Second tour de la présidentielle: contre l’extrême droite, il nous faut voter pour Emmanuel Macron

LIBÉRATION. Éditorial du 22 avril 2022 par Dov Alfon

  • Dante nous avait déjà prévenus : face à l’éventualité d’une victoire de l’extrême droite et de l’arrivée à l’Elysée d’une présidente xénophobe et révisionniste climatique, il n’est pas possible de s’abstenir.

 

A peine franchies les portes de l’Enfer, Dante est assailli par les cris et pleurs de ceux arrivés là parce qu’à un moment critique de leur vie, ils ont refusé de prendre position : ce sont «les indolents».

Personne ne veut de ces âmes pusillanimes, même pas Lucifer, et ils sont donc condamnés à errer nus dans le vestibule de la Divine Comédie, piqués par des guêpes et des taons. Certains tentent d’expliquer leur neutralité comme un choix idéologique mûrement réfléchi. Le poète les condamne à courir vainement en rond derrière une bannière qui ne représente rien.

Que représenterait dimanche ce que ce journal appelait déjà en 2002 «la désertion abstentionniste» ou son cousin, le vote blanc ? Une bannière vide. Et pourtant, ce moins que rien pourrait permettre l’instauration en France d’un régime nationaliste et xénophobe, comme ceux qui contribuent déjà malheureusement à affaiblir l’Europe.

On peut déjà entendre, y compris chez des intellectuels se disant de gauche, que Marine Le Pen n’est «évidemment» pas fasciste. Mmmoui. On peut ne voir en elle que l’héritière amoindrie d’une lignée typiquement française, des anti-dreyfusards aux tortionnaires de l’OAS, des collabos aux chantres du «grand remplacement». Alors «évidemment», on pourrait s’amuser à jouer avec ces allumettes. Ce serait se donner le beau rôle tout en poussant dans les flammes ceux qui sont toujours les premières victimes de ce genre d’amusements. Ce serait se sentir pur quand la légitimation de la parole raciste et misogyne déversera ses égouts sur la France, bien avant la nomination du premier Maurice Papon venu. Et il viendra, car ils viennent toujours.

«Supermenteur et Superfacho»

Il y a tout juste vingt ans, face au duel imposé par les électeurs pour le second tour de l’élection présidentielle de 2002, l’éditorialiste de ce journal constatait que ce terrible choix était le triomphe «d’une France affreuse». Nombre de nos lecteurs y auront reconnu la plume de Serge July, qui déplorait alors un face-à-face entre deux entités honteuses, qu’il surnomma «Supermenteur et Superfacho». Sans surprise, il annonça d’emblée sa préférence pour Supermenteur. Si la prise de position de ce journal n’a pas changé, les circonstances sont bien différentes. D’un côté, Superfacho n’est plus une figure caricaturale et minoritaire ; mais de l’autre, de nombreux électeurs de gauche se sentent aujourd’hui plus méprisés par le président sortant qu’ils ne l’étaient par Jacques Chirac. Et ne pouvant accepter ce nouvel appel au barrage, ils songent à rester chez eux, en désaccord avec leur journal.

Avouons-le, beaucoup de choses pourraient pousser à cette forme de protestation ce dimanche, à commencer par les récentes déclarations d’Emmanuel Macron, grand rabatteur d’abstentionnistes pendant cet entre-deux-tours. Le président sortant a convaincu moins de 10 millions d’électeurs au premier tour, mais semble persuadé qu’il sera réélu grâce à son «projet», et non grâce à un vote républicain dont il semble nier jusqu’à l’existence. Mais c’est là justement la raison pour laquelle il faut faire de ce second tour un référendum antifasciste, et seul un vote massif pour Macron y réussira. Les chiffres sont terribles : de 17,8 % pour Jean-Marie Le Pen en 2002, avec 20 % d’abstention, le vote pour l’extrême droite a progressé en France jusqu’à représenter 34 % des votes en 2017 pour sa fille Marine, avec 25 % d’abstention. Si les électeurs renforcent cette tendance effrayante, ils permettront a minima à l’extrême droite d’être en situation de peser sur les prochaines échéances et ce, dès les législatives de juin. Donc sur la tonalité du quinquennat qui s’ouvrira dimanche.

«Abandonnez toute espérance»

Et c’est là le résultat optimiste. Car même si des sondages donnent Macron gagnant avec 10 points d’écart, ces chiffres rassurants peuvent créer une dynamique qui tromperait les sondeurs. C’est un risque qu’il n’est pas possible de prendre. A quoi serviraient de bonnes paroles toute l’année pour les migrants, l’école publique ou la biodiversité si c’est pour déserter ce combat le seul jour où une mobilisation massive peut contrer le scénario catastrophe d’une présidente xénophobe et révisionniste climatique ?

Alors oui, c’est vrai : nombre des mesures du président sortant sont pour nous antisociales et liberticides, et nous les avons combattues sans relâche. Mais cette politique de droite affirmée, même si d’aventure elle devait être exécutée par un Gérald Darmanin ou un Jean-Michel Blanquer, ne peut pas être comparée à l’entrée au palais de l’Elysée de Marine Le Pen. «Abandonnez toute espérance», nous prévient Dante juste avant ce vestibule des lâches et des indolents. Nous le disons donc aujourd’hui plus clairement que jamais : face à l’éventualité d’une victoire de l’extrême droite en France, il n’est pas possible de s’abstenir, il est impossible de voter blanc, il nous faut voter pour Emmanuel Macro