Gilets Jaunes Que Faire ? :LUDOSKY ET BENLAGHA S'EXPRIMENT

Ce texte publié dans 'lOBS du 19 avril 2019 mérite le détour

Les mesures d’Emmanuel Macron « n’éteindront pas la crise démocratique et sociale qui a conduit les “gilets jaunes” à se mobiliser », écrivent Priscillia Ludosky, figure du mouvement, et le producteur Farid Benlagha.

Par Priscillia Ludosky (« gilet jaune ») et Farid Benlagha (producteur)

 

Baisses d’impôts pour les classes moyennes, réindexation des petites retraites, référendums locaux, suppression de l’ENA… « L’Obs » a dévoilé les principales annonces qu’Emmanuel Macron devait annoncer lundi 15 avril pour la sortie du grand débat. Présentée comme un grand tournant, l’allocution avait finalement été annulée en raison de l’incendie de Notre-Dame de Paris. A la veille de l’acte 23 des « gilets jaunes », Priscillia Ludosky, figure du mouvement, et le producteur Farid Benlagha, ancien de Place publique, réagissent dans cette tribune aux annonces qui devraient être arbitrées sous peu.

Les mesures qu’Emmanuel Macron était sur le point d’annoncer ont été dévoilées dans la presse et elles devraient bientôt être confirmées. Ces mesures, pour certaines, constitueront peut-être pour quelques-uns un léger mieux. Mais elles n’éteindront pas la crise démocratique et sociale qui a conduit les « gilets jaunes » à se mobiliser.

Pas une semaine ne passe, depuis plusieurs mois, sans que les commentateurs annoncent l’épuisement du mouvement des « gilets jaunes ». Cette annonce rituelle se heurte pourtant jusqu’à présent à la réalité. Le mouvement se poursuit, semaine après semaine, avec une extraordinaire résilience. Il continue de susciter l’espoir de ses participants, d’exprimer leur colère. Il continue de faire parler de lui et de bénéficier du soutien symbolique d’une large majorité de la population.

Ce mouvement est entré, avec l’acte 20, dans son sixième mois de mobilisation. Même en l’absence des résultats attendus, il constitue d’ores et déjà l’un des mouvements sociaux les plus puissants et endurants de la Ve République.

Une conscience collective

Durant ces longs mois, les « gilets jaunes », auxquels nous sommes mêlés depuis les premiers jours, n’ont cessé de dénoncer la violence sociale et l’écrasement démocratique actuels. Ils n’ont cessé de dénoncer une politique économique injuste, qui enrichit les riches et précarise l’immense majorité de nos concitoyens. Ils n’ont cessé de dénoncer le verrouillage oligarchique de nos institutions, qui placent tant de pouvoir entre les mains d’une poignée d’hommes et qui ne permettent plus à tous les citoyens de faire entendre leur voix. Ils n’ont cessé de dénoncer une arrogance de classe, au sommet de l’Etat, face aux aspirations démocratiques, sociales, écologiques du plus grand nombre.

Parti de cette colère, le mouvement des « gilets jaunes » est demeuré fidèle à un esprit démocratique, fraternel et novateur. Il a donné une voix à cette majorité devenue silencieuse. Il a recomposé une conscience collective que le système actuel avait réduite en miettes.

Les « gilets jaunes » ont ainsi pu donner un contenu commun à leur colère. Ils ont maintenu les mêmes demandes, de façon inlassable : justice sociale, redistribution des richesses, rétablissement de l’ISF ; démocratie, refonte de nos institutions, introduction du RIC.

Ceux qui affirment que nous ne proposons rien ne nous ont jamais rencontré, ni écouté. Car nous n’avons cessé de proposer.

Tentatives d’humiliation

Face à ces revendications, les tentatives d’humiliation se sont multipliées : foules haineuses, factieuses, incultes, violentes, antisémites, xénophobes, complotistes. L’escalade répressive a peu à peu atteint un seuil intolérable et le gouvernement, dans sa spirale autoritaire, a refusé de nommer les violences policières.

Le grand débat lui-même s’est enlisé et tout indique, à en juger par les premières annonces, qu’il n’apportera aucune réponse satisfaisante.

Mais ce n’est pas une surprise. Car c’est justement le processus par lequel ces décisions ont été prises, que nous n’avons cessé de dénoncer. Le grand débat ne pouvait être démocratique que si le peuple tranchait. Le compte n’y est pas – et loin s’en faut. La délibération démocratique ne peut se résumer à un road show présidentiel et à la décision de quelques-uns dans le secret d’un cabinet.

Cet exercice de démocratie confisquée ne pourra donc que renforcer un sentiment que nous n’avons cessé de dénoncer : celui d’un décrochage entre la parole du peuple et la décision politique. Nous constatons ce décrochage croissant, dont la principale conséquence est qu’un grand nombre de nos concitoyens ne semblent plus s’intéresser à la chose politique telle que le système actuel la représente.

Reconstruire notre démocratie

Où va alors le mouvement des « gilets jaunes », et que devons-nous faire ?

Une chose est sûre : même si ce mouvement finit par s’essouffler dans sa forme actuelle, ce qui l’a déclenché reviendra vite, sous une forme ou une autre. D’ores et déjà, assemblées citoyennes et projets locaux se multiplient, permettant à des citoyens qui s’étaient éloignés des questions politiques de se retrouver, de travailler ensemble et de prendre conscience de leur pouvoir. Ces initiatives se poursuivront, et nous continuerons à nous y investir.

Plus largement, c’est notre démocratie elle-même qui est en ruines. Comme Notre-Dame, il nous faudra la reconstruire. Et nous continuerons, avec les « gilets jaunes » et d’autres, à nous mobiliser pour elle, contre le feu des intérêts privés et des puissances d’argent qui ravagent notre époque.

 

Priscillia Ludosky (« gilet jaune ») et Farid Benlagha (producteur