« Partageons mieux la valeur pour créer un capitalisme plus responsable »

 

TRIBUNE

Un collectif        Publié le 23 septembre 2022  dans l’OBS

Les responsables de l’ICR, Institut du Capitalisme responsable, un centre de recherche qui réunit quelques-unes des plus grandes entreprises françaises, demandent un meilleur partage de la valeur, au profit des salariés.

 

Les élections récentes et les surprises qu’elles ont réservées nous incitent à nous pencher sur l’état d’esprit des Français et sur leur perception de la situation du pays. Sont-ils objectifs, optimistes, pessimistes ? Il suffit d’observer les pays à niveau de développement comparable et d’utiliser les données fournies par l’OCDE, pour constater que la France offre des conditions de vie plus favorables que la plupart de ses voisins.

Les indicateurs de santé sont favorables. L’espérance de vie est supérieure à celle de beaucoup de pays de l’OCDE, l’état de santé ressenti par les citoyens également ; la pollution atmosphérique est plus faible, la protection plus forte, les soins primaires sont mieux garantis, les dépenses de santé supérieures. Quant au bien-être économique et social, il n’est pas globalement en danger. En France, le revenu moyen est légèrement plus élevé que la moyenne de l’OCDE. S’agissant du système éducatif – et contrairement à de fréquentes analyses défaitistes – le score moyen français aux tests Pisa se maintient dans la moyenne.

 

On pourrait continuer à égrener un chapelet d’indices favorables, mais ayons l’honnêteté de reconnaître un déficit préoccupant : si le niveau global de satisfaction des Français est à peu près dans la moyenne de l’OCDE (6.7/10), il demeure un point noir : la satisfaction concernant les revenus, à 4,3/10, est beaucoup plus faible qu’ailleurs.

Le mal français est là. Il est profond car il ne s’agit pas seulement de revenu mais du sentiment enraciné de ne pas être pris en considération.

La question majeure du pouvoir d’achat

Le pouvoir d’achat, dans toutes ses dimensions, est aujourd’hui la question majeure qui accapare les esprits, les débats politiques et les promesses électorales. Elle est devenue, pour le pays, une obsession paralysante. Dès juin 2019, un rapport contenant 24 propositions avait été remis au ministre de l’Economie, soulignant la cohérence et même l’interdépendance entre deux nécessités : le renforcement de la performance économique et un meilleur partage de la valeur créée.

Vingt mois plus tard, nous, Institut du Capitalisme responsable (ICR), acteur engagé de la société civile, avons publié l’étude plaidoyer « le Nouveau Partage de la valeur ». Cette analyse établissait cinq recommandations destinées aux organes de gouvernance des entreprises :

  1. Contextualiser et expliciter la politique de distribution des dividendes en la reliant à la stratégie de création et de partage de la valeur ;
  2. Préciser le mode de calcul du ratio d’équité au regard de l’impact sur la politique interne de rémunération ;
  3. Mettre en cohérence la politique de sous-traitance et d’achats avec les engagements ESG et la raison d’être de l’entreprise ;
  4. Formuler précisément le lien entre la raison d’être, la création et le partage de la valeur, en mesurant l’état d’avancement grâce à des indicateurs de moyen et long terme ;
  5. Faire de la politique de partage de la valeur un sujet à part entière relevant de la responsabilité du Conseil, étroitement intégré au processus d’élaboration et d’approbation du plan stratégique.

Ces pistes d’inflexion des pratiques ont été largement partagées, l’objectif étant de garantir la pérennité du cadre libéral de notre économie, en y associant de plus en plus – en amont comme en aval – l’ensemble des acteurs qui contribuent à la performance dans la durée, au service de la prospérité du pays, et loin des chimères des contestations radicales.

Etre davantage à l’écoute des attentes comme des suggestions

Un an plus tard, force est de constater – notamment à l’occasion des assemblées générales - que les grandes sociétés cotées n’ont pas donné suite à ces recommandations, ou beaucoup trop peu. Or, il y va de la survie du pacte social. Aucun dirigeant ne peut ignorer le danger que fait peser l’immobilisme sur un sujet aussi sensible. Tous doivent être davantage à l’écoute des attentes comme des suggestions.

Devant les menaces diverses (crise climatique, conflits et tensions internationales, risques de récession et d’inflation, malaises sociaux…) il est urgent de modifier la méthode de pilotage – ou d’accélérer le rythme des transformations – et de montrer concrètement des avancées sur chacune de nos recommandations, toutes propices au consensus entre société civile, élus responsables et entreprises.

Dans le même esprit, le président de la République vient de s’engager sur la voie du dividende salarié, point fort d’une proposition de loi de mars 2022 visant à conditionner le versement de dividendes à celui d’un dividende salarié. Cette mesure répond à la crise du pouvoir d’achat et semble indispensable dans le contexte des tensions politiques et sociales de 2022. Complémentaire du dividende salarié car axé, lui, sur le long terme, l’actionnariat salarié (en liaison avec la valorisation de l’entreprise) devrait être étendu bien au-delà des sociétés cotées. Depuis le 1er juillet, Il est de nouveau possible de verser aux salariés une prime « de partage de la valeur » exonérée de charges sociales sous certaines conditions.

 

Pouvoir d’achat : à qui profite vraiment la prime Macron ?

 

Mais pour sortir définitivement du ressentiment qui anime de nombreux Français et préserver la cohésion nationale en contribuant à la hausse du pouvoir d’achat, il faudra aller plus loin que le dividende salarié. Il s’agit de combler une partie du fossé qui se creuse de plus en plus entre d’une part les salariés, y compris les salariés touchant l’intéressement, et d’autre part les détenteurs du capital dont la part augmente parfois au fil des années dans des proportions considérables. Ce fossé patrimonial de long terme, il existe un moyen simple de le réduire : généraliser les stock-options pour les salariés, au lieu de les réserver à une petite cohorte de dirigeants.

Tout doit être fait pour instaurer la proximité – plutôt que l’affrontement - entre les différentes forces qui concourent à l’esprit d’aventure collective qui caractérise et définit l’entreprise, faute de quoi cet esprit pourrait disparaître. L’entreprise doit rester un foyer nourricier de la confiance enthousiaste dans l’avenir. Pour les dirigeants, il s’agit d’avoir un temps d’avance et non de retard, de faire quelque chose d’extraordinaire, de nouveau et d’audacieux, de s’illustrer comme des esprits pionniers plutôt que comme des conservateurs trop souvent arc-boutés sur la routine. Voilà ce que doit être le vrai « leadership » en 2022.

Caroline de la Marnierre est présidente fondatrice de l’Institut du Capitalisme responsable (ICR) ; Clara Gaymard, coprésidente de Raise et membre du conseil d’administration de l’ICR ; Philippe Peuch-Lestrade, membre de l’International Integrated Reporting Council (IIRC) et du collège des experts de l’ICR.

 

Caroline de MarnierreClara Gaymard et Philippe Peuch-Lestrade