 

Hommage polémique à Robespierre : "il n'était ni le seul grand révolutionnaire, ni un grand salaud"

Révolution

Propos recueillis par Pierre Lann

Publié le 28/07/2022 dans MARIANNE

 

 

L'hommage rendu par des députés de la France Insoumise à Maximilien de Robespierre, 228 ans après sa mort le 28 juillet 1794, soulève une nouvelle polémique entre ceux qui y voient un héros et ceux qui pourfendent un tyran. Or, ce débat tord la réalité historique, selon l'historien Jean-Clément Martin.

La figure du révolutionnaire Maximilien de Robespierre continue de fracturer la vie politique française, 228 ans après sa mort. Ce jeudi 28 juillet, trois députés de La France Insoumise (LFI) se rendent à Arras (Pas-de-Calais), pour « rendre hommage » à l'Incorruptible dans sa ville natale. Une visite pour célébrer leur « France commune : sans esclave, sans guerre, sans discrimination religieuse, où l'éducation est gratuite et la subsistance garantie », écrit sur Twitter le député Hadrien Clouet, qui fera le déplacement avec Ugo Bernalicis et Antoine Léaument. L'hommage des Insoumis soulève de nombreuses critiques, notamment du ministre des Transports Clément Beaune qui sur le même réseau social parle de « bêtise politique » et d'« ignorance historique ».

Héros révolutionnaire pour certains, dictateur sanguinaire pour d'autres, la figure de Robespierre divise. Cette focalisation excessive sur Robespierre est pourtant une erreur pour expliquer la Révolution, selon l'historien spécialiste de la Révolution Jean-Clément Martin, auteur de Robespierre : la fabrication d'un monstre (Paris, Perrin, 2016, 367 p). « Il n'était ni le révolutionnaire le plus démocrate, ni celui qui a réclamé la destruction des ennemis de la Révolution », insiste l'historien qui dénonce la fabrication d'une « légende noire » de l'Incorruptible. Entretien.

Marianne : Deux visions de Robespierre continuent de s'affronter, 228 ans après son exécution à Paris. L'une en fait le principal responsable des excès de violence de la Révolution, l'autre met en avant certaines de ses prises de position, pour en faire un héros révolutionnaire et démocratique. Pourquoi suscite-t-il autant de discordes ?

Jean-Clément Martin : On ne retient de la Révolution que Robespierre, et on oublie ceux qui ont fait des choses plus démocratiques ou plus terribles. Cela gêne tout le monde de penser que Robespierre a participé à des jeux politiciens extrêmement compliqués qui n'en font ni le très grand révolutionnaire que certains voudrait voir, ni le grand salaud que d'autres imaginent. Il a ainsi soutenu les sans-culottes à l'été 1793 avant de les éliminer en mars 1794. Il s'est perdu dans ces jeux dangereux, ce qui fait qu'il est taxé des pires ignominies et des meilleures résolutions prises.

Robespierre n'était pas le révolutionnaire le plus démocrate. Par exemple, il n'a défendu la suppression de l'esclavage qu'une seule fois. Certains, comme Jacques Pierre Brissot, ont demandé beaucoup plus. Mais Robespierre n'est pas non plus celui qui a réclamé la destruction des ennemis de la Révolution. En la matière, Marrat a battu tous les records et certains représentants en mission dans les provinces ont été des gens beaucoup plus dangereux. En réalité, Robespierre est devenu un héros ou antihéros lorsque ses ennemis lui ont créé une légende noire au moment de sa mort.

Comment s'est bâtie cette « légende noire » ?

Dès le mois de juin 1794, ses adversaires commencent à organiser des complots dans les prisons. Ils envoient des charrettes remplies de condamnés à l'échafaud, en disant que c'est Robespierre qui organise cela. Le jour de son exécution, le 28 juillet, il devait y avoir une grande fête dans Paris réunissant 200 000 à 300 000 personnes pour l'entrée au Panthéon de deux révolutionnaires morts. Les députés craignaient que Robespierre profite de la fête pour emprisonner les gens qui lui étaient opposés. Il faut voir sa chute comme un contre coup d'État préventif, alors que certains de ses opposants risquaient d'être guillotinés.

Robespierre a été éliminé par la double opposition de sa droite et de sa gauche. Cette dernière lui était particulièrement hostile parce qu'il avait participé à l'élimination des Enragés, les sans-culottes les plus déterminés. Ils se sont accordés pour en faire le seul responsable de tout ce qu'il s'est passé jusqu'en juillet 1794, et qu'on a appelé la Terreur. Ceux qui l'ont dit étaient d'ailleurs ceux qui, comme Barras ou Fouché, ont pris seuls et contre Robespierre des positions extrémistes et dangereuses, en massacrant à Lyon, à Marseille ou Nantes.

Il faudrait donc relativiser l'idée selon laquelle Robespierre serait le principal responsable de la Terreur ?

Rappelons que Robespierre a eu une opposition très nette et marquée contre le système de la Terreur. Il faut aussi relativiser l'influence qu'il pouvait avoir sur la totalité du territoire, même lorsqu'il détenait la totalité des pouvoirs à Paris au début de 1794. Les pires atrocités ont été commises à la fin de l'année 1793 en province, à Lyon ou à Nantes en particulier, sous l'influence de certains personnages comme Fouché.

Robespierre et d'autres ont toutefois une responsabilité. Dans un premier temps, ils ont laissé faire, avant d'interdire ces politiques répressives, et de rappeler notamment Fouché à Paris. Il faut aussi rappeler qu'officiellement la Terreur n'a jamais été instituée, il n'y avait pas de loi ou d'organisation à proprement parler. La Terreur s'est jouée sur des moments très précis, parfois sur une journée.

À rebours de l'image très radicale qu'on lui accole, certains historiens ont décrit Robespierre comme occupant « l'extrême-centre » dans le Comité de Salut public. Est-ce le cas ?

Je dirais plutôt que Robespierre voulait incarner une révolution moralisatrice, spirituelle. Il a heurté une partie de l'extrême-gauche en imposant la liberté des cultes ou en faisant voter un décret sur l'immortalité de l'âme. Il considérait qu'on ne pouvait pas bâtir un régime politique sur les seuls discours politiques ou sur des accords économiques. Robespierre était pétri d'une morale chrétienne, dans toute sa rigueur, où les pêcheurs sont punis. Cela heurtait certains sans-culottes, d'un laïcisme absolu, qui le voyait comme quelqu'un de dangereux.

Certains estimaient aussi que Robespierre volait leurs idées sans vouloir aller aussi loin qu'eux dans l'égalité sociale, et notamment dans l'égalité hommes femmes à laquelle il semblait très hostile. Robespierre a aussi été favorable à la liberté du commerce et la centralisation du pouvoir. Mais il était aussi dénoncé par sa droite, par des gens plus favorables à une économie plus libre.

Y a-t-il un retour en force de la figure mythifiée de Robespierre et pourquoi ?

Sûrement. Ce mythe ressurgit dans notre période qui personnalise beaucoup le pouvoir et où l'on voit apparaître des gens qui disent « JE vais faire ça ». Cela donne lieu à des relectures. Il y a toujours eu une focalisation sur Robespierre, mais elle commence à me faire peur alors que l'on risque de retomber à nouveau dans une forme de césarisme. Résumer la Révolution à des discours est une ânerie : ce sont d'abord des querelles politiques, des luttes politiciennes, et des éliminations entre gens qui se connaissent bien. Si on ne veut pas comprendre cela, on passe à côté de la réalité des faits.

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Par Pierre Lann