La France insoumise est-elle vraiment un parti d’extrême gauche ?

 

Pendant l’entre-deux-tours notamment, la majorité présidentielle a renvoyé dos à dos les formations de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen, les jugeant extrêmes, voire antirépublicaines. Un signe d’appauvrissement du débat pour le politologue Rémi Lefebvre, interrogé par « l’Obs ».

Par Emma Poesy

·Publié le 23 juin 2022  dans L"OBS"

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« Ni extrême gauche, ni extrême droite. » Durant l’entre-deux-tours des élections législatives, la majorité présidentielle a multiplié les prises de position laissant entendre que la coalition entre les différents partis de gauche, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), était une extrême gauche au moins aussi infréquentable que l’extrême droite. Depuis la gifle aux législatives, le parti présidentiel, qui a perdu la majorité absolue à l’Assemblée, est en quête d’une nouvelle majorité pour gouverner. Mais pas avec tout le monde. C’est ce qu’a notamment affirmé le ministre des Relations avec le Parlement, Olivier Véran, pour qui il n’était pas envisageable de travailler avec le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, La France insoumise, parce qu’il n’est pas, selon lui, dans « l’arc républicain », tout comme le parti de Marine Le Pen.

Mais peut-on réellement renvoyer dos à dos les deux formations, jugeant qu’elles sont « extrêmes » ? Non, selon le politologue Rémi Lefebvre, interrogé par « l’Obs », qui considère que le leader « insoumis », et son mouvement avec lui, s’ancre dans une tradition socialiste, mais qui se serait radicalisée, notamment en raison de l’urgence de certains enjeux, comme celui de la transition écologique, qui appelle à des changements de société radicaux.

Qu’est-ce qui caractérise un parti d’extrême gauche ?

Rémi Lefebvre. Historiquement, l’extrême gauche représente ce qui est à gauche du Parti communiste. C’est un mouvement qui se définit contre le « gauchisme », notamment durant les grèves de Mai-1968. Par exemple, sont considérés comme d’extrême gauche les partis trotskistes Lutte ouvrière ou celui des Communiste révolutionnaires, qui jouent le jeu électoral mais contestent la voie légale de la conquête du pouvoir et estiment que celle-ci doit se faire par la grève générale, les mouvements sociaux, et pas par l’élection. Ces mouvements ont un rapport parfois compliqué avec la légalité républicaine et peuvent revendiquer une forme de conflictualité.

Dans le débat public actuel, les acteurs politiques peuvent mettre ce qu’ils veulent derrière le terme d’extrême gauche, dans la mesure où la gauche est un principe d’orientation et un repère très évolutif. On est toujours à la gauche et à la droite de quelqu’un. Ceux qui considèrent que Jean-Luc Mélenchon est d’extrême gauche le font parce que son mouvement est celui le plus à gauche du spectre politique, si on exclut le Nouveau Parti anticapitaliste et Luttre ouvrière. Ils en ont le droit.

Peut-on objectivement dire, comme l’a fait le ministre Olivier Véran, que LFI n’appartient pas à « l’arc républicain » ?

C’est complètement faux. Concrètement, Jean-Luc Mélenchon joue le jeu des élections. La République constitue une valeur très importante pour lui et il a une forte culture républicaine. Ce propos est d’autant plus outrancier que Mélenchon s’inscrit dans la tradition de Jean Jaurès et de la Révolution française.

On peut critiquer sa vision de la police ou de la laïcité, mais rien chez Jean-Luc Mélenchon n’est pas républicain. Ça n’a pas de sens de l’affirmer. Le critiquer ainsi, c’est le degré zéro de la politique, cela ressemble à un argument d’autorité qui ne permet pas de faire avancer le débat démocratique.

Si le mouvement de Mélenchon n’est pas un parti d’extrême gauche, quel est le bon terme pour le qualifier ?

Il correspond à une forme de radicalisation du socialisme, si l’on se réfère à l’évolution du Parti socialiste depuis les années 1980. Concrètement, le programme de La France insoumise n’est pas plus radical que celui de François Mitterrand en 1981. Il n’est pas révolutionnaire, mais réformisme : Jean-Luc Mélenchon n’est pas favorable à l’abolition du capitalisme, ne propose pas de sortie de l’économie de marché mais propose sa régulation par l’Etat, un fort niveau de dépense publique, une forte fiscalité.

 

De ce point de vue là, il s’inscrit dans le socialisme très interventionniste, très réformiste, qui croit au rôle essentiel des services publics, à la planification écologique, la redistribution. Ce qu’il remet en cause, c’est davantage l’ultralibéralisme que le capitalisme lui-même.

Jean-Luc Mélenchon est lui-même issu du PS…

Il a une double formation. Au départ, il est issu d’une culture trotskiste lambertiste, mais est très clairement socialiste républicain. C’est assez emblématique de son inscription dans le socialisme : il a toujours voulu jouer le jeu des élections pour prendre le pouvoir. Jean-Luc Mélenchon est un professionnel de la politique, il a été sénateur en 1986, conseiller général, député européen, député, cela manifeste son ancrage dans la République.

Ne pourrait-on pas en dire autant de Marine Le Pen, dont le parti est pourtant qualifié d’extrême droite ?

Vous avez raison. De ce point de vue, on peut dire que Marine Le Pen serait républicaine dans la mesure où elle ne se prononce pas pour la suppression de la République. Toutefois, elle a un programme qui s’inscrit incontestablement dans la tradition de l’extrême droite, qui est historiquement un mouvement qui s’oppose à la République.

Durant la campagne présidentielle, le programme de LFI était jugé moins ambitieux que celui de François Mitterrand en 1981. Est-ce vrai ?

Il est difficile de comparer, dans la mesure où le niveau de la dépense publique est très différent d’une époque à l’autre. Cependant, le programme de Mélenchon, comme celui de Mitterrand, est fondé sur l’interventionnisme d’Etat et en cela il n’est pas plus radical que le programme commun à l’époque.

D’ailleurs, François Mitterand n’était pas considéré comme d’extrême gauche lorsqu’il a mené sa campagne. La grande différence, c’est que le Parti socialiste était alors beaucoup plus à gauche que le Parti socialiste ne l’a été ces vingt dernières années.

Le positionnement de LFI est-il considéré comme radical parce que le libéralisme est aujourd’hui une évidence, là où il ne l’était pas dans les années 1980 ?

La notion de radicalité doit être mise en perspective. Aujourd’hui, c’est le libéralisme qui s’est radicalisé, avec un accroissement des inégalités, ce qui fait qu’on ne peut plus considérer la radicalité politique de la même manière.

De plus, la lutte contre le réchauffement climatique, pour être réaliste, se doit d’être radicale, parce qu’elle requiert des changements sociétaux extrêmement importants. Cette donnée est à prendre en compte : les enjeux sont nouveaux et appellent des solutions nouvelles, qui ne peuvent pas être de faible intensité.

Pourquoi ne dit-on jamais du libéralisme qu’il est radical, là où un programme de gauche, ou de droite, peut l’être ?

L’ultralibéralisme et le néolibéralisme donnent l’impression qu’ils sont des évidences, et pas des idéologies. C’est là leur grande force et, de fait, ces idées n’apparaissent pas comme radicales. Elles se sont comme naturalisées.

On a aujourd’hui l’impression que ceux qui remettent en cause le système sont radicaux, alors que le système lui-même l’est, radical, mais se méconnaît comme tel, parce qu’il se présente comme évident et serait donc indépassable.

Propos recueillis par Emma Poesy

Par Emma Poesy