PLAN DE RELANCE .WYPLOSZ

Un point de vue d'évangéliste du marché.

Le plan de relance qui n’en est pas un

  • Charles Wyplosz Professeur d'économie, Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement (Genève)

16 septembre 2020    

 

 

On l’attendait depuis des mois, il est arrivé le 3 septembre, et il déçoit. On le sait depuis longtemps, la politique et l’économie ne font pas bon ménage, et le plan est clairement plus inspiré par des considérations politiques que par une logique économique rigoureuse. En flattant en même temps les écologistes, les entreprises (les grandes surtout), et les territoires, il répond à une logique électorale imparable, mais prend le risque de ne pas atteindre l’objectif économique annoncé. Et si la reprise n’est pas au rendez-vous, les élections seront très délicates.

Avant d’intervenir, il est essentiel d’établir un diagnostic. Si l’on veut faire de la relance, il faut mettre des ressources en face de la cause de la récession et si la cause est mal identifiée, point de relance. Or, de manière symptomatique, le gouvernement n’énonce pas un diagnostic, il indique trois objectifs : l’écologie, la compétitivité, la cohésion sociale et territoriale. Aucun d’entre eux n’est directement relié à l’épidémie et à ses conséquences économiques. Après avoir fait, et bien fait, le nécessaire au moment du confinement, le gouvernement prend le prétexte de la nécessité d’assurer la relance pour faire de la politique pure. Les 100 milliards de dépenses annoncés ne sont pas conçus pour faire repartir l’économie dans les 18 mois qui viennent, mais pour coller au discours politique du moment.

Le gouvernement semble croire que, d’une manière ou d’une autre, dépenser 100 milliards fera du bien. Il risque fort d’être très déçu. En effet, pour être efficace, une relance par la dépense publique doit répondre impérativement à deux critères : 1) Elle doit être rapide, dans la prise de décision et dans la mise en œuvre, sinon elle arrivera trop tard ; 2) Elle doit être temporaire, sinon le déficit public ne sera jamais résorbé. Le plan annoncé ne répond à aucun de ces deux critères.

Le premier objectif annoncé est la lutte contre le réchauffement climatique. Bien sûr qu’il faut le faire, mais ça n’a rien à voir avec une relance. En réalité, cet argent commencera tout juste à être dépensé dans deux ans. On ne rénove par l’isolation du parc immobilier, public et privé, en claquant des doigts. On ne lance pas une filière verte sans une préparation soigneuse, ou alors on gaspille l’argent. On ne relance pas le fret ferroviaire sans avoir développé un plan d’investissement et il faut ensuite commander le matériel (trains, voies ferrées), le produire, mettre en place le personnel.

Le second objectif s’attaque au manque de compétitivité supposé de l’économie française. Certes, il y a des manques, mais ils ressortent essentiellement de l’environnement réglementaire, du poids du secteur public, d’un climat social éternellement tendu, d’un système éducatif usé et d’un système bancaire craintif, toutes choses qui ne sont pas prises en charge par le plan. Candidat, Macron avait parlé de tout cela, puis il a réformé vite et avec courage avant que les Gilets jaunes ne fassent irruption, et tout ou presque s’est arrêté.

À défaut des réformes nécessaires, relance oblige, il s’agit de dépenses publiques, essentiellement des subventions ou des baisses d’impôts. Le plus gros paquet est consacré à une baisse de la fiscalité qui pèse sur les entreprises, baisse qui est explicitement annoncée comme pérenne et non-financée.

