Le travail forcé a duré jusqu'en 1946 dans l'Afrique coloniale française
Le développement des colonies françaises est fréquemment passé par le travail forcé, dans des conditions qui ont entraîné la mort de milliers de travailleurs. Comme sur le chantier du train Congo-Océan.
Article rédigé par
France Télévisions Rédaction Afrique
Publié le 20/10/2019 10:15
Temps de lecture : 4 min.
"Dix-sept mille morts, sous les coups de la meute hystérique des contremaîtres européens et de leurs tirailleurs sénégalais, eux-mêmes exténués par les épidémies", écrivait Albert Londres dans son livre Terre d’Ebène paru en 1929 sur l’Afrique coloniale, et notamment sur le travail forcé utilisé pour la construction du train Congo-Océan. Dans les années 20, le journaliste Albert Londres n’est pas le seul à le dénoncer. L'écrivain André Gide publie lui aussi dans la NRF (Nouvelle Revue Française) deux textes, Voyage au Congo (1927) et Retour du Tchad (1928), qui suscitent de vives polémiques, jusqu’à la Chambre des députés où un parlementaire veut attirer "l'attention sur la situation pitoyable des travailleurs dans les colonies, notamment sur le chemin de fer de Brazzaville, où le recrutement se fait par contrainte".
Un mort par traverse
La construction de ce train Congo-Océan, dont on dit qu’il coûta la vie à un travailleur par traverse, est le symbole de l’emploi d’une main d’œuvre gratuite, réquisitionnée dans le cadre du travail forcé, autorisé dans les colonies.
Le train est construit de 1921 à 1934. Les difficultés du chantier nécessitent une abondante main d'œuvre. Les responsables de la construction vont réquisitionner celle-ci jusqu'au Tchad. La voie de chermin de fer est finalement construite, mais au prix de plusieurs milliers de victimes travaillant dans les conditions abominables décrites par Albert Londres.
Si officiellement l’esclavage était interdit, le "travail forcé" était lui légal dans les années 20. "L’esclave est le bien de son maître. Le travailleur forcé, lui, reste libre en droit. Cela dit, dans les faits, les travailleurs forcés sont réquisitionnés et maintenus au travail sous la contrainte. Ils ne touchent aucun salaire et doivent être nourris par les populations des villages qu’ils traversent. Il existe certes des formes de compensation : on donne par exemple au travailleur du sel ou du tissu. Mais ces rétributions restent tellement en dessous de la valeur du travail fourni, qu’on ne peut appeler cela un salaire. Et, bien sûr, les travailleurs forcés, comme les esclaves, sont encadrés par des forces de l’ordre, des milices africaines recrutées sur le territoire même et commandées par des Européens", explique l'historien congolais Elikia M’Bokolo dans la revue Histoire.
La loi Houphouët-Boigny supprime le travail forcé
Dans l'empire colonial français, le travail forcé s'est développé légalement avec la généralisation du Code de l'indigénat à partir de 1887. Même si elle a été souvent modifiée ou encadrée, la possibilité du recours au travail forcé est restée force de loi jusqu'à 1946 où ce code – "honteuse survivance des premiers temps de la colonisation" (journal Ce Soir du 27 décembre 1945) – est aboli avant d'être supprimé par une loi portée par Félix Houphouët-Boigny.
Le développement du travail forcé a suivi les étapes de la colonisation. Au départ "il s’agit de travaux d’utilité publique : il faut construire des routes et des équipements, porter les affaires des troupes et des administrations coloniales qui conquièrent de nouveaux espaces. A mesure que la colonisation avance, on réquisitionne des hommes dans les villages, en privilégiant les plus vigoureux", explique Elikia M’Bokolo.
L'un des premiers labeurs imposés aux habitants des colonies d'Afrique de l'Ouest fut le portage. La progression dans les terres des colons nécessite du matériel transporté à dos d'hommes réquisitionnés, avec des coûts humains importants. "Dans les premiers temps de la colonisation, le recours au travail forcé fut massif. Il s'agissait de trouver la main d'œuvre nécessaire pour les grands chantiers, ponts, ports, routes, chemins de fer, etc. Les populations furent bien souvent victimes de razzias, capturées parfois au lasso, et déportées dans certains cas sur des centaines, voire des milliers de kilomètres", rapporte l'historienne Catherine Coquery-Vidrovitch.
Les "tirailleurs-la-pelle"
"L’administration prévoyait le nombre de travailleurs dont elle avait besoin pour l’année à venir, puis elle envoyait des miliciens armés dans les villages. Le chef de village africain recevait une récompense financière pour le service rendu, l’incitant à fournir le nombre d’ouvriers demandés. Les plus jeunes d’entre eux étaient capturés au lasso", raconte l'historien congolais Antonin Madounou dans Afrik.
L'utilisation du travail forcé fut cependant progressivement contrôlé, réglementé et encadré au fil des ans, des responsables locaux ou de la couleur des gouvernements parisiens. Ce travail pouvait prendre plusieurs formes... qui revenaient toutes à utiliser de la main d'œuvre non payée ou quasi pas payée. Il y avait "la réquisition, la prestation (rétablissement pour les Africains de la corvée abolie par la Révolution), la main d’œuvre pénale, l’obligation de cultiver, la deuxième portion du contingent", précise Une autre histoire. Cette "deuxième" portion du contingent était celle qu,i mobilisée pour être soldat, était en fait utilisée pour des travaux. On a appelé ces hommes les "tirailleurs-la-pelle"...
Parfois, la dureté des conditions de travail et ses conséquences sur la population sont si importantes que même les colons s'inquiètent. "Vous êtes, comme nous tous, au courant de la mortalité effrayante qui frappe les prestataires employés à la construction des routes de Tananarive-Tamatave, Tananarive-Majunga. Elle a atteint ces derniers mois une proportion si grande, qu’on peut prévoir à brève échéance que la population, même la plus valide des hauts plateaux, sera tellement réduite, que les colons ne pourront plus rien entreprendre", écrivent 51 colons de Madagascar au gouverneur Gallieni en 1900.
Et d'ajouter : "La question commence à se poser sérieusement de savoir s’il n’est pas préférable de ne pas avoir de routes, mais de conserver une population valide susceptible de mettre Madagascar en valeu
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