L’inéluctable mutation des partis politiques

Publié le 01 octobre 2021. Le Monde

 

Par Anne Chemin

 

ENQUÊTE

Apparues au XIXe siècle, les formations politiques ont structuré la vie démocratique française. Ebranlées par l’effondrement des grands récits idéologiques, boudées par leur électorat, elles tentent aujourd’hui de se réinventer. Survivront-elles ?

On les dit gazeux, vaporeux, transversaux, informels, agiles ou même liquides : les nouveaux partis, comme La France insoumise (LFI) et La République en marche (LRM), ne ressemblent en rien, ou presque, à leurs aînés. Alors que, dans les années 1970 et 1980, les formations politiques issues de la tradition gaulliste, communiste ou socialiste affichaient fièrement la puissance de leur implantation locale, la solidité de leur hiérarchie interne, l’énergie de leur réseau militant ou le dynamisme de leurs congrès annuels, les « nébuleuses » contemporaines, selon le mot du député (LFI) de Seine-Saint-Denis Eric Coquerel, aiment à cultiver la souplesse et l’horizontalité.

A LRM comme à LFI, les procédures exigeantes des partis traditionnels ont disparu. Les statuts officiels sont réduits au strict minimum, la bureaucratie partisane se fait rare, les militants adhèrent en un simple clic et les grandes orientations sont tranchées à l’issue, non pas de congrès rythmés par de longs discours, mais de forums participatifs et de consultations en ligne. « De nombreuses décisions sont ouvertes au vote autour d’un imaginaire de l’ouverture, de la transparence et de l’immédiateté », résume Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université de Lille.

Le mot même de parti semble appartenir à un monde révolu. LRM se présente comme un « mouvement politique et citoyen », LFI comme un « mouvement ouvert et évolutif ».

Les formations qui sont apparues ces dernières années se gardent, elles aussi, de mettre en avant ce terme suranné : lorsque Benoît Hamon lance Génération.s, en 2017, il définit son « bloc » européen, socialiste et écologiste comme un « mouvement » tandis que Raphaël Glucksmann présente Place publique, l’année suivante, comme une formation tournant délibérément le dos aux « vieux partis et aux antiques structures ».

Les partis, il est vrai, ont mauvaise presse. Dans le baromètre annuel du Cevipof, les Français les relèguent tout en bas de l’échelle de la confiance – derrière le personnel médical, les hôpitaux, la science, les petites et moyennes entreprises, l’armée, les scientifiques, l’école, la police, la Sécurité sociale, les associations, la justice, les grandes entreprises publiques et privées, les banques, les responsables religieux, les syndicats, les médias et même les réseaux sociaux… Les partis ne suscitent plus que « sarcasmes ou indifférence », résument le politiste Daniel Gaxie et le sociologue Willy Pelletier dans Que faire des partis politiques ? (Editions du Croquant, 2018).

En portant à la présidence de la République, en 2017, un novice de la politique proclamant que les partis sont « dépassés », l’élection d’Emmanuel Macron a conduit ce mouvement de désamour envers les formations traditionnelles à son acmé.

Au premier tour, les deux formations qui alternaient au gouvernement depuis le début de la Ve République et qui rassemblaient l’immense majorité des députés, des sénateurs et des maires n’ont obtenu qu’un quart des suffrages. « Pour la première fois depuis 1965, aucun des deux principaux partis de gouvernement n’était présent au second tour », constate la politiste Carole Bachelot dans le livre collectif La Fin des partis ? (PUF, « La vie des idées », 2020).

Faudra-t-il bientôt inscrire l’histoire des partis dans une perspective « nécrologique », selon le mot du politiste Frédéric Sawicki ? Les formations politiques seraient-elles en voie de disparition ? C’est ce que semblent penser l’ancien élu communiste Robert Hue, auteur, en 2014, d’un ouvrage intitulé Les partis politiques vont mourir… et ils ne le savent pas ! (L’Archipel), ou l’écrivain portugais José Saramago, qui imagine, dans une fable intitulée La Lucidité (Seuil, 2006), une ville où les électeurs, en signe de révolte, votent massivement blanc. Si le répertoire de la critique est ancien, il s’est, au cours des dernières décennies, « radicalisé », constate Rémi Lefebvre – au point qu’il a fini par éclipser l’idée que les partis constituent l’un des rouages essentiels de la démocratie.

