A propos de Lecornu.

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Présidentielle 2022 : l’ascension de Sébastien Lecornu, symbole de la droitisation du quinquennat Macron

Par Grégoire Biseau

Publié lr 06 février 2022. Le Monde

ENQUÊTEPersonnage balzacien, le ministre des outre-mer sera l’un des stratèges de la campagne du chef de l’Etat. A 35 ans, cet ancien membre des Républicains, très ancré localement, a su servir de relais sur le terrain à Emmanuel Macron.

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Chaque semaine, depuis le début du mois de septembre 2021, le mercredi (parfois le jeudi) en début de soirée, la voiture de fonction de Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer, s’arrête devant le siège de La République en marche (LRM), au 68, rue du Rocher, dans le 8e arrondissement de Paris. Sans s’attarder, il traverse d’un pas alerte le hall, puis la petite cour intérieure, pour rejoindre le deuxième bâtiment. Il a rendez-vous, dans le plus grand secret, avec l’équipe de direction de campagne d’un président pas encore candidat. Autant dire que rien ne doit filtrer.

Aux côtés de Grégoire Potton, ancien cadre de la campagne de 2017, s’assoient Alexis Kohler, l’omnipotent secrétaire général de l’Elysée, Stanislas Guerini, le patron de LRM, Jérôme Peyrat, le conseiller politique du parti, et lui-même.

C’est là que se prépare cette campagne qui refuse encore de dire son nom. On travaille sur la recherche des 500 parrainages, largement obtenus depuis, les futurs visuels et slogans, les outils de communication numérique, la logistique des grands meetings… La rédaction du futur programme restant, elle, entre les mains d’Alexis Kohler. « Tout est prêt, il n’y a plus qu’à appuyer sur un bouton », assure un proche du chef de l’Etat.

Cruelle déception

Ce n’est plus qu’une question de jours avant que le voile se lève sur le dispositif du candidat-président, mettant un terme au feuilleton qui a tenu en haleine tous les ambitieux de la Macronie. Finalement, le favori Sébastien Lecornu ne devrait pas hériter du titre officiel de directeur de campagne. Emmanuel Macron n’a pas très envie d’officialiser la relation privilégiée qu’il entretient avec celui qui a été longtemps un jeune espoir de la droite et, surtout, ne souhaite pas que ce dernier quitte son ministère. Sébastien Lecornu ne l’avouera pas, mais c’est une cruelle déception.

Si Grégoire Potton devrait assumer la direction opérationnelle et administrative, le jeune ministre de 35 ans héritera du premier titre officieux disponible : « le politique de la campagne »Celui qui élabore la stratégie, réfléchit aux alliances et anime la relation avec les élus et les comités de soutien ­disséminés sur l’ensemble du territoire.

« Il jouera un rôle de premier plan, confirme-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat. Non seulement il a su gagner la confiance d’Emmanuel Macron, mais il pèse de plus en plus dans la majorité présidentielle. » Une position d’intouchable qui vient couronner une ascension aussi spectaculaire que fulgurante. Et symbolise tout à la fois la droiti­sation du quinquennat et de la future campagne.

Pièce maîtresse

Il y a exactement cinq ans, c’est-à-dire un siècle, Sébastien Lecornu partageait encore le bureau de Patrick Stefanini, le directeur de campagne de François Fillon, alors candidat des Républicains (LR). Puis, à quelques jours du meeting du Trocadéro, le 5 mars 2017, les deux hommes ont choisi de quitter le navire d’une campagne engloutie par le « Penelopegate ». Aujourd’hui, Patrick Stefanini dirige celle de Valérie Pécresse et Sébastien Lecornu est devenu la pièce maîtresse du chef de l’Etat.

De la bande historique des « mormons », tous issus de la gauche (Ismaël Emelien, Benjamin Griveaux, Sibeth Ndiaye, Stéphane Séjourné…), qui ont mené en 2017 l’ex-ministre de l’économie au sommet du pouvoir, il ne reste quasiment plus personne.

Aujourd’hui, les « vieux » professionnels de la droite ont pris les choses en main. L’ancien responsable de la primaire de LR Thierry Solère est devenu le conseiller politique du chef de l’Etat. Gérald Darmanin, l’ancien directeur de campagne de Nicolas Sarkozy, aujourd’hui ministre de l’intérieur, et Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, n’ont jamais eu autant de poids et d’influence politique.

