Un article de Denis Sieffert dans Politis du 11 mai 2022.
« Changement », voilà bien le maître mot auquel il faut essayer de donner une autre épaisseur que le sempiternel slogan électoral. Pour rompre avec les politiques du passé, il faut d’abord avoir le courage de rompre soi-même avec ce que l’on a été et ce que l’on a dit pendant des années.
La nouvelle union populaire, qui a célébré son accord le 7 mai à Aubervilliers et posé joyeusement pour l’histoire, est d’abord, bien sûr, un accord électoral qui prend acte du résultat de la présidentielle. Flatteur pour les uns, cruel pour les autres, mais fidèle à une réalité indiscutable. Son avenir dépend donc évidemment des prochaines législatives. Si le score installe la coalition en position de force dans le paysage politique, et si chacune de ses composantes s’y retrouve assez pour former un groupe, alors « l’histoire », un peu vite convoquée, aura un avenir… Mais les Cassandre ne manquent pas pour prédire à la Nupes une rapide implosion. Les plus ardents sont issus de la vieille garde socialiste. Eux qui ont si souvent manqué à leurs engagements, les voilà hurlant à la trahison ! Mais la trahison de quoi ? D’une politique qui a fini par porter au pouvoir Emmanuel Macron ? La trahison de la trahison en quelque sorte. Comme si l’accord, avant même d’être l’œuvre de ses artisans, n’était pas la conséquence directe du rejet de leur politique. Ceux-là, décidément, ne changeront jamais.
« Changement », voilà bien le maître mot auquel il faut essayer de donner une autre épaisseur que le sempiternel slogan électoral. Pour rompre durablement avec les politiques du passé, il faut d’abord avoir le courage de rompre soi-même avec ce que l’on a été et ce que l’on a dit pendant des années. Jean-Luc Mélenchon a parcouru un bout de ce chemin. Il lui reste encore beaucoup à faire. Olivier Faure a eu le courage de rompre avec le quinquennat Hollande auquel il a pourtant contribué. Lui qui n’avait même jamais rejoint les frondeurs vient d’accomplir deux actes symboliques, en adhérant à l’idée de la retraite à 60 ans et, plus encore, en remettant en cause la loi El Khomri, marqueur indélébile de la période Valls. Rien ne prouve en revanche que les signataires aient beaucoup changé sur l’Europe. La notion de désobéissance, même bordée par une vague référence à l’« État de droit », ressemble à ce que les diplomates appellent une « ambiguïté délibérée ». En termes vulgaires, « on verra bien ». Ici, plus que la littéralité du texte, c’est la volonté politique qui comptera. L’état d’esprit. Faisons donc le pari d’un véritable changement. Pas seulement celui du rapport de force, mais des hommes et des femmes qui sont à la manœuvre. Un pari humaniste qui vient en contrepoint de l’hyperréaliste, et parfois pusillanime, partage des « circo ». Un pari que ne tente pas le NPA, pour lequel un socialiste sera toujours un socialiste. Vision sombre et un peu désespérante de la politique. Car Faure a donné des gages sérieux. Et Mélenchon aussi en devenant le rassembleur qu’il n’avait jamais voulu être. Mais c’est à lui, parce qu’il est en position de force, de faire plus et de montrer qu’il ne veut pas seulement « plumer la nouvelle volaille socialiste », pour emprunter à la célèbre formule du communiste Albert Treint, au début des années 1920. On l’attend en particulier sur les questions internationales. Peut-il se libérer d’un antiaméricanisme pavlovien qui l’a souvent entraîné dans de très mauvaises fréquentations avec des dirigeants qui ne portent pas la démocratie en bandoulière – et qui fait peser sur lui un lourd soupçon ? La tragédie ukrainienne parviendra-t-elle à anéantir pour lui et quelques autres les manichéismes d’antan ?
Mais Mélenchon a beaucoup et courageusement changé sur un front qui lui vaut paradoxalement les pires attaques : la laïcité. Ces attaques en disent plus long sur la nature politique des assaillants que sur Mélenchon lui-même. Les vieux socialistes lui font un très mauvais procès. Qui, à gauche, peut lui reprocher de ne pas confondre laïcité et islamophobie ? Il faut se féliciter que le leader de La France insoumise ait réalisé des scores exceptionnels en banlieue, ramenant aux urnes une population issue de l’immigration qui se sentait socialement abandonnée et discriminée. La démocratie devrait lui en être reconnaissante. C’est une bonne part du vote populaire. S’il a recueilli les voix d’imams – ce qui serait, à en croire les commentaires, le dernier mot de l’opprobre ! –, n’est-ce pas préférable à un vote pour des candidats communautaires, comme il a pu en exister par le passé ? Souvenons-nous de Dieudonné aux européennes de 2009. C’est au contraire un retour dans le giron de la République d’une population où se mêlent l’identité religieuse et la question sociale. Mais le fantasme de l’islamo-gauchisme a la vie dure. L’hallali contre le candidat LFI dans le Rhône, Taha Bouhafs, estampillé « islamo-gauchiste », qui a finalement été contraint de jeter l’éponge, en dit long sur la violence du débat. Et pourtant, l’abandon des banlieues, c’est aussi un bilan de ces socialistes qui remâchent aujourd’hui leur amertume. Ils devraient décidément méditer ce vieil adage du droit qui dit que « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ». Quant à la Nupes, si le peuple lui prête vie, il lui faudra faire revenir aux urnes une autre partie des classes populaires. Celle des grandes périphéries et des villes de moyenne importance (1). L’enjeu est de renvoyer l’extrême droite à son étiage d’il y a trente ans. Et éviter qu’elle soit l’alternative de la prochaine présidentielle. Vaste programme qui suppose que l’équipage soit plus qu’une alliance de circonstance, et le changement, autre chose que l’expression d’un simple compromis politique.
(1) Ce sera le thème d’une série en cinq épisodes qui débutera dans nos pages la semaine prochaine.
PAR DENIS SIEFFERT
PUBLIÉ LE 11 MAI 2022
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