Apparus sous leur forme actuelle au XIXe siècle, reconnus en 1901 par la loi sur les associations, les partis ont en effet accompagné pas à pas l’émergence de la modernité. Parce qu’ils permettent de structurer la vie électorale et parlementaire, affirme, dès 1868, le journaliste et député Ernest Duvergier de Hauranne, ils sont les seuls à pouvoir assurer « la paix au sein d’une société démocratique »« Ces nouvelles formations, écrit en 1919 le sociologue allemand Max Weber (1864-1920) dans Le Savant et le Politique (Plon, 1959), sont des enfants de la démocratie, du suffrage universel, de la nécessité de recruter et d’organiser les masses. »

L’émergence des partis donne, au XIXe siècle, un visage inédit à la notion de pluralisme, souligne Pierre Rosanvallon dans Le Peuple introuvable (Gallimard, 1998). Alors que les révolutionnaires de 1789 les avaient bannis au nom de la préservation de l’unité sociale et de la défense de l’intérêt général, leurs successeurs leur confient le soin d’exprimer, non pas la « simple variété des opinions individuelles ou un quelconque ordre naturel », précise l’historien et sociologue, mais l’immense complexité de la structure sociale. Le système des partis modernes, conclut-il, transforme en profondeur « les termes dans lesquels la société peut être pensée et représentée ».

Amorcé avec l’adoption, au milieu du XIXe siècle, du suffrage universel masculin, ce travail de structuration du débat politique se déploie tout au long du XXe siècle. Parce que la gestion des affaires publiques est désormais rythmée par des élections où se pressent des dizaines de millions de votants, parce que cette massification exige, pour la première fois de l’histoire, la construction d’offres politiques lisibles et cohérentes, les partis s’attellent à des tâches qui auraient stupéfié les responsables de l’âge prédémocratique – socialiser les citoyens à la politique, élaborer une production doctrinale, sélectionner les candidats aux élections.

L’intégration sociale et politique des masses est une mission que les partis de gauche assument d’emblée avec conviction. Dès le début du XXe siècle, ils offrent à leurs militants plus qu’une identité politique – un style de vie, des références, des codes, des réseaux amicaux, des opportunités sociales. Ancrés dans les milieux populaires et les classes moyennes, ces lieux de vie constituent des « affleurements de réalités profondes et ramifiées », selon le mot du politiste Georges Lavau, en 1953 : les militants y partagent des idées, des combats, mais aussi une fraternité liée au sentiment de défendre ensemble une juste

Pendant son âge d’or, dans les années 1950-1960, le Parti communiste (PCF), le seul véritable parti de masse que la France ait connu, formait ainsi une « contre-société », selon le mot d’Annie Kriegel« Les ouvriers communistes participaient à des réunions militantes dans la semaine et organisaient des fêtes de section le samedi soir, souligne Rémi Lefebvre. Il y avait une véritable fusion entre leur vie privée et leur vie militante : les sphères conjugale, familiale, amicale, professionnelle, syndicale et politique se confondaient. Les poly-engagements – le parti, le syndicat, l’association de parents d’élèves, le mouvement de jeunesse et même le club de foot ! – étaient la règle. »

Fragiles, critiquées mais surtout désertées, les formations politiques contemporaines peinent, depuis les années 1980, à assumer pleinement cette fonction d’intégration. « Ce qui faisait la puissance socialisatrice des partis, c’était leur force militante, bien sûr, mais aussi leurs liens étroits avec des mouvements qui diffusaient, par capillarité, leurs idées dans la société française – je pense, pour le Parti socialiste, aux associations laïques, à la franc-maçonnerie ou au syndicalisme enseignant, note Frédéric Sawicki, professeur de science politique à l’université Paris-I - Panthéon-Sorbonne. Aujourd’hui, ces relais sociopolitiques sont très affaiblis – et ce qu’il en reste est déconnecté des partis. »

