UNE MILITANTE ANTIRACISTE

Le Monde du mercredi 7 octobre 2020

"Danièle Obono, une léniniste au cœur de la machine La France insoumise"

La députée LFI de Paris, qui se revendique comme une militante « révolutionnaire », est régulièrement attaquée pour ses prises de position."

Par Abel Mestre

Devenir une « icône » politique comporte certains avantages. Par exemple : pouvoir parler de soi à la troisième personne ; s’autoriser d’arriver avec près d’une heure de retard à ses rendez-vous ; avoir une fresque murale à son effigie. Samedi 26 septembre, la députée (La France insoumise, LFI) Danièle Obono, inaugurait à Stains (Seine-Saint-Denis) une peinture la représentant coiffée d’un bonnet phrygien révolutionnaire et le poing levé. Il y est écrit : « La République, c’est nous aussi. »

Pour l’inauguration, l’élue de Paris était notamment en compagnie du maire communiste (PCF) de la ville, Azzedine Taïbi (cible lui aussi d’attaques racistes), des députés « insoumis » Eric Coquerel et Clémentine Autain, ainsi que des parlementaires (PCF) Stéphane Peu et Pierre Laurent. Cette fresque se veut une réponse à la fiction et au dessin parus fin août dans Valeurs actuelles où la parlementaire née au Gabon était représentée en esclave.

Cet hommage inédit n’a pas plu à ses détracteurs, en particulier à droite et à l’extrême droite. Pas question d’honorer une politique qui porte, selon eux, des « convictions antirépublicaines ». Ces accusations, Danièle Obono les connaît, elle qui a commencé son mandat justement par une polémique où était mis en doute son amour de la France. « Ça fait trois ans que je suis députée, que l’on fait tous un travail de “ouf”, et on ne parle de moi que quand je me fais “trasher” », assène-t-elle.

Mme Obono préférerait que l’on discute de ses prises de position à l’Assemblée nationale, et surtout que l’on arrête de lui renvoyer le stigmate de militante « indigéniste », notamment parce qu’elle revendique la possibilité de tenir des réunions non mixtes (réservées aux « racisés », dans le jargon militant). « Mais cela veut dire quoi, d’ailleurs, “indigéniste” ? C’est un épouvantail, un anathème, médiocre politiquement et intellectuellement, et qu’on lance pour résumer un siècle de lutte, s’emporte-t-elle, attablée au Toucan, un café connu du Paris de gauche, sirotant du cidre. Si j’étais sur les théories indigénistes, je le dirais, je le défendrais. »

Surtout, c’est un long texte publié sur son blog le 11 janvier 2015, quelques jours après les attentats contre Charlie Hebdo, au moment de la grande manifestation, qui constitue le principal élément de son dossier d’accusation chez ses adversaires.

« J’ai pleuré, un peu, jeudi [lendemain de l’attentat contre le journal satirique]. En pensant aux douze personnes mortes. Aux centaines d’autres qui ne seront pas pleuré-e-s. Aux flambées d’amalgames, d’attaques, d’insultes, d’humiliations, de violences et aux difficiles batailles à venir. (…) Je n’ai pas pleuré Charlie. » Puis, un peu plus loin : « [J’ai pleuré] toutes les fois où des camarades ont défendu, mordicus, les caricatures racistes de Charlie Hebdo ou les propos de Caroline Fourest au nom de la “liberté d’expression” (des Blanc-he-s/dominant-e-s) ou de la laïcité “à la française”. Mais se sont opportunément tu-e-s quand l’Etat s’est attaqué à Dieudonné, voire ont appelé et soutenu sa censure… »

Ne comptez pas sur Danièle Obono pour regretter sa distinction entre les victimes et l’hebdomadaire. « Je n’aurais pas pu le formuler autrement que ce que j’ai fait à ce moment-là », tranche-t-elle encore aujourd’hui.

En 2017, elle suscite à nouveau le malaise en déclarant, dans une interview à la revue anticapitaliste de gauche Ballast, qu’elle considérait le Parti des indigènes de la République (PIR) – formation identitaire et postcoloniale dont le discours racialiste suscite de plus en plus de critiques à gauche – et sa leader, Houria Bouteldja, comme des « camarades », qui font partie « du camp de l’émancipation ». La députée LFI affirme pourtant avoir de nombreuses divergences de fond avec eux, comme par exemple sur la question des mariages mixtes que le PIR condamne.

