RÉFORME DU DROIT DU TRAVAIL

Réforme du droit du travail : il ne faut pas « abaisser les protections pour accroître la compétitivité »

Emmanuel Dockès, Dominique Méda et Marie-Laure Morin, trois spécialistes des relations sociales, dans une tribune au « Monde », jugent que le projet du gouvernement présenté aux partenaires sociaux constitue une régression. ( 7 juin 2017)

La réforme promise du droit du travail, se voile, se dévoile et se voile à nouveau. Après les imprécisions de la campagne présidentielle, un document en forme d’avant-projet de loi d’habilitation a été diffusé par Le Parisien le 5 juin. Ce texte iconoclaste a été immédiatement renié par le gouvernement.

Un programme de travail, officiel cette fois, a été dès le lendemain distribué aux partenaires sociaux. Par la grâce de ce document le flou est revenu. Mais la direction est restée la même. Et derrières ces brumes communicationnelles, savamment entretenues, apparaissent quelques effrayantes silhouettes.

De nouvelles lourdeurs

Déjà, le gouvernement ne prétend plus simplifier le code du travail pour l’alléger, le rendre plus lisible et plus prévisible. Il faut donc s’attendre à de nouvelles couches de textes, à de nouvelles lourdeurs. Pourtant, une simplification du droit du travail serait bien utile. Une équipe de vingt-deux universitaires juristes du travail – le Groupe de recherche pour un autre code du travail (GR-PACT) – a publié il y a quelques mois une proposition de code du travail, en respectant ces objectifs, en particulier la réduction de la taille et la simplicité d’accès.

Cette proposition est quatre fois plus courte que l’actuelle partie législative du code. Elle permettrait d’améliorer l’accès au droit pour les petites et moyennes entreprises et de mettre en place un socle de protection clair, stable, prévisible et applicable à tous pour égaliser les conditions de la concurrence. Si le gouvernement ne va pas dans cette direction, c’est que ses objectifs ne sont pas ceux-ci. Il ne s’agit pas de simplifier mais de fragiliser, en étendant « le champ de la négociation collective ».

Cette faveur pour la négociation collective et particulièrement pour la négociation d’entreprise est une constante du législateur depuis plus de trente ans. On ne compte plus les réformes qui ont accru les possibilités de destruction, par convention collective, des avantages sociaux prévus par la loi.

Marchandage

Progressivement des pans entiers de législation sont ainsi devenus dérogeables, puis supplétifs. L’idée est donc d’aller plus loin encore. Le document dévoilé par Le Parisien était sur ce point iconoclaste. Il envisageait des accords d’entreprise qui ouvrent le recours aux contrats précaires, qui créent de nouveaux motifs de licenciement, qui détruisent les protections des conventions de branches, y compris en matière de salaire et qui pourraient même supprimer certaines règles relatives à la sécurité des personnes.

On n’ose pas imaginer le type de marchandage qui pourrait alors avoir lieu, pour abandonner tel ou tel équipement de sécurité en échange d’une prime ou de quelques jours de congés. Le gouvernement n’a pas confirmé vouloir aller aussi loin, mais il n’a pas non plus promis plus de modération. La ministre du travail, Muriel Pénicaud, a laissé entendre que les classifications des conventions de branches pourraient être préservées, mais pas les primes qu’elles instituent.

En matière de santé, le programme du gouvernement affirme comme « valeur cardinale » une « protection égale », mais il ajoute immédiatement qu’il ne faut pas que cela conduise à « l’uniformité » dans toutes les entreprises. La préservation du caractère d’ordre public des dispositifs de santé et de sécurité n’est donc même pas garantie…

Acteurs du dialogue affaiblis

Ces potentiels bouleversements sont présentés comme des signes de confiance envers le dialogue social. Pourtant, il est envisagé d’autoriser l’employeur à contourner les interlocuteurs syndicaux, voire même à se passer de tout interlocuteur syndical, en procédant par référendum. Et une fusion des institutions représentatives du personnel est prévue, ce qui réduirait le nombre d’élus et supprimerait des élus spécialisés sur la sécurité.

On prétend donc renforcer le dialogue… tout en affaiblissant les acteurs du dialogue. Une réforme qui exprimerait une véritable confiance dans le dialogue social accorderait des pouvoirs substantiels aux représentants des salariés par le biais de la cogestion et de la codétermination, comme c’est le cas en Allemagne et dans les pays scandinaves. Mais de ceci, il n’est pas question.

plafonner les indemnités dues en cas de licenciement injustifié. L’idée n’est pas de simplifier et de sécuriser les ruptures justifiées, celles notamment qui répondent à des difficultés économiques, à une insuffisance professionnelle d’un salarié. Il s’agit de sécuriser les licenciements sans motif valable, sans cause réelle et sérieuse : on pense aux comportements des prédateurs qui rachètent un concurrent pour le liquider, aux entreprises qui veulent remplacer leurs salariés âgés par des plus jeunes moins syndiqués, voire par de simples stagiaires, ou encore à celles qui licencient pour faire monter les cours de la bourse…

S’acheter à un prix abordable des licenciements

L’employeur qui prononce de tels licenciements est actuellement dans l’illégalité, il commet une faute. Ce qui l’oblige à réparer intégralement le dommage causé aux salariés, car chacun est, naturellement, responsable de ses fautes. La réforme prévue consiste à ne plus permettre cette indemnisation complète. Un montant plafonné, abordable, budgétisable sera prévu à la place. Ceci permettra aux entreprises qui le souhaitent, de s’acheter à un prix abordable des licenciements sans justification. Dans une économie du relationnel et du cognitif, qui demande de la confiance entre les salariés et l’entreprise, cette permission de rompre brutalement, sans motif, est un contresens.

Quant au chômage et à la formation professionnelle, leur réforme serait reportée à l’année prochaine. Mais d’ores et déjà certains aspects de cette réforme inquiètent. Actuellement, un chômeur peut être radié pour des motifs incroyablement légers. Des radiations ont lieu pour simple retard à un rendez-vous avec Pôle emploi.

Cette sanction terrible, qui prive d’allocations, est totalement disproportionnée par rapport à la faute commise. Il conviendrait de faire en sorte que seules les fautes graves des chômeurs puissent entraîner de telles sanctions. Mais tel n’est pas du tout la direction prise, au contraire. Ce qui est envisagé, c’est d’accroître les obligations et les contrôles des demandeurs d’emploi.

Accroître la pauvreté

Pour lutter contre le chômage, au final, ce qui nous est proposé est d’abaisser les protections pour accroître la compétitivité. Cette politique ne résorbe pas le chômage, comme les cas de l’Espagne, de l’Italie ou de la Grèce le démontrent. En revanche, elle a bien un effet, celui d’accroître la pauvreté.

En Allemagne ou au Royaume-Uni, les temps partiels courts et mal payés généralement réservés aux femmes se multiplient et le taux de salariés pauvres explose (presque un quart dans les deux pays cités, contre 8 % en France).

S’il est donc urgent de ralentir, de prendre le temps d’une vraie concertation, de ne pas légiférer par ordonnance pendant l’été, c’est parce qu’il convient de réfléchir à la direction prise. La France a besoin de changement. Elle a besoin de se mettre en marche. Mais elle doit se mettre en marche avant, pas en marche arrière.