Les formations politiques de droite, même si elles entretenaient moins ardemment la flamme militante que le PCF ou le PS, ont, elles aussi, vu leurs vertus socialisatrices s’estomper. « Les partis conservateurs étaient des lieux où l’on faisait de la politique, bien sûr, mais aussi où l’on trouvait des amis, voire un conjoint – à l’UMP, il y avait des adhésions de couple, ce qui n’existait pas à gauche, explique Florence Haegel, directrice du Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po. Depuis une trentaine d’années, cette sociabilité militante faite de réunions et de fêtes s’est rétractée : les adhérents sont de plus en plus rares et ceux qui restent interviennent de manière intermittente – et le plus souvent en ligne. »

Pour Rémi Lefebvre, auteur d’un livre à paraître, en janvier, sur Les Mots des partis (Presses universitaires de Toulouse), ce déficit de socialisation politique a puissamment nourri, en 2018-2019, la révolte des « gilets jaunes ».

En célébrant collectivement, sur les ronds-points, des valeurs telles que la fraternité, la solidarité et l’entraide, ce mouvement spontané et apolitique a réinventé sans le savoir la sociabilité chaleureuse qui régnait jadis dans les milieux partisans. « La mobilisation a révélé la solitude des “gilets jaunes”, mais aussi leur aspiration aux coups de main et à la réciprocité, souligne-t-il. Les relations sociales tissées sur les ronds-points ont été le creuset d’un apprentissage de la politique qui se faisait auparavant dans les partis. »

A cette mission de socialisation assumée par les partis s’est ajoutée, dans les démocraties naissantes du XIXe siècle, une seconde tâche : définir un idéal collectif, produire une réflexion doctrinale, rédiger des programmes.

En défendant des visions du monde qui leur sont propres, les formations politiques façonnent des imaginaires, structurent l’agenda électoral, construisent des enjeux politiques – et permettent à des millions de citoyens de décrypter aisément les subtilités et les pièges des scrutins. Grâce aux doctrines et aux programmes, les électeurs repèrent peu à peu des grammaires politiques et s’identifient à des familles partisanes.

A la fin du XIXe siècle, le « Barodet » symbolise, à sa manière, cette structuration du débat politique autour de l’idée de projet. Alors que, au début du siècle, les candidats mettaient l’accent sur leurs qualités personnelles, ce document qui réunit, depuis 1882, les professions de foi des députés victorieux les pousse à insister plutôt sur leurs idées. Ce « tournant symbolique », selon le mot de Pierre Rosanvallon, signe, à la fin du XIXe siècle, l’entrée des partis dans l’arène idéologique : ils deviennent « les principaux producteurs de mesures programmatiques », observent les politistes Nicolas Bué et Rafaël Cos dans Que faire des partis politiques ?, de Daniel Gaxie et Willy Pelletier.

Si les partis contemporains continuent, à l’approche des élections, à rédiger des programmes, beaucoup, selon le politiste Frédéric Sawicki, ont aujourd’hui abandonné toute ambition doctrinale. « On dit souvent que les partis n’ont plus d’idées : en fait, ils en ont trop !, dit-il en souriant. Comme leurs électeurs sont de moins en moins fidèles, ils se comportent, quand ils élaborent leur projet, comme des entreprises qui veulent gagner des parts de marché : pour attirer le chaland, ils adoptent de nombreuses mesures techniques destinées à satisfaire telle ou telle catégorie de votants – sans chercher à définir plus largement une vision du monde ou un horizon. »

L’époque, il est vrai, ne s’y prête guère : au cours des dernières décennies, les grands récits idéologiques qui avaient structuré les clivages politiques du XXe siècle se sont peu à peu effondrés. « Les partis de gauche ne doivent certes pas considérer leur doctrine originelle comme une relique sacrée mais il leur faut garder en tête les lignes directrices définies par leurs prédécesseurs, poursuit le politiste. Aujourd’hui, ils défendent des grandes valeurs comme l’égalité, la liberté ou la tolérance d’un côté, une ribambelle de mesures hyperpragmatiques de l’autre – mais le travail doctrinal qui garantit la cohérence entre ces deux registres n’est pas toujours au rendez-vous»