Et le plus jeune d’entre eux, Sébastien Lecornu, le « plus doué de sa génération », dixit son meilleur ami, Gérald Darmanin, s’est donc placé au cœur du réacteur. Une prise de pouvoir silencieuse, qui n’a laissé aucune trace. « Franchement, ils ont été meilleurs que nous, mieux organisés et plus solidaires entre eux », reconnaît, bon prince, un député de l’aile gauche de la majorité.

Edouard Philippe fulmine intérieurement

Pour comprendre ce hold-up politique, il faut rembobiner le film au 24 avril 2017 au soir, le lendemain du premier tour de l’élection présidentielle. Nous sommes au 238, rue de Vaugirard, au siège de LR. Dans la salle du bureau politique, Sébastien Lecornu est assis à côté de son ami Edouard Philippe, qui fulmine intérieurement depuis de longues minutes. Le maire du Havre se fâche : « Nous n’avons pas d’autre choix que d’appeler à voter Macron, comme le PS l’avait fait pour Jacques Chirac en 2001. » Et d’ajouter : « Tout cela finira mal. »

On connaît la suite : LR se contente d’un communiqué appelant à faire barrage contre Marine Le Pen. Ce qui provoque le basculement en Macronie d’un quarteron de flibustiers (Edouard Philippe, Franck Riester, Thierry Solère, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire et Sébastien Lecornu). Des courageux pour certains, des traîtres pour les autres.

Quand il raconte cette scène, le ministre délégué des outre-mer assure qu’il pensait que sa carrière politique s’arrêterait net. « Pour moi, c’était game over. Je n’avais pas de plan B. Il était impossible d’imaginer que mon pote puisse entrer à Matignon. » Même cinq ans plus tard, Sébastien Lecornu ne raconte pas tout à fait la vérité, pour éviter d’être accusé d’avoir joué double jeu. Car, ce soir-là, il savait très bien ce qui se tramait en coulisse.

Juste avant ce bureau politique, Edouard Philippe, accompagné de Thierry Solère, député des Hauts-de-Seine, avait rencontré Emmanuel Macron et Alexis Kohler afin d’évoquer la question du second tour et celle des législatives. Bien sûr, toute la bande ignorait qu’Edouard Philippe serait nommé premier ministre, mais tous savaient qu’un tel ralliement entre les deux tours devrait, en toute logique, leur rapporter gros. Et tous se demandaient, secrètement, quelle place Emmanuel Macron leur accorderait dans son futur gouvernement. A 30 ans, Sébastien Lecornu, inconnu du grand public, ne pouvait pas décemment aspirer à un stra­pontin ministériel, mais au fond de lui, il lui était difficile de ne pas l’espérer…

Tous se damneraient pour un bon mot

Environ cinq mois plus tard, ce 26 septembre 2017, tous les quatre sont réunis dans le pavillon de musique au fond du jardin de Matignon, exquis petit hôtel particulier du XVIIIe siècle composé de trois chambres et de deux salons, réputé pour être un havre de conciliabules, de coups fourrés et de ­rendez-vous secrets : Edouard Philippe (premier ministre), Sébastien Lecornu (secrétaire d’Etat à l’écologie de la transition écologique et solidaire), Gérald Darmanin (ministre des comptes publics) et Thierry Solère (conseiller politique officieux du premier ministre, il le sera officiellement à partir d’octobre 2018, avant de devenir celui du chef de l’Etat).

« Sébastien Lecornu a d’abord une facilité de contact remarquable. Mais, surtout, il excelle dans l’évaluation des rapports de force » – Bruno Le Maire, ministre de l’économie

Ils doivent préparer « L’émission politique », le premier grand prime time, sur France 2, de leur copain Edouard. Autant que les affinités politiques, ce sont les liens amicaux qui les réunissent. Leur bande a même un drôle de sobriquet, à consonance légèrement mafieuse : « Bellota-Bellota », du nom d’un restaurant du 7arrondissement de la capitale spécialisé dans ce fameux jambon ibérique où ils ont eu, un temps, l’habitude de dîner. Et, même si le petit dernier, Sébastien Lecornu, n’a, lui, jamais eu l’occasion de franchir la porte du Bellota-Bellota, il a reçu, le jour de son entrée au gouvernement, quelques tranches de jambon envoyées par le restaurateur.