Cet objectif, et l’argent qui va lui être consacré, est très largement illusoire. Ainsi, par exemple, il s’agit de rapatrier la production de médicaments. Cette idée est hautement populaire mais remplacer un employé indien par un employé français a un coût exorbitant. Le déficit de la sécurité sociale, qui commençait juste à être jugulé, va exploser. Si l’on veut quand même tolérer ce déficit, ne vaut-il pas mieux embaucher des médecins et des infirmières ou acquérir des équipements de haute technologie ? Derrière tout cela se profile la petite musique de la réindustrialisation. Si la France, et les autres pays avancés, se sont désindustrialisés, c’est qu’il vaut mieux se concentrer sur les activités à forte valeur ajoutée car de haute technologie et laisser filer les activités de basse technologie vers les pays en développement où les salaires sont une fraction de qu’ils sont chez nous et où les compétences techniques sont rares. Un exemple emblématique est Apple. La conception des produits se fait dans la Silicon Valley, où les salaires sont mirifiques, et les produits sont fabriqués à bas coût en Asie. Penser que l’on repartira en arrière en faisant revenir des entreprises manufacturières est au mieux une illusion, ou au pire, amène à des subventions à fonds perdus pour maintenir un temps des emplois mal rémunérés et de qualification médiocre. Pas étonnant qu’émerge le débat, classique en France et incompréhensible ailleurs, sur les contreparties : à mauvaise politique, mauvaises réactions.

Derrière le troisième objectif, la cohésion sociale et territoriale, on trouve tout une panoplie de mesures : la santé, l’emploi, les jeunes et les personnes précaires et les territoires. Certaines de ces mesures peuvent être rapidement déployées, mais toutes ne sont pas temporaires et cinq années sont prévues pour le volet santé. C’est l’objectif qui est le plus proche de ce qu’il faut faire.

Toutes ces considérations savantes sur les trois volets cachent l’absence de diagnostic. Pourquoi une relance budgétaire est-elle nécessaire ? Parce que la dépense privée s’est considérablement réduite durant le confinement. La consommation a chuté – mais pas dans tous les secteurs – et les entreprises n’investissent pas si elles manquent de clients. Après le confinement, la demande est remontée, mais elle reste réduite, sauf dans certains secteurs. Désormais, cette reprise s’essouffle et elle restera anémique tant que le virus continuera à circuler. Voilà le diagnostic qui manque.

Il s’agit donc de relancer la demande. Il faudrait encourager les consommateurs à dépenser. Comme il est impossible de leur faire croire que le virus va bientôt disparaître (ce à quoi Trump s’évertue), il est peu probable que ce soit là une solution prometteuse (encore que la baisse temporaire de TVA comme en Allemagne est une tentative intéressante, cf ma chronique précédente). Si la demande privée est bloquée, il reste la demande publique, autrement dit une augmentation forte des dépenses gouvernementales. Mais pas n’importe lesquelles, ni n’importe comment. Les critères indiqués ci-dessus sont essentiels et le plan annoncé ne les satisfait pas, ou peu.

Il semble que, sans diagnostic et sans critères, le gouvernement ait simplement voulu dépenser 100 milliards et, en même temps, atteindre d’autres objectifs, rassemblés dans les trois volets annoncés. Pourquoi ne pas faire ainsi d’une pierre deux coups ? Ce n’est pas si simple, hélas. Les dépenses à mettre en œuvre pour un plan de relance diffèrent profondément de celles axées sur des projets structurels (climat, santé, emploi, etc.). Vouloir faire l’un et l’autre « en même temps » est illusoire.

Ce plan de relance va coûter cher, très cher. Il arrivera trop tard et la reprise en sera retardée. De plus, Macron promet maintenant qu’il n’augmentera pas les impôts, mais comment compte-t-il revenir à l’équilibre budgétaire puis rembourser la dette qui va atteindre 130% du PIB, un niveau grec ou italien ? Baisser en contrepartie d’autres dépenses est théoriquement possible, mais on a vu comment Macron a échoué à le faire durant ses trois premières années alors que c’était son objectif affiché. Les impôts vont augmenter, bien sûr plus tard, après les élections. Mais les gens le savent bien, et ça ne les encourage guère à consommer plus. Il est étrange de voir ce président, qui nous avait séduit par la justesse et la subtilité de sa vision économique, se déliter jusqu’à ressembler à ses prédécesseurs.