Au cours des dernières décennies, les formations de droite ont, elles aussi, déserté peu à peu le terrain intellectuel. « Depuis les années 1990, les partis conservateurs ont progressivement perdu leur monopole sur la production idéologique de leur camp, observe la politiste Florence Haegel. Le débat, à droite, est aujourd’hui nourri par des polémistes, des think tanks ou des mouvements comme La Manif pour tous qui poussent un agenda idéologique très fort. Un parti comme Les Républicains [LR] s’adapte au climat idéologique plus qu’il ne fournit une production propre : il est plus réactif qu’actif. »

Nombre de chercheurs attribuent cette faiblesse doctrinale à la profonde transformation du débat public. Dans un monde irrigué jour après jour par les sondages et les réseaux sociaux, la « panique programmatique », selon le mot de Nicolas Bué et Rafaël Cos, est désormais la règle : plongés dans des campagnes incertaines et mouvementées, les candidats improvisent une mesure pour réagir à un fait divers, enterrent discrètement un engagement arbitré par leur parti, adoptent dans l’urgence une proposition de leur adversaire. Les biens politiques de « cycle long » qu’étaient les programmes sont devenus des biens de « cycle court », résument les deux politistes.

Cet appauvrissement idéologique a fini par affaiblir les partis. « En l’absence de réflexion doctrinale, ils s’en remettent souvent au talent politique de leurs leaders – et c’est une fragilité, estime Bruno Cautrès, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po. Une formation ne peut reposer sur le génie personnel de son dirigeant. Pour survivre à des désastres électoraux, elle doit proposer une cohérence programmatique, une assise anthropologique et un récit mythologique ancrés dans des idéaux de longue durée – la justice sociale, par exemple, pour la gauche. Ce sont ces concepts qui doivent, aujourd’hui encore, structurer les clivages politiques. »

Déclin de la socialisation politique, érosion du corpus idéologique : finalement, la seule tâche qui reste, aujourd’hui encore, l’apanage exclusif, ou presque, des partis est la production des élites politiques. « Au cours de leur histoire, les partis français ont peu à peu conquis le monopole de la désignation des candidats aux élections, analyse le politiste Rémi Lefebvre. Cette fonction a très bien résisté à la crise – au point que cette course aux trophées électifs absorbe désormais l’essentiel de leur énergie. Aujourd’hui comme hier, l’investiture partisane est un sésame indispensable pour tous ceux qui veulent conquérir un mandat. »

Dans un monde où la politique est devenue un métier, les partis se sont transformés en « machines à sélectionner les candidats », selon le mot de Pascal Perrineau. C’est en leur sein qu’ils font l’apprentissage de la politique, qu’ils construisent leurs réseaux, qu’ils trouvent des financements pour leurs campagnes. Les aventures souvent malheureuses des listes « citoyennes » montrent qu’il est difficile de remporter une élection sans le soutien d’un parti : en France, les maires de grandes villes et les députés qui, au cours de leur vie, n’ont jamais adhéré à une formation politique se comptent sur les doigts d’une main.

L’imprévisible campagne présidentielle de 2017 a cependant changé la donne. « Les duels Mitterrand-Chirac de 1988 et Jospin-Chirac de 1995 ont marqué l’apothéose de la mainmise des partis sur ce scrutin qui voyait traditionnellement s’affronter les chefs des deux grands mouvements historiques de gauche et de droite, analyse Frédéric Sawicki. Mais cette logique s’est peu à peu défaite : en 2017, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon ont, non seulement adopté une rhétorique ouvertement antipartisane, mais créé ex nihilo leur propre mouvement. Dans ce cas, ce n’est pas le parti qui engendre le candidat mais le candidat qui engendre le parti. »