Depuis le début du quinquennat, les quatre hommes se retrouvent souvent, le soir, autour d’une bière ou d’un plateau-repas dans le bureau d’Edouard Philippe. Tous se damneraient pour un bon mot (si possible vachard) et aiment rire de ce que le politiquement correct interdit. Avec eux, on peut se moquer des personnes handicapées, des féministes, des écolos, de Jacques Chirac ou de leur personnage préféré, Nicolas Sarkozy, mais aussi, et peut-être surtout, d’eux-mêmes. Et tous excellent dans l’art de l’imitation des politiques. Le duo Lecornu-Darmanin sait aussi ressusciter Louis de Funès et Bourvil. Et peut vous faire, sur commande, tous les personnages de Papy fait de la résistance ou les dialogues de La Folie des grandeurs.

Indispensable couteau suisse

Mais, ce soir-là, il s’agit surtout d’incarner Jean-Luc Mélenchon, qui doit affronter le premier ministre dans un débat. Edouard Philippe a demandé à Sébastien Lecornu de visionner toutes les interventions, depuis six mois, du patron de La France insoumise, pour lui servir de sparring-partner. « J’ai été soufflé, se souvient l’ex-premier ministre. A deux ou trois reprises, j’ai vraiment cru que j’avais Mélenchon en face de moi. Il avait les mêmes ressorts, la même rhétorique, les mêmes arguments… »

Très vite, Sébastien Lecornu et Gérald Darmanin deviennent les deux ministres de confiance d’Edouard Philippe. A eux, les missions politiques ­délicates, qui requièrent doigté et fermeté. D’ailleurs, ce n’est pas pour ses convictions écologistes (elles sont à l’époque pas loin d’être nulles) que le premier ministre a voulu nommer Sébastien Lecornu comme secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, mais pour sa capacité à anticiper les emmerdements. Un flair politique, loué par tous, y compris ses ennemis, qui en ferait l’un des plus beaux chiens truffiers de sa génération.

« Il a d’abord une facilité de contact remarquable. Mais, surtout, il excelle dans l’évaluation des rapports de force », décrypte Bruno Le Maire. Sébastien Lecornu, pourtant pro-nucléaire, met à disposition sa connaissance des élus de terrain pour engager le chantier de fermeture de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), puis pour désamorcer le conflit autour du site de déchets nucléaires de Bure (Meuse). Sans casse politique.

« J’avais envie de faire les trucs que Nicolas Hulot n’avait justement pas trop envie de faire », explique-t-il aujourd’hui. En politique, il y a au moins deux types de talents : ceux qui ont les idées et ceux qui aiment les faire atterrir. Sébastien Lecornu appartient à la seconde catégorie. Cet énorme ­bosseur, très méthodique, « obsédé par la maîtrise des choses », selon ­l’expression de Gérald Darmanin, se fait repérer par Emmanuel Macron. Et va ­devenir, aussi sec, son indispensable ­couteau suisse.

Chauffeur de salle

« J’ai faim », lâche Emmanuel Macron. Il n’est pas loin de 22 heures, ce 15 janvier 2019, sur le parking du gymnase de Grand-Bourgtheroulde, petite commune de l’Eure. Le chef de l’Etat sort de presque huit heures de débat, devant pas moins de 600 maires normands et 200 journalistes. Le tout retransmis en direct par plusieurs chaînes d’info. C’est la première étape d’une entreprise un peu folle de reconquête pour un président décrié par les « gilets jaunes » et qui ne pouvait plus marcher dans la rue sans risquer d’être victime d’un acte de violence.

Finalement, tout s’est bien passé. Mais, à voir la tête du préfet en train de se décomposer, Sébastien Lecornu comprend que personne n’a pensé à prévoir un buffet pour la fin de ce premier grand débat. Il téléphone à Marie et Jean-Philippe, les propriétaires du Bistro des fleurs de Vernon, à une cinquantaine de kilomètres. « Ah, t’es déjà fermé ? Je peux te demander un service ? Ce serait bien si tu pouvais rouvrir, car, là, je suis avec le président de la République. On est un groupe de trente et on a faim. » Sébastien Lecornu n’a pas besoin d’attendre la réponse. Il est ici chez lui. C’est son fief, ses électeurs.

Aussi, quand a germé cette idée de grand débat pour tenter de sortir de cette crise, il a bien fallu chercher un endroit sûr. Un territoire tenu pour éviter le moindre risque de dérapage. Edouard Philippe a tout de suite pensé à Sébastien Lecornu. Et ce 15 janvier 2019, c’est lui, alors ministre chargé des collectivités territoriales, qui s’est transformé en chauffeur de salle, faisant circuler le micro dans une assemblée dont il connaissait toutes les têtes, pour remettre d’aplomb un président abîmé. Ce genre de ­complicité laisse des traces. « C’est vrai que je n’ai pas fait la campagne de 2017, mais j’ai fait la campagne du grand débat », dit dans un sourire le ministre des outre-mer pour expliquer sa proximité avec le chef de l’Etat, avec qui il parle ou échange au moins une fois par jour.

