Pap Ndiaye et l’éducation française

Nouvel Obs  21 mai  2022

 

Alain Mabanckou

Ecrivain

 

Pour l’écrivain de « Black Bazar » et du « Sanglot de l’homme noir », lauréat du prix Renaudot en 2006 et enseignant à l’université Ucla de Los Angeles, une tâche rude attend l’historien Pap Ndiaye au ministère de l’Education nationale.

 

 

La nomination de Pap Ndiaye au poste de ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse n’est pas un fait à prendre à la légère. Non seulement pour « la guerre idéologique » que couve d’ordinaire ce ministère, mais aussi pour le symbole que représentera dorénavant cet homme que j’ai croisé pour la première fois à Bamako puis, chez lui, pour son anniversaire, et pendant sa participation au film « Noirs en France », que j’ai coécrit avec Aurélia Perreau et que France 2 a diffusé le 18 janvier dernier.

Le ministère qu’il occupe ne ressemble en rien à ces portefeuilles de ministres ou de secrétaires d’État taillés sur mesure comme s’ils étaient destinés à garantir une bonne conscience à la classe politique française et à calmer les grognements de minorités : la Francophonie, le Sport, l’Intégration, etc. Le sien, fondé en 1828 sous la dénomination de « ministère de l’Instruction publique » et rebaptisé en 1932 sous l’appellation de ministère de l’Éducation, est censé dynamiser le système éducatif et coordonner l’instruction publique. L’histoire nous montre que c’est le domaine des enjeux les plus idéologiques, chacun ayant sa définition de ce que serait l’éducation française et ce qui devrait l’alimenter.

On se souvient par exemple qu’en 1994, deux ouvrages emblématiques du Martiniquais Aimé Césaire, « Cahier d’un retour au pays natal » et « Discours sur le colonialisme », étaient au programme des Terminales littéraires. Ils devaient y rester pendant deux années, mais le 27 juillet 1995 une note du Bulletin Officiel de l’Éducation les avait évincés, les remplaçant par « les Yeux d’Elsa » de Louis Aragon. François Bayrou, qui était le ministre de l’Éducation, jugera, selon des propos rapportés par « le Canard Enchaîné » du 13 septembre 1995, que le recueil d’Aragon était « plus représentatif de la littérature française » que les textes d’Aimé Césaire…

Un nouveau ministre avec sa propre histoire

Il le sait, nous le savons : Pap Ndiaye sera attendu par les chantres d’une éducation judéo-chrétienne d’un côté, et par ceux qui réclament une relecture et la réécriture de l’Histoire de France, de l’autre. La couleur de peau sera derechef au menu des discussions, alors que c’est pendant notre époque que la présence des noirs ou des métis dans l’arène politique française s’est amenuisée. La liste de ces grandes figures politiques noires françaises serait longue, mais citons en quelques-unes comme Gaston Gerville-Réache (1881-1906), l’un des personnages importants de la Troisième République et vice-président de la Chambre ; Hégésippe Légitimus (1868-1944), qui siégeait à l’Assemblée avec Jean Jaurès et Léon Blum entre autres – on le surnommait « le Jaurès Noir », il n’avait que 30 ans au moment de son entrée au Parlement ; Gratien Candace, vice-président de la chambre des députés entre 1938 et 1940 ; Blaise Diagne (1914-1934), le premier Africain élu à la chambre des Députés, nommé sous-secrétaire d’État aux Colonies entre 1931 et 1932 ; Gaston Monnerville (1897-1991), qui a présidé le Sénat pendant plus de neuf ans

…Ces personnages, et bien d’autres, graviteront certes autour de Pap Ndiaye, dont le père était sénégalais et la mère française. Certains seront ses inspirateurs parce qu’ils font partie de son passé, voire de son présent. Mais le nouveau ministre a sa propre histoire. Il a son propre parcours, loin de celui du continent noir qu’il n’aura foulé qu’au début des années 2000. S’il a la liberté et le droit de ne pas être l’otage d’un camp, il lui sera rappelé aussi que la neutralité n’a jamais élevé les individus au rang des héros.

En somme, c’est une tâche rude qui attend celui qui n’était jusqu’alors qu’un universitaire talentueux, comptant parmi les membres de sa famille une célèbre petite sœur, Marie NDiaye, lauréate des prix Femina et Goncourt, qui avait choisi de quitter la France pour vivre en Allemagne parce qu’elle désapprouvait l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République française…