Ce changement de paradigme est-il le signe avant-coureur de l’inéluctable disparition des partis ? Les entreprises politiques seraient-elles vouées à la disparition ? Ce serait sans doute aller un peu vite en besogne. « La démocratie représentative ne peut fonctionner sans partis, rappelle Bruno Cautrès. Leur rôle s’est beaucoup affaissé mais ils continuent à exercer une fonction essentielle pendant les élections et à proposer une culture politique fondée sur des concepts, des mots-clés et des répertoires qui réaniment, chez les électeurs, des croyances et des convictions. Malgré leur discrédit, ils n’ont pas disparu de la compétition politique : aucune organisation pérenne ne s’est encore substituée à eux. »

Si les partis semblent survivre tant bien que mal à la crise, c’est au prix d’une douloureuse mutation. Depuis les années 1990 et plus encore les années 2000, les formations traditionnelles tentent, avec des fortunes diverses, de s’adapter à l’« impératif participatif » qui, selon les politistes Loïc Blondiaux et Yves Sintomer, travaille les démocraties contemporaines : le PS et l’UMP, malgré leurs réticences initiales, ont organisé des primaires, associé les militants à l’élaboration des programmes, mis en place des plates-formes numériques. « Si le fait organisationnel partisan perdure, la forme “parti politique” hiérarchisée et disciplinée semble dépassée », résume Rémi Lefebvre.

Les nouveaux venus de la scène politique que sont LRM et LFI sont allés plus loin encore en adoptant d’emblée le modèle du parti « personnel » décrit par les politistes Mauro Calise et Duncan McDonnell à partir du cas de Forza Italia. Prééminence d’un leader incontesté, constitution d’un état-major restreint, absence, ou presque, de cadres intermédiaires, rejet des doctrines et du clivage droite-gauche, gratuité de l’adhésion, participation ponctuelle des sympathisants, usage massif des outils numériques : les mouvements, c’est « un chef plus Internet », résume Michel Offerlé, professeur à l’Ecole normale supérieure.

Ces partis « personnels » préfigurent-ils l’avenir de la démocratie partisane ? Parmi les politistes, bien peu parient sur leur pérennité – en tout cas dans la forme actuelle. Si ces « nébuleuses » veulent s’inscrire durablement dans le paysage, elles devront sans doute se doter de structures plus solides que celles qu’elles possèdent aujourd’hui.

« Leur souplesse est un fait de jeunesse, analyse Frédéric Sawicki. A mesure qu’elles vont conquérir des mandats et entrer dans des négociations pour gérer les institutions politiques, elles s’institutionnaliseront : il leur faudra stabiliser les procédures internes de désignation des candidats et des dirigeants, de règlement des conflits et d’élaboration des programmes. »

Pour la politiste Florence Haegel, l’avenir est sans doute dans un « processus d’hybridation » entre les deux modèles. « Pour surmonter la crise, les formations traditionnelles comme le PS ont emprunté aux “mouvements” deux de leurs caractéristiques – leur méfiance envers les échelons intermédiaires et leur agilité numérique, souligne-t-elle. Mais les partis “personnels” vont sans doute, à leur tour, emprunter certains des traits qui caractérisent les formations classiques – des formes de règles, de continuité et même de bureaucratie qu’ils critiquaient il y a quelques années. Quand une formation se pérennise, elle s’institutionnalise – c’est le principe de base de la sociologie des organisations. »

Pour la plupart des politistes, la crise que traversent actuellement les partis s’apparente davantage à une réinvention qu’à un enterrement. Cette métamorphose est loin d’être la première : du « parti de masse » décrit par Maurice Duverger, en 1951, au « parti-cartel » défini par les politistes Richard Katz et Peter Mair dans les années 1990, en passant par le parti « stratarchique » de leur collègue américain Samuel Eldersveld, le parti « attrape-tout » du juriste allemand Otto Kirchheimer ou le parti « électoral-professionnel » du politiste italien Angelo Panebianco, la recherche a recensé, depuis l’après-guerre, nombre de modèles partisans. De nouveaux sont sans doute en germe. « Les partis meurent longtemps », prophétisait le sociologue Michel Offerlé en 2017.

Anne Chemin