Un certain Alexandre Benalla

On ne pourra pas faire le reproche à Sébastien Lecornu d’être un politique parachuté. Il vit toujours à Vernon, à quelques jets de pierre de son ancien lycée. Ses parents n’ont jamais quitté cette ville de 24 000 habitants qui enjambe la Seine. Son père était technicien à l’usine de la Snecma, à la sortie de la ville, sa mère, femme au foyer, ­faisait le catéchisme. Fils unique, le jeune Lecornu accompagnait son grand-père maternel, ancien ­résistant, aux cérémonies commémoratives et aux réunions d’anciens combattants. Il se passionne pour l’armée, ses médailles et ses grades : il veut devenir militaire.

« Trop nul en sport », il se fait une raison et pense un moment intégrer la communauté des moines de Saint-Wandrille, pour finalement décider de venir à Paris faire des études de droit à l’université ­d’Assas. Mais son goût pour l’ordre militaire ne l’a jamais quitté : il devient officier de réserve de la gendarmerie, où il croise un certain Alexandre Benalla, dont il restera très proche jusqu’à ce que la fameuse affaire éclateEt pour cause, un jour de décembre 2002, alors qu’ils étaient tous les deux en mission ponctuelle dans une ­voiture lancée à la poursuite d’un chauffard, Alexandre Benalla évite de justesse l’accident et lui sauve la vie.

Gaulliste, le grand-père lui a inoculé une autre passion : celle de la politique. Dès 12 ans, chaque mercredi, Sébastien Lecornu regarde les questions d’actualité à l’Assemblée nationale comme d’autres se collaient devant Goldorak« Ça agaçait mes parents », dit-il. Il dévore des livres d’histoire et fait du général de Gaulle la figure indépassable de son panthéon personnel.

A bout de souffle

Sébastien Lecornu est un personnage balzacien : ambitieux, angoissé, et taraudé par ce syndrome de l’imposteur, de ceux qui s’apprêtent à se faire une place dans une classe sociale supérieure. « Oui, il y a probablement un peu de revanche sociale, mais jamais méchante, analyse son ami Gérald Darmanin. Avec cette idée que tout ce qui lui arrive est bon à prendre. Sébastien est un pessimiste heureux. Moi, je vois le verre à moitié plein et lui le verre toujours à moitié vide. » Obsédés tous les deux par la politique, ils se rencontrent pour la première fois à l’université d’été de l’UMP de La Baule (Loire-Atlantique), en 2005, et deviennent inséparables. Sébastien Lecornu a alors 19 ans. Il aime Thierry Le Luron et se balader aux puces de Saint-Ouen pour repérer des petites pièces d’antiquités du Premier et du Second Empire. Il n’est défini­tivement pas de son époque.

Phy­siquement, on lui donne au moins dix ans de plus. Après avoir été son assistant parlementaire, il entre, en 2009, au ­cabinet de Bruno Le Maire, alors ministre des affaires européennes. Puis suit son mentor à l’agriculture. En parallèle, il ­pour­suit ses études. Il ne dort pas beaucoup, travaille comme une bête de somme. Un jour, après avoir gravi ses escaliers, il arrive à bout de souffle sur le palier de son studio parisien. Il pèse alors 106 kilos. « Là je me suis dit qu’il fallait que je change de mode de vie », se souvient-il.

 

Il perd du poids et se présente devant les électeurs pour la première fois en 2014. A 28 ans, il remporte la mairie de Vernon. Un an plus tard, il arrache le département de l’Eure à la gauche, en faisant une campagne contre la fraude au revenu de solidarité active (RSA), et devient le plus jeune président d’un conseil départemental en France. Dès lors, il emboîte les mandats comme des poupées russes (il devient même sénateur, en 2020, mais choisit de rester au gouvernement). Fait quasi unique, il réussit à convaincre le président de la République de cumuler sa fonction de ministre avec celle de président du conseil départemental. Il ressemble à un chiraquien du RPR des années 1980 débarqué en Macronie.

