Matthias Fekl : « L’avenir de la gauche n’est pas dans le social-libéralisme ou le blairisme »

Dans Le Monde du 16 mars 2017,ce texte du nouveau Ministre de l'intérieur est d'une grande limpidité.Le "progressisme" de Macron a de nombreux points communs avec celui de Madelin et de Parisot.

 

 

Secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, Matthias Fekl estime que Benoît Hamon peut se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle mais qu’Emmanuel Macron mène la gauche dans une impasse.

Manuel Valls a appelé l’aile droite du PS à se rassembler dans une « maison des progressistes » et n’apportera pas son parrainage à Benoît Hamon. Le comprenez-vous ?

Dans cette campagne, je comprends qu’il y ait du désarroi parce que les repères sont difficiles à établir. Mais en tant que social-démocrate, je ne partage pas l’analyse selon laquelle nous ne pourrions pas nous retrouver dans le projet de Benoît Hamon. L’avenir de la gauche n’est pas dans le social-libéralisme ou le blairisme. Tous les pays qui ont tenté cette expérience en reviennent, en Grande-Bretagne, en Allemagne ou au sein de la gauche américaine.

L’avenir appartient à une social-démocratie refondée, musclée, non à des pilules sociales-libérales avalées de manière plus ou moins agréable. C’est la conquête des progrès sociaux, la défense de ceux qui travaillent, innovent, inventent, la protection de ceux qui souffrent. Le projet de Benoît Hamon est en phase avec cette vision. Sur le plan européen, il présente en outre un diagnostic puissant et porte l’idée d’un parlement de la zone euro. Ce projet répond à la défiance des peuples. C’est aussi la première fois que notre famille politique prend autant en compte l’urgence écologique.

Mais certains au PS trouvent son programme trop à gauche…

J’invite chacun à aller regarder la réalité de ce projet. Ils y trouveront beaucoup de choses qui feront la gauche de demain. C’est d’ailleurs pourquoi les jeunes s’y retrouvent. Dans cette présidentielle, il y a des candidatures du passé, des candidatures dans l’air du temps et une candidature de l’avenir, celle de Benoît Hamon. J’ajoute que son projet a été élaboré par des économistes de renommée internationale. Quand je vois certains prétendus experts néolibéraux ricaner, les bras m’en tombent ! Ce sont les mêmes qui n’ont vu arriver aucune des grandes crises des dernières décennies…

Le projet de M. Macron n’est pas celui du progressisme ?

Quand j’entends Laurence Parisot dire que l’approche du droit du travail entre En marche ! et Les Républicains est la même, est-ce le progressisme au sens où on l’entend à gauche ? Idem sur les retraites quand Alain Madelin dit qu’il avait formulé mot pour mot les mêmes propositions il y a des années. C’est respectable mais ce n’est pas du progressisme. J’ajoute que nous sommes dans un monde d’après la crise de 2008. En Grande-Bretagne, les années Blair ont ouvert la voie au Brexit ! Avec Benoît Hamon, la gauche défend au contraire des idées innovantes dont nous avons besoin si nous ne voulons pas nous retrouver dans des impasses encore plus dangereuses.

Redoutez-vous une fuite des hollandais ou des vallsistes vers M. Macron ?

On nous avait déjà prédit cela au lendemain de la primaire, cela ne s’est pas produit. Pour ma part, je n’ai jamais cru aux gauches irréconciliables. Et c’est le propre de la gauche d’aller de l’avant. J’appelle tous les sociaux-démocrates à regarder la réalité des positions de Benoît Hamon. Ils y trouveront les raisons qui m’amènent à le soutenir.

Si M. Macron devance encore M. Hamon dans les sondages avant le premier tour, que ferez-vous ?

Nous sommes à six semaines du premier tour et on nous dit qu’il faudrait arrêter de mener campagne, parce que des sondages décrètent que tel candidat serait mieux placé. Mais les sondages donnent tous les candidats gagnants face à Mme Le Pen, sans exception. En réalité, Benoît Hamon est le candidat le plus solide face à Mme Le Pen, c’est d’ailleurs celui qu’elle craint le plus. Lorsque les électeurs de gauche se rendront compte de ça, ils voteront par conviction et non plus dans un réflexe, très sain par ailleurs, de barrage au Front national. C’est ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec Barack Obama en 2008.

Vous n’êtes donc pas sensible à l’argument du vote utile en faveur de M. Macron ?

L’argument du vote utile est respectable en tant qu’argument de second tour. L’utiliser aujourd’hui vise uniquement à empêcher le débat. Or, c’est le débat qui doit faire apparaître le meilleur candidat, pas les sondages. Quand il y a une confiscation du débat et le sentiment que le résultat est joué d’avance, vous obtenez Donald Trump. C’est comme cela que déraillent les trains politiques, on l’a constaté dans de nombreuses élections récemment.

Je ne reprends pas non plus à mon compte l’idée que l’alternance doit se faire avec un grand parti où toutes les différences seraient gommées. Le but n’est pas de faire un barrage de circonstance pour tout reprendre dès le mois de juin comme si de rien n’était. Il faut de profonds changements en France si l’on veut écarter durablement l’extrême droite du pouvoir en 2017, mais également au-delà. Sans cela, nous serions comme la comtesse du Barry sur l’échafaud, à quémander « encore un moment, Monsieur le bourreau ».

·         Solenn de Royer