« L’extrême droite a obtenu le départ de Pap Ndiaye du gouvernement »

 

 

Tribune .LE MONDE . 21juillet 2023

 

Philippe Meirieu

Professeur honoraire en sciences de l’éducation

 

Ministre de l’éducation nationale durant quatorze mois, Pap Ndiaye paye de son éviction d’avoir pris ses distances avec les marqueurs politiques et éducatifs de l’extrême droite, estime le professeur honoraire en sciences de l’éducation Philippe Meirieu, dans une tribune au « Monde ».

Pour celles et ceux qui en doutaient encore, l’affaire est désormais entendue : il ne fait pas bon, sous le règne d’Emmanuel Macron, déplaire à l’extrême droite. Pap Ndiaye vient d’en faire la dure expérience. Le voilà, en effet, écarté du gouvernement alors qu’il a mené, à peu de chose près, pendant quatorze mois, la politique de son prédécesseur et qu’en matière de réformes scolaires, il n’a été que l’hologramme du président de la République.

Son arrivée surprise rue de Grenelle avait suscité un peu d’espoir : intellectuel reconnu pour ses travaux sur les minorités et les discriminations, admiré pour les impulsions données au Musée de l’histoire de l’immigration, respecté pour ses prises de position nuancées face aux accusations de « wokisme » et d’« islamo-gauchisme » dans l’université, il avait été plutôt bien accueilli par les professeurs et les cadres de l’éducation nationale, durement éprouvés, il est vrai, par les cinq années de Jean-Michel Blanquer.

Certes, l’homme ignorait presque tout de l’institution scolaire, mais, après tout, cela pouvait aussi lui permettre d’aborder les sujets avec un regard neuf. Peut-être même que, en humaniste résolu, il était en mesure de suspendre un moment les réformes de tuyauteries effectuées à marche forcée avant lui… Et de se préoccuper, enfin, des finalités d’une école abandonnée alors aux experts du tableau Excel ?

Sous tutelle directe de l’Elysée

Mais, loin de profiter de l’éclaircie de son arrivée pour donner le ton, le ministre a dû, très vite, se contenter de reprendre en écho les propositions du président de la République. Dès leur premier voyage commun à Marseille pour annoncer « l’école du futur », il ne put qu’opiner du chef, découvrant visiblement des propositions dont il n’était pas partie prenante et dont il a semblé ignorer les enjeux.

Pourtant, ce projet qu’il cautionnait là était bien différent des convictions qu’on lui prêtait : il ne s’agissait, en effet, de rien de moins que de tourner la page d’une politique inaugurée par Alain Savary – « donner plus et mieux à ceux qui ont moins » – pour affecter les crédits aux écoles sur la base de « projets innovants », au double risque d’« arroser là où c’est déjà mouillé » et d’abandonner un peu plus celles et ceux qui, épuisés par un quotidien insupportable, n’ont ni la force ni les moyens de construire le moindre projet.

e restait-il alors au ministre ? Entouré par des conseillers et des hauts fonctionnaires recrutés par son prédécesseur, sous tutelle directe de l’Elysée, il ne put que poursuivre la politique de Jean-Michel Blanquer, celle de l’Institut Montaigne et de la droite libérale : primarisation de la maternelle au détriment d’une vraie préparation à la scolarité, caporalisation des professeurs du premier degré sous l’autorité des neurosciences, abandon du collège à son triste sort de gare de triage, réorganisation du lycée pour alimenter la machinerie Parcoursup, casse du lycée professionnel dont les élèves se voient privés d’enseignements généraux pourtant essentiels à leur formation citoyenne et mise en concurrence à tous les niveaux, sans se soucier des inégalités et des rivalités ainsi creusées…

 

Enjoint de trouver une solution miracle à la question de la pénurie et du remplacement des professeurs, il s’embarque fort maladroitement dans un « pacte » humiliant pour les intéressés qui, loin de vouloir « travailler plus pour gagner plus », aspirent à travailler mieux et à être enfin reconnus, financièrement et socialement, à la hauteur de leurs engagements.

Une occasion ratée

Bref, sur le fond, Pap Ndiaye s’avère un bon petit soldat de la Macronie. D’où vient alors son désaveu ? De sa personne qui « n’imprime pas » ? Mais si l’on avait limogé tous les ministres qui « n’impriment pas », on aurait dû renouveler presque entièrement le gouvernement.

Cela ne viendrait-il pas plutôt du fait que, sans aucun succès institutionnel, mais avec néanmoins une certaine obstination, le ministre a pris ses distances avec la plupart des marqueurs éducatifs de l’extrême droite ?

Il ne considère pas l’uniforme comme la panacée pour gommer les inégalités sociales. Il ne veut pas d’une laïcité instrumentalisée par les boutefeux de l’exclusion ethnique. Il croit aux vertus de la mixité sociale et a même tenté de l’étendre aux établissements privés sous contrat. Il ne justifie pas les émeutes des jeunes des banlieues, mais ne désespère pas que l’éducation puisse encore quelque chose pour réparer le lien social…

Tout cela est-il donc impardonnable ? Oui, bien sûr, surtout s’il ose appeler un chat un chat et dire tout haut d’une chaîne de télévision qu’elle est d’extrême droite. Erreur s’il en est, au moment où l’extrême droite, sans doute parce qu’elle entend s’imposer comme la pensée unique, ne supporte pas d’être démasquée comme telle !

Il est évidemment trop tôt pour trancher, mais il est bien possible que le passage de Pap Ndiaye à l’éducation nationale soit analysé par les historiens comme une occasion ratée : il aurait pu, en effet, profiter de son court état de grâce pour remobiliser le pays sur les enjeux éducatifs fondamentaux, rassurer les professeurs sur l’éminente dignité de leur métier, redonner aux cadres le sentiment d’être respectés dans leur travail, tenter de convaincre les élèves que les vrais fondamentaux de toute éducation sont l’émancipation et la coopération.

Il ne l’a pas fait. L’extrême droite a obtenu son départ. Et craignons que les historiens du futur ne voient dans ce limogeage les signes – voire les prémices – d’une régression éducative sans précédent.

Philippe Meirieu est professeur honoraire en sciences de l’éducation à l’université Lumière-Lyon II)