Dans son département, il règne en maître incontesté. « Tout le monde est à la fois sous le charme et sous la contrainte, raconte Timour Veyri, le patron des socialistes de l’Eure. Des petits commissaires politiques ­administrent le département en son absence et mettent la vie locale en coupe réglée. »

Coups bas et mesquineries

Le 13 janvier 2021, le Parquet national financier annonce l’ouverture d’une enquête pour prise illégale d’intérêts et « omission de déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ». Sébastien Lecornu est accusé d’avoir été rémunéré comme administrateur de la Société des autoroutes Paris-Normandie alors que, en tant que président du département, il a approuvé ­plusieurs délibérations la concernant. Une enquête a priori sans risques de déflagration, qui n’inquiète pas du tout l’Elysée.

« Pendant la crise sanitaire en Guadeloupe, il y a eu une grosse incompréhension au début, il s’est montré un peu brutal, sans exprimer beaucoup d’empathie » – Dominique Théophile, sénateur macroniste de Guadeloupe

Séductrice, la bête politique Lecornu sait aussi mordre. Quand ça résiste à ses fins, il fonce. Sans tabou ni nuances. A peine nommé ministre chargé des collectivités territoriales, il mène une vie infernale à sa ministre de tutelle, Jacqueline Gourault. Un florilège de mesquineries et de coups bas : il publie une tribune sans la lui soumettre, il convie la presse sans elle… On lui a prêté l’intention d’essayer de la débarquer. Lui se défend en disant qu’il n’y avait pas assez de travail pour deux. « Sébastien peut être très dur et méprisant avec tous ceux qu’il considère comme moins bon que lui », souffle un compagnon de route.

Aux élections sénatoriales de 2020, il n’hésite pas à s’attaquer à la figure de François Patriat, le patron du groupe LRM au Sénat et fidèle historique d’Emmanuel Macron, en faisant miroiter au chef de l’Etat la création d’un puissant groupe centriste au service de la majorité présidentielle, dont il prendrait bien sûr la tête. Il échouera, en se mettant à dos de nombreux sénateurs. Pour les Ultramarins, il laissera aussi l’image d’un garçon pressé et clivant« Pendant la crise sanitaire en Guadeloupe, il y a eu une grosse incompréhension au début, il s’est montré un peu brutal, sans exprimer beaucoup d’empathie. Même si, sur le long terme, on peut lui donner crédit sur sa stratégie », raconte le sénateur macroniste de Guadeloupe Dominique Théophile.

 

Edouard Philippe prend sa défense : « Quand on fait de la politique, on peut être clivant et se montrer parfois dur. C’est inhérent aux rapports de force. » Revendiquant une filiation séguiniste, Sébastien Lecornu n’a pas grand-chose d’un dogmatique. Pas vraiment libéral ni tout à fait souverainiste, il se laisse aspirer par les tentations identitaires de la droite, tout en sachant se faire apprécier sur son flanc gauche. « C’est le mec de droite que les gens de gauche aiment bien », assure Sacha Houlié, député (LRM) de la Vienne. « C’est avec lui que j’ai eu les débats les plus intéressants en Macronie, renchérit son collègue de Paris Pierre Person, ancien socialiste et ex-numéro deux de LRM. J’adore parler avec lui. »

Réformes de droite

Pour préparer l’entrée en campagne d’Emmanuel Macron, Sébastien Lecornu s’est replongé avec délice dans toutes les campagnes des présidents sortants, notamment celle du général de Gaulle en 1965 et de Nicolas Sarkozy en 2012.

Il milite pour un président-candidat qui renoue avec l’image du réformateur de 2017. Entre protéger et libérer, il choisit la seconde occurrence. En clair, des réformes de droite, où il ne faudrait pas oublier de faire une place aux questions des frontières, d’immigration et de sécurité, chères à ses deux copains Thierry Solère et Gérald Darmanin. « On ne fait pas de la politique pour gérer les affaires courantes », assure-t-il. Si Emmanuel Macron est réélu, il se verrait bien à la tête d’un grand ministère régalien.

Et, un jour, pourquoi pas président ? Là, il nous arrête net. « Je ne veux pas. » Peut-on sérieusement être dévoré par la politique et ne pas rêver à la fonction suprême ? « Oui, je suis dévoré. Mais mon taux d’usure a déjà commencé. Je suis bientôt un vieux en politique. Je ne veux pas faire ça toute ma vie. »

Ce célibataire vient d’acheter une vieille maison à Vernon, qu’il est en train de faire retaper. Il y aura un jardin, pour faire pousser des fleurs et cultiver un potager (en partie bio). Il réfléchit déjà à une deuxième vie, ­pourquoi pas ouvrir un restaurant. « C’est ­difficile de trouver plus concret que de faire à manger à des gens deux fois par jour. » On lui dit qu’on a du mal à le croire. Il nous regarde fixement : « La vie file vite. La mort approche. »