Encore une fois, trois ans plus tard, la députée ne regrette rien : « Il aurait fallu que je mente ? Je suis une militante antiraciste qui a partagé des combats avec plein de gens, dont eux. Dans le mouvement antiraciste, il y a beaucoup de militants en complet désaccord avec ce courant. C’est juste une question d’honnêteté. »

Comme pour toute militante qui se qualifie de « révolutionnaire » – elle se dit « trotskiste » et « marxiste » –, se repentir est un aveu de faiblesse, la reconnaissance que l’adversaire a raison. Pas question, donc, de concéder la moindre erreur. Question de formation politique.

Née au Gabon en 1980 et arrivée à Montpellier alors qu’elle était collégienne, les premiers engagements de Danièle Obono ont lieu au début des années 2000. Puis, une fois lycéenne, elle se rend au rassemblement de soutien à José Bové à Millau (Aveyron). Le leader de la Confédération paysanne était poursuivi pour le démontage d’un McDonald’s. Viendront ensuite les mobilisations contre le Front national, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2002.

Elle s’implique, au moment de son installation à Paris, dans l’altermondialisme au sein de l’association Attac, puis rejoint Socialisme par en bas (SPEB), groupuscule trotskiste alors très actif. SPEB est une branche très particulière du trotskisme, issu du Socialist Workers Party anglais et se réclamant des théories du britannique Tony Cliff. Très impliqué dans l’opposition à la guerre en Irak de 2003, ce groupuscule défendait par ailleurs les lycéennes voilées et le port de signes religieux dans les écoles. Leurs adversaires, y compris certains de gauche, les qualifiant alors « d’islamo-gauchistes ».

Quand SPEB adhère à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), Mme Obono suit. Elle restera quand cette dernière lancera le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) en 2009. Elle y militera deux ans avant de rejoindre le Front de gauche, en adhérant à Ensemble ! – alors l’une de ses composantes avec le PCF et le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon –, séduite par la « démarche unitaire » de l’initiative. En 2016, elle monte très tôt dans le train de la campagne présidentielle de LFI où elle fut responsable, avec Manuel Bompard, des « assemblées citoyennes » et coordinatrice des livrets programmatiques avec Laurent Levard.

Ces fonctions montrent que Danièle Obono est au cœur de la machine « insoumise ». Cette grande lectrice et cinéphile est comme un poisson dans l’eau au sein de la « Mélenchonie » où une solide culture générale est une condition sine qua non de progression dans l’appareil. « C’est une intellectuelle. Elle essaie de penser le monde avec une forte cohérence, républicaine et laïque », avance Mathilde Panot, députée (LFI) du Val-de-Marne. Les deux femmes, qui sont amies, sont de plus en plus mises en avant par la formation mélenchoniste.

Au sein du mouvement, tout le monde soutient celle que l’on dit « victime d’attaques ignobles, dégueulasses » (Manuel Bompard, député européen). « Ce qu’elle subit, c’est du sexisme, du racisme », explique Mathilde Panot. « Elle vote comme tout le groupe, elle n’a pas de position singulière. Rien n’est statique, tout le monde évolue. Elle a évolué, j’ai évolué. On construit la ligne de LFI tous ensemble », poursuit M. Bompard. Mme me Obono résume : « En 2017, LFI allait de Danièle Obono à Djordje Kuzmanovic [ancien cadre, souverainiste revendiqué, qui a quitté LFI en 2019]. C’était une force plutôt qu’une faiblesse. Cette diversité est l’avantage de LFI, car on est d’accord sur l’essentiel, le programme. C’est énorme. C’est ce qu’il faut garder. »

« Léniniste » de son propre aveu, Mme Obono sait faire respecter une discipline de parti (ou de mouvement) à ses camarades qui prennent un peu trop de liberté avec la ligne officielle de LFI. « C’est un bon petit soldat depuis qu’elle a été élue, glisse une figure du mouvement, qui souhaite conserver l’anonymat. Selon elle, il ne faut rien faire qui dérange LFI, on a déjà trop d’ennemis. » Danièle Obono, plus mélenchoniste que Mélenchon ? Sans le nier, elle répond par une pirouette : « Jean-Luc Mélenchon est notre meilleur candidat. Certains attendent un messie autre que ce que l’on a. Ils espèrent une personne parfaite, qui plaît à tout le monde. Cela n’existe pas. » Elle-même est bien placée pour le savoir.

Abel Mestre